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15 ans après l’ouragan Katrina, La Nouvelle-Orléans s’adapte tranquillement

Les grandes inondations de 2005 ont incité cette ville située en bonne partie sous le niveau de la mer à se transformer.

De nombreuses maisons inondées loin du centre-ville.

De nombreuses maisons ont été inondées à La Nouvelle-Orléans après que des digues ont cédé au passage de Katrina, en 2005.

Photo : Reuters / Allen Fredrickson

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Le 29 août 2005, aux premières lueurs du matin, l'ouragan Katrina s'abattait sur le sud des États-Unis, devenant l'une des tempêtes les plus meurtrières et les plus coûteuses de l'histoire américaine. Bilan : plus de 1500 morts rien qu'à La Nouvelle-Orléans, dont 80 % du territoire a été inondé. Depuis 15 ans, la Big Easy, comme on la surnomme, a pris le chemin forcé de l’adaptation face aux risques d’inondation.

En tant qu’experte des effets des catastrophes naturelles sur les villes, Isabelle Thomas n’aurait pu imaginer meilleur laboratoire. En août 2005, elle enseigne à l’Université de La Nouvelle-Orléans en urbanisme et habite dans un des quartiers qui seront au cœur de la catastrophe.

J’habitais dans le quartier Gentilly, à côté de l’université, et ma maison a été inondée jusqu’au toit, se souvient Mme Thomas, qui est aujourd’hui professeure à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Devenue une sommité mondiale dans le domaine de la résilience des villes face aux changements climatiques, elle s’intéresse beaucoup à La Nouvelle-Orléans, où elle retourne régulièrement.

Portrait d'Isabelle Thomas, professeure à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal.

Isabelle Thomas vivait à La Nouvelle-Orléans lors du passage de Katrina. Elle est aujourd'hui professeure à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal.

Photo : Courtoisie : Isabelle Thomas

En août 2005, ce n'est pas tant la tempête qui a causé des dommages à la ville. Après tout, Katrina était un ouragan de catégorie 3, moins puissant que l’ouragan Laura qui a frappé la Louisiane et le Texas jeudi dernier.

Ce sont les inondations qui ont transformé Katrina en cauchemar. Au plus fort de la tempête, quelques digues reliées au lac Ponchartrain, au nord de la ville, et le long de différents canaux qui pénètrent dans la ville, ont cédé. En quelques heures seulement, 80 % du territoire de la ville s'est retrouvé englouti sous l'eau.

Les quartiers bordant le lac, comme Gentilly ou Lakeview, ont été submergés sous plus de 4 mètres d'eau, jusqu'au toit des maisons. Katrina a fait plus de 1800 morts dans le sud des États-Unis, dont plus de 1500 rien qu'à La Nouvelle-Orléans.

La veille de l’arrivée de l’ouragan, Isabelle Thomas se réfugie dans un hôtel du French Quarter. Le quartier historique de La Nouvelle-Orléans est un des seuls endroits de la ville qui n’ont pas été inondés.

Seules les structures surélevées ne se retrouvent pas sous l'eau.

Une partie d'une autoroute est submergée, tout comme certains quartiers de la ville de La Nouvelle-Orléans, qui fut durement touchée par la tempête Katrina en 2015.

Photo : Getty Images / JIM WATSON

Le fondateur de la ville, Jean-Baptiste Lemoyne de Bienville, avait vu juste au début du 18e siècle en installant les premières fondations de la bourgade à cet endroit situé au-dessus du niveau de la mer. Mais au fil des décennies, l'étalement urbain a rendu la ville plus vulnérable.

C'est toujours intéressant de regarder l'historique de l'urbanisation, dit Isabelle Thomas. Au début, les Français et les Espagnols sont allés s'installer sur des sols dont la topographie est au-dessus de l'inondation. Petit à petit on a empiété vers le lac Ponchartrain, sur des espaces qui étaient avant des espaces marécageux, des espaces tampons, des éponges vis-à-vis de l'eau.

Un territoire qui s’enfonce

Si le quartier historique de La Nouvelle-Orléans est naturellement protégé contre les inondations, la vaste majorité du territoire de la ville est située sous le niveau de la mer.

La Nouvelle-Orléans, c’est comme une grande cuvette entourée d’eau, dit Isabelle Thomas.

Cette réalité géographique explique la présence du vaste et complexe réseau de digues et de barrages qui ceinture la ville. En provoquant la fracture d’une digue importante le long du lac Ponchartrain, l’ouragan Katrina a révélé la grande vulnérabilité de la ville face à son environnement.

Des maisons entourées d'eau dans un marécage près de La Nouvelle-Orléans.

Une route près du lac Ponchartrain, à La Nouvelle-Orléans. En Louisiane, la hausse du niveau des mers et le fait que les marécages s'enfoncent mettent à risque les populations locales.

Photo : Getty Images / Drew Angerer

Cet état de fait est aggravé par une situation qu’on observe depuis longtemps : une portion de la Louisiane s’enfonce un petit peu chaque année dans le sol, en partie à cause des activités humaines.

Le phénomène s’explique entre autres par la construction du vaste réseau de canaux au fil des siècles dans les marais louisianais pour favoriser le transport maritime autour du delta du Mississippi, explique Isabelle Thomas.

Le dragage nécessaire à la construction des voies navigables a drainé les sédiments vers le delta. Les canaux sont devenus en quelque sorte des autoroutes pour transporter les sédiments vers le fleuve.

En conséquence, le squelette sur lequel reposent les grands marécages louisianais s’affaiblit et le territoire s’enfonce doucement année après année.

Des toits de maison vus à vol d'oiseau.

Seuls les toits demeurent visibles après le passage de Katrina.

Photo : Getty Images / Dave Einsel

La Nouvelle-Orléans, qui était à l’origine un grand marécage, n’est pas exempte de ce phénomène.

La ville est sous le niveau de la mer, et ça empire, de par une action anthropique, dit Isabelle Thomas. On a creusé des puits de forage un peu partout, on a corseté le Mississippi avec des barrages, on a déstructuré les marais pour les voies de navigation, on a grignoté ces espaces en les aménageant… On voit que c’est une série d’actions qui ont amplifié la catastrophe.

La nécessaire adaptation

S’il est possible de voir un côté positif à la catastrophe de Katrina, c’est probablement que la tragédie a forcé les autorités à réfléchir sur l’aménagement du territoire.

Comme l’eau est là pour de bon, les différents paliers de gouvernement planchent sur des projets qui visent à redonner à la nature le rôle d’éponge et de tampon qu’elle jouait avant l’urbanisation.

L’idée, c’est de recréer une nature qu’on a détruite, dit Isabelle Thomas. On est en train d’aménager des espaces pour permettre à l’eau excédentaire de trouver refuge dans des endroits prévus à cet effet.

Le plus gros projet est de loin le Mirabeau Water Garden, un immense parc en cours de construction dans Gentilly, l’ancien quartier de Mme Thomas. Situé près du lac Ponchartrain, au nord de la ville, ce secteur a été pratiquement rayé de la carte par les inondations provoquées par Katrina.

Conçu à la fine pointe des plus récentes connaissances scientifiques en hydrologie, le parc Mirabeau jouera le rôle d’un immense bassin de rétention d’eau en cas d’inondation.

Dessin de l'accumulation d'eau dans un parc.
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Des zones recouvertes d'eau dans le parc Mirabeau lors d'une tempête de pluie typique.

Photo : Mirabeau Water Garden Project - La Nouvelle-Orléans

Une esquisse du parc Mirabeau.
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De plus grandes zones du parc Mirabeau recouvertes d'eau lors d'une tempête de pluie forte. Ce type de précipitations pourrait survenir tous les deux ans.

Photo : Mirabeau Water Garden Project - La Nouvelle-Orléans

Un esquisse du parc recouvert d'eau en partie.
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Une tempête de pluie « extrême », événement naturel survenant environ tous les 10 ans, couvrirait plus de la moitié du parc Mirabeau.

Photo : Mirabeau Water Garden Project - La Nouvelle-Orléans

C’est le principe des espaces de liberté : redonner à l’eau ses droits et son territoire en aménageant l’espace de telle sorte que les riverains puissent profiter d’un environnement agréable quand il n’y a pas d’inondation, ce qui est le cas la plupart du temps.

On parle beaucoup de ce problème de vivre avec l’eau, de réintégrer l’eau dans la ville, de ramener du collectif afin qu’on puisse avoir un accès intelligent à des espaces verts et bleus qui soient agréables, dit Isabelle Thomas. Avec le Mirabeau Garden District, c’est en train de se faire. C’est un espace intéressant au niveau de la qualité de vie, mais aussi très important au point de vue des inondations.

Le Mirabeau Garden District pourra capter près de 40 millions de litres d’eau à la fois. Cette concentration de l’eau par gravité dans un petit espace permettra d’éviter l’inondation du voisinage.

Dans différents quartiers à La Nouvelle-Orléans, on refait les espaces pour y intégrer de la verdure, pour retirer l’asphalte et le béton, pour y aménager des bassins naturels qui recueilleront l’eau quand ça débordera.

Précisément le rôle que jouaient les marécages avant l’urbanisation.

Une tranchée dans laquelle courent des tuyaux est recouverte de pierres. Elle est située entre une allée d'arbres et la rue.

La construction de structures vertes dans le quartier de Pontilly permettant la canalisation des eaux de pluie.

Photo : Pontilly Neighborhood Stormwater Network - Nouvelle-Orléans

Refaire le réseau de digues et de pompes

Le fait que la catastrophe ait été provoquée d’abord et avant tout par la rupture d’une digue du nord de la ville a mis en lumière l’état de désuétude du réseau de protection qui ceinture la ville.

La sécurité de La Nouvelle-Orléans en dépend.

Depuis la catastrophe de Katrina, un des plus gros chantiers publics aux États-Unis est en cours afin de refaire le système de digues, de barrières et de pompes dans la région. Jusqu’à maintenant, les différents paliers de gouvernement ont dépensé plus de 20 milliards de dollars dans la reconstruction de ce réseau.

Le nouveau système devrait protéger la ville du risque d’une grande inondation, qui présente une récurrence de 100 ans.

Un long barrage au milieu d'un immense marécage en Louisiane.

La barrière anti-inondation sur le lac Borgne, à l'est de La Nouvelle-Orléans, mesure près de 3 km de long et 8 m de haut. Sa construction a coûté 1,7 milliard de dollars en 2008 afin de protéger la ville des inondations.

Photo : Getty Images / Drew Angerer

C’était un chantier nécessaire, pense Isabelle Thomas. Les digues avaient été construites à des époques différentes, avec des technologies et des matériaux différents. Elles n’avaient été conceptualisées en tant que système de digues. Et ça, c’est un énorme apprentissage qu’on doit absolument faire chez nous : les digues doivent être gérées en tant que système.

Les travaux ne sont pas encore encore terminés, mais ils avancent à grands pas. À l'est de la ville, on retrouve désormais la plus grande station de pompage du monde. Le West Closure Complex a la capacité d’évacuer l’équivalent du volume d’une piscine olympique toutes les cinq secondes!

La pompe s'érige dans un canal.

La structure Waterway West Closure est à Belle Chasse, sur la rive ouest du fleuve Mississippi. Cette installation pompe l'eau avant qu'elle n'arrive au centre-ville de La Nouvelle-Orléans.

Photo : Getty Images / Mario Tama

Un autre bon exemple est celui des canaux qui, à l’occasion de Katrina, se sont transformés en véritables autoroutes permettant de faire pénétrer l’eau partout dans la ville.

Aujourd’hui, ces canaux seraient automatiquement fermés en cas de tempête, bloquant ainsi la voie à une grande quantité d’eau.

Derrière tous ces projets, on retrouve le génie des Pays-Bas, dont les nombreux experts ont été grandement mis à contribution pour réaménager le système de protection anti-inondation de La Nouvelle-Orléans.

Résilience raciale

Si La Nouvelle-Orléans se relève tranquillement du plus grand désastre de son histoire, une cicatrice demeure : une grande partie de la population afro-américaine ayant quitté la ville après Katrina n’est jamais revenue.

Même si la ville a récupéré environ 90 % de la population qu’elle avait avant la tempête, la population noire n’a pas suivi le mouvement.

Un appel à l'aide peint sur le toit des maisons : « S'il vous plaît, aidez-nous! »

Un appel à l'aide de citoyens de La Nouvelle-Orléans prisonniers sur leur toit de maison après le passage de Katrina en 2005.

Photo : Getty Images / ROBERT GALBRAITH

Selon les récentes données du US Census Bureau, La Nouvelle-Orléans compte 92 000 Afro-Américains de moins qu’avant la tragédie, plus du tiers de la population noire de la ville.

En revanche, les populations blanche et hispanique ont augmenté.

La Nouvelle-Orléans aujourd’hui est plus blanche, plus riche et plus hispanophone, constate Isabelle Thomas. Le prix des loyers y est pour beaucoup. La reconstruction de nombreux immeubles a fait augmenter le prix de l’immobilier et nombreux sont ceux qui ont décidé de ne pas revenir, faute de pouvoir se l’offrir.

Pour Mme Thomas, une ville ne peut pas prétendre être capable de se remettre des catastrophes naturelles si elle ne fait pas d'efforts pour permettre aux populations les plus vulnérables de revenir.

Une ville résiliente doit offrir le choix aux gens de revenir, conclut Isabelle Thomas. Pour moi, dans la résilience, on a cette idée de justice sociale qui doit permettre aux personnes qui le veulent de revenir chez elles. Il faut éviter la gentrification.

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