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Comment l’Amérique latine est-elle devenue l’épicentre de la pandémie?

Le Pérou est le pays latino-américain ayant le taux de mortalité le plus élevé.

Une croix en bois en avant-plan et la ville au fond.

Il y a actuellement 4,4 millions de cas de COVID-19 en Amérique latine.

Photo : Getty Images / RAUL ARBOLEDA

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Le coronavirus est arrivé en Amérique latine après l’Asie et l’Europe. Voyant venir la catastrophe, plusieurs gouvernements, dont ceux du Pérou et de la Colombie, ont rapidement mis en place des confinements très stricts. D’autres, comme ceux du Mexique et du Brésil, niant d’abord la gravité de la situation, ont été plus lents à réagir. Quatre mois plus tard, où en sont les pays latino-américains?

La région, qui est actuellement l’épicentre de la pandémie, est loin d’être sortie du bois, prévient l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS). La situation n’est pas homogène entre les pays ni à l’intérieur même de chaque pays, nuance Jarbas Barbosa da Silva fils, sous-directeur de l'OPS.

« Il y a des provinces, des États, des villes qui ont réussi une réduction de la transmission ou au moins une stabilisation du nombre de cas, mais dans d’autres il y a encore des augmentations. »

— Une citation de  Jarbas Barbosa, sous-directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé.

En conséquence, les pics de contagion arriveront à différents moments selon les pays.

Le cas brésilien

Le pays le plus touché dans cette partie du monde en nombres absolus, le Brésil, a plus de 2,6 millions de personnes infectées et 91 000 morts. Dans la semaine du 27 juillet, on enregistrait encore une moyenne de 1000 morts et 40 000 nouveaux cas par jour.

Une femme masquée passe devant le graffiti.

« De quel côté de la corde êtes-vous? » demande l'auteur de ce graffiti peint sur un mur de Sao Paulo, au Brésil, qui place le président du pays, Jair Bolsonaro, du côté du coronavirus et contre les travailleurs de la santé.

Photo : Getty Images / NELSON ALMEIDA

Malgré les protestations du président Jair Bolsonaro, qui a lui-même attrapé le coronavirus, des gouverneurs d’États ont imposé des restrictions pour tenter de contenir le virus. Mais celui-ci s’est quand même répandu comme une traînée de poudre, notamment dans la région de l’Amazonie, où habitent des communautés indigènes particulièrement vulnérables.

Ce sont des segments de la population auxquels il faut prêter une attention toute particulière, souligne le Dr Barbosa. Les groupes plus vulnérables comme les peuples indigènes et les Afro-Américains, qui depuis toujours ont eu plus de difficulté pour avoir accès aux services de santé, ont des taux très élevés de cas graves et de décès, affirme-t-il.

Selon l’OPS, le taux de contagion au coronavirus est cinq fois plus élevé parmi les membres des communautés indigènes du bassin amazonien que dans la population en général.

Parmi les autres pays durement frappés par la pandémie, on trouve le Pérou et le Chili.

À titre de comparaison, le taux de mortalité est de 69,31 pour 100 000 au Royaume-Uni, de 60,87 en Espagne, de 58,14 en Italie et de 46,48 aux États-Unis.

Le Pérou est le pays latino-américain ayant le taux de mortalité le plus élevé, même s’il a instauré un confinement assez strict dès le départ.

Cela s’explique, du moins en partie, par sa structure socio-économique. Plus de 70 % des Péruviens dépendent de l’économie informelle pour vivre. Dans ce contexte, où les revenus découlent du travail quotidien, le confinement et les mesures de distanciation sociale sont difficiles à appliquer.

La pauvreté et l’économie informelle sont deux défis majeurs pour le Pérou, explique Jarbas Barbosa.

Confrontés à la perspective de ne plus pouvoir se nourrir, plusieurs ont préféré braver le confinement plutôt que de mourir littéralement de faim.

Si l’État n’apporte pas un appui social et économique important aux plus pauvres, il est très difficile de maintenir pendant une longue période leur adhésion aux mesures de distanciation sociale, observe le Dr Barbosa.

Deux femmes portant des chapeaux traditionnels attendent en file.

Un travailleur de la santé prend la température des personnes qui se rendent au marché de Coata, près de la frontière avec la Bolivie, le 8 juillet 2020.

Photo : Getty Images / CARLOS MAMANI

Cependant, il peut même parfois être compliqué pour l’État d’atteindre les plus démunis, qui n’ont pas toujours de compte bancaire. Le caractère informel de l'économie implique que l'aide de l'État n'arrive pas toujours à ceux qui en ont besoin, et que l'État n’a pas non plus nécessairement la capacité de surveiller que le confinement est respecté, ajoute Manuel Balan, professeur au Département de science politique de l'Université McGill.

Si l'économie informelle atteint des sommets au Pérou, le pays est toutefois loin d’être le seul dans cette situation. Selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), 158 millions de Latino-Américains, soit 54 % de la population active, oeuvrent dans le secteur informel.

Le cas du Chili est un peu différent. Le pays le plus riche de la région possède également l’un des systèmes de santé les plus robustes, mais il a failli dans la mise en place d’une stratégie de confinement efficace.

Les autorités chiliennes se sont d’abord inspirées du modèle suédois, laissant aller la pandémie, jusqu’à un certain point, afin de créer une immunité collective.

Une femme à sa fenêtre tape sur une casserole, tandis qu'une autre prend des photos avec son téléphone portable.

Des résidents de Santiago confinés célèbrent le fait que la Chambre des députés ait approuvé un projet de loi leur permettant de retirer une partie de leur fonds de pension, pour contrer la débâcle économique due au coronavirus.

Photo : Getty Images / JAVIER TORRES

Elles ont appelé quarantaine dynamique cette stratégie de confinement une région à la fois. Mais elles se sont ravisées, instaurant une vraie quarantaine et une distanciation physique partout au pays après une importante augmentation de cas et de fortes pressions citoyennes, soutient Marie-Christine Doran, professeure à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Il y a eu des concerts de casseroles pour réclamer le confinement, raconte-t-elle.

On voit maintenant une stabilisation dans certaines régions, mais dans d’autres régions du pays, la transmission est encore très forte, note Jarbas Barbosa.

« Le confinement fonctionne si on le fait au bon moment, à l’intérieur d’une certaine marge de temps. On ne peut pas confiner n’importe quand en pensant que ça va marcher quand même. »

— Une citation de  Manuel Balan, professeur au Département de science politique de l'Université McGill.

Par ailleurs, il faut également souligner que le Chili est le pays de la région qui effectue le plus grand nombre de tests, avec environ 8000 tests par jour.

COVID-19     : ce qu'il faut savoir

Un accès inégal à la santé

La question de l’accès universel à la santé est fondamentale pour tous les pays d’Amérique latine et la crise a mis en lumière les carences dans ce domaine, estime M. Balan.

« La pandémie a montré la profondeur des problèmes qui existaient déjà. Il n'y a tout simplement pas de système [de santé] prêt à faire face à une réalité aussi complexe. Cette incapacité n'est pas engendrée par la pandémie, mais la pandémie la dévoile. »

— Une citation de  Manuel Balan, professeur au Département de science politique de l'Université McGill.

Au Chili, par exemple, explique-t-il, ce n’est pas un problème de capacités, mais plutôt de couverture. C’est-à-dire qu’il existe des soins de très haute qualité, mais ils ne sont accessibles qu’à ceux qui peuvent se les payer. Le défi chilien est de rendre cette infrastructure accessible à tous ceux qui en ont besoin, croit le chercheur.

Un patient entouré d'infirmiers dans un couloir d'hôpital.

Des infirmiers transportent un patient à l'unité de soins intensifs de l'hôpital Barros Luco, à Santiago, au Chili, le 24 juin 2020.

Photo : Getty Images / MARTIN BERNETTI

Au Pérou, par contre, les deux problèmes se posent. Il y a un manque criant de soins de qualité, indépendamment du niveau de revenu, en plus d'un manque d’accès pour les moins bien nantis, souligne-t-il.

Selon les données de l’OPS, la disponibilité moyenne des médecins et des lits d'hôpitaux en Amérique latine est moins de la moitié de celle des pays plus développés, comme ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette question de l’accès universel aux soins de santé est d’ailleurs au coeur des préoccupations des organisations onusiennes dans la région, qui demandent aux gouvernements d'augmenter leur financement de la santé publique. Celui-ci ne représente actuellement que 3,7 % du PIB, plutôt que le 6 % préconisé par l’OPS. Cette dernière estime par ailleurs qu’un tiers de la population fait face à une barrière pour accéder aux soins de santé dont elle a besoin.

Cuba, qui dispose d’un système de santé communautaire gratuit, a réussi à contenir le coronavirus grâce à des mesures d’isolement des personnes infectées et au traçage de leurs contacts. On n’y enregistre que 2600 cas et 87 morts. C'est le premier pays latino-américain, suivi du Costa Rica et de l'Uruguay, quant au pourcentage de dépenses publiques en santé.

La pandémie braque les projecteurs sur l'urgence de renforcer l’accès universel aux soins de santé, insiste le sous-directeur de l’OPS. Pour contrôler la transmission au sein de la population, il est important d’avoir des soins de santé primaires pour parvenir à détecter les cas précocement et à isoler rapidement les contacts, croit Jarbas Barbosa.

« Ce doit être un moment de réflexion pour les gouvernements d'Amérique latine en vue de surmonter cette situation de manque d'accès pour une partie importante de la population et de difficultés d'accès pour une autre partie. »

— Une citation de  Jarbas Barbosa, sous-directeur de l’Organisation panaméricaine de la santé.

Le problème n’est cependant pas nouveau. Depuis des années, l’OPS plaide pour une amélioration du financement public en santé. Cette demande acquiert encore plus d’urgences dans le contexte actuel, puisque la CEPALC prévoit que la crise fera reculer l’économie de la région d’une décennie. Quelque 45 millions de personnes sombreront alors dans la pauvreté.

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