La pandémie entravera-t-elle la lutte contre les changements climatiques?
La militante Greta Thunberg était à Montréal le 27 septembre 2019, pour prendre part à la manifestation pour le climat.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il y a un an, une marée humaine envahissait les rues de Montréal, réclamant un plan d’action contre le changement climatique. Un an plus tard, et huit mois après la détection du premier cas de COVID-19 au pays, la lutte pour le climat est-elle toujours d'actualité?
L’Organisation des Nations unies (ONU) a lancé un cri d’alarme mercredi en publiant un rapport qui souligne l’inaction mondiale face à la crise climatique. Alors que la pandémie bouleverse nos vies, le réchauffement de notre planète et le dérèglement du climat se poursuivent
, a déclaré le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
« La pandémie, elle est là, mais les changements climatiques et leurs conséquences sur l'économie et sur la vie, sur les citoyens, sur les écosystèmes, ils sont toujours là aussi. »
Dans le cas de la COVID-19, le monde s'est mobilisé rapidement parce qu'on a vu les vagues de mortalité sur un laps de temps très court, note-t-il. En une semaine, des milliers de personnes sont mortes. Les changements climatiques et la pollution aussi causent des milliers de morts annuellement, mais ils sont répartis sur toute l'année.
Après un déclin temporaire lié au confinement et au ralentissement économique, les émissions de gaz à effet de serre ont recommencé à augmenter et sont revenues au niveau de 2019, précise le rapport.
Cela entraîne des conséquences comme une augmentation inédite de la température, qui a atteint des pics dans plusieurs régions du monde, ainsi qu’une élévation du niveau des océans, l’accélération de la fonte des glaciers et une augmentation des phénomènes climatiques extrêmes comme les sécheresses et les feux de forêt, mais aussi les inondations.
Le rapport United in Science 2020 (Nouvelle fenêtre) est le produit d’un travail conjoint du Projet mondial sur le carbone, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, de la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO, du Programme des Nations unies pour l’environnement et du Met Office du Royaume-Uni, coordonné par l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
Renverser la vapeur
Qui plus est, les environnementalistes craignent que le confinement ne crée un effet rebond et que les émissions n'augmentent en flèche par la suite.
C’est ce qui s’est produit dans le passé, lors de grandes crises comme celle de 2008, rappelle Claude Villeneuve, directeur de la Chaire en écoconseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Il se base sur une étude du Global Carbon Project qui analyse comment les émissions se sont comportées pendant les périodes de crise au cours des 50 dernières années, que ce soit après le choc pétrolier de 1973, la crise de 2008 ou la chute de l'Union soviétique dans les années 90.
« Généralement, quand il y a une baisse des émissions comme celle que l'on va observer cette année, le niveau des émissions dépasse celui qui précédait la crise à l'intérieur de trois ans. »
Il estime qu’en ce qui concerne les changements climatiques, on n’a pas assez fait confiance aux scientifiques et qu'il y a encore trop de gens qui nient la responsabilité humaine dans ces changements. Si on leur prêtait foi autant que pour la pandémie, la situation de la planète serait tout autre, dit M. Villeneuve.
Le premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié en 1990, prévoyait une hausse de la température de 1 degré Celsius en 2025 si rien n’était fait. Or nous en sommes actuellement à 1,1 degré d'augmentation.
« Les gens n'ont pas fait confiance à la science et ils n'ont pas pris les mesures qui s'imposaient. Dans le cas de la COVID, peut-être parce que la menace était immédiate, ils ont pris au sérieux l'avertissement des scientifiques. »
Alors que la pandémie est immédiate, le changement climatique a une portée temporelle plus longue
, note-t-il. C’est ce qui rend la lutte moins urgente aux yeux de certains, qui doutent également du poids des actions individuelles comme le compostage ou l’utilisation des transports actifs.
Un nouveau point de départ
Annie Chaloux, professeure adjointe en politique appliquée à l’Université de Sherbrooke, est, pour sa part, plutôt optimiste. Celle qui est codirectrice du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec (GERIQ) pense que la mobilisation de l’année dernière n’est pas perdue et que la relance post-pandémie sera justement l’occasion de faire un virage vert.
La pandémie a fait table rase de tout ce qui n'était pas COVID, affirme la chercheuse. Mais la crise qu'on a connue depuis a aussi mis en lumière le fait qu'un nombre extrêmement important d'acteurs du milieu souhaite que nos gouvernements amorcent une transition verte dans les plans de relance.
Les gouvernements se doivent de prendre cette opportunité avant que le contexte économique ne les rattrape, pense Mme Chaloux. L’argent est là maintenant. Il faut donc entreprendre ces changements, puis faire des tours de 180 degrés là où on est capables de le faire, notamment sur le transport, sur l'aménagement du territoire, sur notre économie.
« C’est une tendance lourde; on n'est plus dans des tendances marginales. Les gouvernements vont devoir suivre rapidement si on ne veut pas se retrouver en queue de peloton. »
C’est également l’avis d’Omar Baddour, de l’Organisation météorologique mondiale, qui pense qu’« il y a un éveil dans l'esprit des décideurs ».
On a peut-être tiré la leçon de 2008
, avance M. Baddour. Après la reprise, il y avait eu une course pour rattraper le temps perdu. La situation n’est plus la même aujourd’hui et plusieurs gouvernements incluent dans leurs plans de relance des mesures pour combattre les changements climatiques, notamment le recours à des énergies durables.
On est encore à temps pour respecter l’accord de Paris, estime M. Baddour, mais il faut que la volonté soit là.
« De la même façon que la volonté est engagée pour trouver un vaccin contre la pandémie. il faudrait qu’elle soit également engagée pour trouver un accord afin de réduire les émissions de GES de 7 % à 10 %. »
Un moment historique
Les organisations environnementales, pour leur part, ne comptent pas baisser la garde. Elles sont encouragées par le fait que la pandémie a montré que les citoyens sont capables de changer leur comportement de façon très rapide s’ils sont convaincus de l’urgence de le faire.
Ce que la pandémie nous a démontré, c'est que, lorsqu'il y a une crise, les gouvernements peuvent mobiliser la société tout entière pour y répondre
, affirme Caroline Brouillette, analyste des politiques au Réseau action climat Canada.
Les groupes progressistes attendent impatiemment le prochain discours du Trône, prévu le 23 septembre, afin de voir si le gouvernement de Justin Trudeau prendra en compte leurs demandes pour une relance juste et verte
.
« On a travaillé ensemble pour demander à ne pas revenir à la normale et se servir de cette crise-là comme une leçon pour la suite, pour les crises à venir. »
Selon Mme Brouillette, l’engagement des membres de groupes qui prônent une relance verte n’a pas faibli, malgré la pandémie.
Un sondage Léger mené ce printemps pour le compte de groupes écologistes et syndicaux, entre autres, montre que les Québécois sont encore très préoccupés par les changements climatiques. La moitié des personnes sondées a estimé que le plan de relance du gouvernement devrait en faire plus pour lutter contre les changements climatiques et pour protéger l’environnement que ce qui était prévu avant la pandémie, alors que 33 % ont affirmé qu'il devrait s'en tenir au même niveau.
« Cette crise nous a fait réaliser nos vulnérabilités et comment nous sommes tous connectés, comment les actions collectives sont importantes et ont un impact, notamment sur la santé. »