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La course au financement de remèdes contre la COVID-19 tiraille des scientifiques

Des scientifiques se plaignent d'un manque de financement public pour tester des traitements abordables contre la COVID-19, tandis que d’autres dénoncent une multiplication d’essais cliniques qui desservent, selon eux, les études prometteuses déjà en cours.

Le premier ministre du Canada Justin Trudeau s'entretient avec des chercheurs en blouse blanche dans un laboratoire.

Le gouvernement de Justin Trudeau a investi un peu plus d'un milliard de dollars pour soutenir la recherche médicale sur la COVID-19 et le développement de vaccins.

Photo : The Canadian Press / Graham Hughes

Sarah Laou
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Tandis qu’un nouveau médicament générique, la dapsone, s’apprête à être testé au Québec chez des patients atteints de la COVID-19, des scientifiques semblent partagés sur le niveau d’implication et de financement accordé par les gouvernements à la recherche médicale depuis le début de la pandémie.

Après les essais cliniques hautement financés par Québec sur la colchicine, lancés en mars par l’Institut de cardiologie de Montréal – mais dont les résultats se font attendre –, c’est au tour d’un autre anti-inflammatoire de tenter de démontrer ses vertus dans le traitement précoce des complications pulmonaires liées à la COVID-19.

Bien que le principe actif soit différent, cet antibactérien oral présente les mêmes avantages que la colchicine : peu coûteux, accessible et bien connu du domaine médical, puisqu'il est utilisé depuis des décennies contre le paludisme, le lupus ou le sida.

Approuvé par Santé Canada, l’essai de phase 3 de la dapsone pour traiter la COVID-19 sera supervisé par une équipe du Centre universitaire de santé McGill, dont fait partie le professeur émérite et directeur du Centre de médecine innovatrice McConnell, Dr Jean Bourbeau, en partenariat avec une jeune entreprise canadienne de biotechnologie, Pulmonem.

Portrait du Dr Bourbeau.

Dr Jean Bourbeau, pneumologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), chercheur principal à l’Institut de recherche du CUSM et professeur à l’Université McGill.

Photo : Centre universitaire de santé McGill

Les résultats de l'étude DAP-CORONA, menée au Canada et aux États-Unis sur plus de 2000 patients symptomatiques, sont attendus avant la fin de l’année et une commercialisation à grande échelle pourrait être envisagée dès le premier trimestre 2021 si les tests s’avéraient concluants.

Pour le Dr Bourbeau, le gouvernement devrait s'impliquer dans le financement de cette branche de recherche, ce qui n'est pas le cas, déplore-t-il, malgré le fort potentiel du projet et la réputation d’excellence des équipes de chercheurs de McGill.

La recherche médicale laissée pour compte?

L'équipe de McGill n’est pas la seule à se lancer dans la reconversion de médicaments déjà approuvés pour une autre pathologie médicale (dexaméthasone, colchicine, ivermectine, hydroxychloroquine, azithromycin, favipiravir…). D’autres scientifiques à travers le monde ont opté pour cette stratégie qui représente, selon eux, un gain de temps et d’argent et une diminution des risques. Controversée ou prometteuse, la démarche vise à proposer des solutions rapides et accessibles à la population.

Un homme avec des gants chirurgicaux tient un comprimé d'hydroxychloroquine entre ses doigts.

L'hydroxychloroquine demeure le médicament générique le plus testé au monde, malgré le fait que l'OMS a indiqué en juillet qu'il n’entraînait que peu ou pas de réduction de la mortalité des patients atteints de COVID-19.

Photo : afp via getty images / GEORGE FREY

Tester le potentiel de la dapsone semble légitime pour le Dr Bourbeau. Mais Québec reste silencieux, au grand dam du pneumologue qui ne comprend pas ce manque d'intérêt.

« On comprend mal que le gouvernement ne soit pas au rendez-vous avec la qualité du projet que l’on a. [...] On a une solution potentielle, mais on ne se presse pas pour la tester. L’étude de la dapsone est pourtant une première mondiale, contrairement à la colchicine, et en plus, elle est québécoise. »

— Une citation de  Dr Jean Bourbeau

L’équipe de McGill, qui a rassemblé un certain nombre de financements privés, espère une contribution d'environ 2 millions de dollars de Québec. Contacté par Radio-Canada, le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec a indiqué qu'il procédait à l'analyse du dossier.

À cause de ce manque de financement, on en vient à ce que les grosses compagnies pharmaceutiques décident quels médicaments vont être étudiés. Bien sûr, elles vont arriver avec de nouvelles molécules qui vont coûter les yeux de la tête, alors qu’on a la possibilité de convertir des médicaments, soutient Dr Bourbeau.

Or, le ministère de l’Économie et de l’Innovation assure que quatre projets similaires pour des médicaments reconvertis qui atténuent les symptômes de la COVID-19 ont été financés depuis le début de la pandémie. Ce nombre inclut l’étude COLCORONA.

Il rappelle également que Québec a investi plus de 10 millions de dollars dans des projets scientifiques sur le coronavirus par l'entremise d'un appel à propositions lancé par un groupe de travail regroupant des partenaires des milieux scientifique et industriel. Les technologies y sont développées en collaboration avec le système de santé pour permettre leur intégration rapide dans le réseau, précise le service des communications du ministère.

Par ailleurs, les entreprises à la recherche d’un financement pour des projets de recherche, hors projets de développement économique, peuvent se tourner vers le Fonds de recherche du Québec, qui présente une liste non exhaustive de ministères et d’organismes subventionnaires. Des centaines de projets concernant des vaccins, des traitements, le dépistage, des solutions technologiques et des enjeux sociaux ont été soumis. À ce jour, cinq initiatives, évaluées en tout à près de 3 millions de dollars, ont été sélectionnées.

Deux concours ont été lancés par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) durant la période de pandémie pour soutenir les recherches sur la COVID-19 avec un financement à la clé s'élevant à plus de 160 millions de dollars. Mais pour le Dr Bourbeau, cet investissement fait figure de parent pauvre par rapport aux milliards investis dans l’économie canadienne.

« On n’a pas priorisé la recherche et on n’a pas financé assez d'études qui nous permettent de sauver des vies. [...] On va avoir besoin de traitements, pas seulement de vaccins. »

— Une citation de  Dr Jean Bourbeau

Selon le Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19, un soutien direct de plus de 212 milliards de dollars a été accordé aux Canadiens et aux entreprises pour faire face à la pandémie. Près de 5,8 milliards de dollars ont été investis pour répondre aux besoins du système de santé, alors que 1,4 milliard de dollars ont été engagés dans la recherche médicale sur la COVID-19, notamment pour soutenir le développement de vaccins.

Dans cette optique, un montant de 46 millions de dollars a spécifiquement été attribué au Centre international de recherche sur les vaccins et les maladies infectieuses de l'Université de la Saskatchewan (VIDO-InterVac).

Une lutte sur tous les fronts

D'après le Dr Bourbeau, les efforts gouvernementaux sont trop mobilisés dans une course effrénée au vaccin.

Dans le cas du sida, cela a pris 10 ans aux gouvernements avant de comprendre qu’il fallait mettre de l’argent dans la recherche de traitements efficaces et non sur un potentiel vaccin, illustre-t-il. On est trop optimiste par rapport au vaccin. Ça devrait être une lutte sur tous les fronts contre la COVID-19.

Il précise en outre que les vaccins ne sont pas une solution ultime, puisqu'ils ne seront efficaces au départ que de 50 % des cas, au mieux. Et lorsqu’un vaccin sera au point, poursuit-il, les cas ne disparaîtront pas et de nombreux patients auront besoin d’un traitement.

Notre produit ne coûterait pas plus de 60 $ pour un traitement de 21 jours, contre 2000 $ à 3000 $ pour les antiviraux développés pour combattre la COVID-19, fait finalement valoir le pneumologue.

Un médecin montre une radiographie des poumons d'un patient atteint de la COVID-19.

La dapsone veut être employée dans les cas d'inflammation pulmonaire sévère causée par la COVID-19.

Photo : afp via getty images / KENZO TRIBOUILLARD

Trop d’études en cours, selon d’autres chercheurs

Du côté du Dr Jean-Claude Tardif à la direction de l’étude d'envergure COLCORONA sur la colchicine, c'est encore un autre son de cloche. Nous n’avons pas eu de problèmes de financement. Au contraire, j’ai même trouvé l’ensemble des partenaires très proactifs et le gouvernement du Québec nous a tout de suite soutenus, indique le directeur du centre de recherche de l'Institut de cardiologie de Montréal.

Il faut mentionner que la colchicine était déjà testée dans une quinzaine de pays et connue pour être sécuritaire, disponible et peu coûteuse. Des arguments qui auront pu permettre un engagement plus franc et rapide de la part de Québec, comme le reconnaît le chercheur.

Selon le Dr Tardif, le problème n’est donc pas tant le manque de financement public de la recherche, mais plutôt le trop grand nombre d’études en cours.

Le cardiologue Jean-Claude Tardif

Le cardiologue Jean-Claude Tardif poursuit ses recherches sur la colchicine espérant avoir des résultats à l'automne.

Photo : CATALIS

Près de 2200 études pour tenter de trouver des traitements ou vaccins à la COVID-19 seraient en cours partout dans le monde, dont 65 menées au Canada, selon le site de statistiques COVID-trials.org.

Dès le mois d’avril, le rédacteur en chef de la revue Science, Holden Thorp, faisait d’ailleurs ce même constat et tirait la sonnette d'alarme sur le trop grand nombre d'études réalisées. Il suggérait aux chercheurs de ne pas abaisser leurs normes et de ne pas faire de promesses impossibles, et ce, malgré le besoin urgent de réponses face au coronavirus.

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