À Beyrouth, le défi de reconstruire dans la transparence
Pour obtenir le soutien de la communauté internationale, le Liban doit entamer des réformes « économiques et politiques », insiste Ottawa.

Un navire de croisière chaviré dans le port de Beyrouth, ravagé par les explosions du 4 août dernier.
Photo : Getty Images / Haytham Al Achkar
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Contrairement aux aides humanitaires qui ne se sont pas fait attendre à la suite des explosions dévastatrices qui ont ravagé Beyrouth le 4 août dernier, celles promises par la communauté internationale pour la reconstruction risquent, quant à elles, d’être ralenties par l’absence de réformes au Liban.
Cinq jours après la catastrophe qui a fait plus de 170 morts et 6500 blessés, une trentaine de chefs d’État, réunis en visioconférence, ont promis de dégager plus de 250 millions d’euros (environ 380 millions de dollars canadiens) pour répondre aux besoins les plus urgents de la population en matière de soins de santé et d’alimentation.
Cette somme sera directement
versée aux organisations non gouvernementales qui travaillent sur le terrain, avaient affirmé les pays donateurs, dont le Canada, tout en soulignant la nécessité pour le Liban de mener des réformes institutionnelles.
Le Canada et l'appel aux réformes
Le ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, doit d’ailleurs réitérer cet appel lors de son voyage prévu au Liban cette semaine, selon un communiqué de presse d’Affaires mondiales Canada.
À Beyrouth, le ministre va visiter les lieux des explosions avant de rencontrer le président Michel Aoun et le chef de la diplomatie libanaise Charbel Wehbé. Selon Affaires mondiales Canada, M. Champagne profitera de cette rencontre pour réitérer l’appel aux réformes réclamées par le peuple libanais
.
Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, la ministre fédérale du Développement international, Karina Gould, a elle aussi réaffirmé l’engagement du Canada en faveur de réformes politiques et économiques
au Liban.
Mme Gould, qui a représenté le premier ministre Justin Trudeau lors de la réunion des pays donateurs, affirme que ces réformes sont vraiment importantes pour que la communauté internationale puisse travailler avec le Liban [en vue] de la reconstruction
de Beyrouth, notamment de son port.
Le Canada a déjà alloué 20 millions de dollars canadiens sur les 30 millions promis au Liban, dont 8 millions au Fonds de secours pour répondre aux besoins humanitaires les plus urgents (nourriture, eau et services de santé), 2 millions à la Croix-Rouge, 1,5 million au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et 5 millions au Programme alimentaire mondial (PAM).
La destruction du port de la capitale a encore restreint l'accès à la nourriture d'une population qui importe 85 % de ses denrées alimentaires, dont le blé nécessaire à la production des galettes de pain, indispensables à chaque repas libanais.
Quelque 15 000 tonnes de blé, de maïs et d'orge entreposées dans les imposants silos, vieux de 55 ans, ont été projetées par l'explosion et une minoterie voisine a été détruite.
« Notre assistance au PAM va permettre de créer une structure temporaire [au port de Beyrouth] pour préserver et stocker de manière sanitaire les céréales afin d’assurer la sécurité alimentaire pour tous les Libanais et non seulement pour ceux qui ont été affectés par les explosions. »
Ottawa compte sur des partenaires « fiables »
Pour s’assurer que les aides sont bien acheminées à la population touchée, Mme Gould mise sur les partenaires de longue durée
du Canada, dont les différentes agences des Nations unies.
Nous avons des relations très fortes avec nos partenaires, avec un processus de transparence et de responsabilisation déjà établi
, assure-t-elle.
L’autre question qui risque de retarder certaines aides au Liban est celle du taux de change qui varie en raison de l’hyperinflation et du manque de liquidités en circulation. Les aides internationales doivent-elles être versées au taux officiel de 1500 livres libanaises pour un dollar américain ou bien selon celui de 7000 livres au marché noir?
Interrogée sur cette question, Mme Gould explique que c’est notamment pour cette raison-là que le Canada envoie de l’aide sous forme de financements
, comme des subventions ou des contributions. C’est l’une des leçons qu’Ottawa tire des crises humanitaires précédentes, selon elle.
« Quand une grande aide est envoyée en espèces, les risques que cet argent soit détourné vers le marché noir sont beaucoup plus grands. C’est pour cela que nous travaillons avec des partenaires avec lesquels nous pouvons faire des suivis. »
La surveillance des aides au Liban
Le Liban se classe 137e sur 180 pays à l’indice de perception de la corruption, selon le dernier rapport de l’organisation Transparence internationale (TI), basée à Berlin.
Quand on parle de transparence, il ne s’agit pas uniquement de savoir comment a été dépensé l’argent alloué
, explique Julien Courson, directeur général de la branche libanaise de TI. On cherche à savoir qui a donné quel montant, pourquoi l’argent a été dépensé de la sorte et avec quel taux de change.
Contacté par téléphone à Beyrouth, M. Courson affirme que son organisation vient de conclure un partenariat avec l’Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les affaires internationales (IFI) à l’Université américaine de Beyrouth pour surveiller les aides financières qui seront allouées aux autorités libanaises spécifiquement pour la reconstruction
.
Il indique par ailleurs que Transparence internationale travaille de près avec les organisations sur le terrain pour assurer la bonne gestion des aides internationales qui leur ont été allouées depuis les explosions.
« C’est très normal de recevoir des aides directes en temps de crise, car on ne peut pas attendre les réformes alors qu’il y a des gens qui sont dans le besoin. Mais, tout comme pour l’État, la société civile est elle aussi appelée à appliquer des mesures de transparence extrême. »
Il affirme que son organisation est en train de développer une plateforme pour aider la société civile à publier ses données relatives aux différentes formes d’assistance reçues et à appliquer les mesures extrêmes de transparence
.
Mais selon lui, le temps ne joue pas en faveur du Liban, notamment en l’absence de tout progrès pour la formation d’un nouveau gouvernement après la démission du premier ministre Hassan Diab il y a deux semaines.
« Un nouveau gouvernement doit être formé le plus tôt possible, en raison de l’urgence humanitaire, mais aussi de la crise socioéconomique qui a été accentuée par les explosions. Il faut faire quelque chose pour assurer le bon fonctionnement des institutions étatiques. »
Le Liban à la « croisée des chemins »
Pour M. Courson, les pressions internationales à elles seules risquent de ne pas donner de résultats, surtout si elles ne sont pas accompagnées de pressions locales. Selon lui, pour que le Liban se redresse, les autorités doivent appliquer des lois ou faire passer des projets de loi déjà existants, mais qui sont restés lettres mortes, comme le projet de loi contre l’enrichissement illicite ou celui sur les déclarations de patrimoine des fonctionnaires.
En avril 2020, par exemple, le gouvernement libanais avait approuvé une loi prévoyant la mise en place d’une commission de lutte contre la corruption, mais, jusqu'à présent, aucun des membres n’a été nommé et aucun budget ne lui a été consacré.
En ce qui concerne la justice également : deux projets de loi visant à renforcer l’indépendance judiciaire dorment toujours dans les tiroirs, alors que les décisions des tribunaux ne sont toujours pas accessibles au public, selon M. Courson.
La communauté internationale peut faire une grande différence pour mettre fin à la corruption au Liban
, assure-t-il. Nous nous trouvons à une croisée des chemins, d’où l’importance de la transparence. [...] C’est une opportunité qu’il ne faut pas rater.
Avec les informations de Agence France-Presse