Six mois plus tard, où en est la pandémie au Canada?
Six mois après la détection du premier cas du nouveau coronavirus au Canada, des responsables de la santé publique d’à travers le pays font le point sur la situation et réfléchissent à la suite des choses.

Le port du masque obligatoire a été imposé dans les transports en commun dans plusieurs provinces canadiennes, dont au Québec et en Ontario.
Photo : Getty Images / Marc Bruxelle
Il y a six mois, le premier cas de COVID-19 a été recensé au Canada. Alors que les autorités sanitaires redoutent maintenant une deuxième vague épidémique, des responsables de la santé publique de tout le pays sont partagés entre espoirs et inquiétudes.
Depuis le début de la pandémie, on dénombre plus de 110 000 personnes infectées au pays et près de 9000 décès, dont 80 % survenus dans des centres de soins de longue durée.
De quelle façon les provinces ont-elles réagi à l'arrivée du SRAS-CoV-2? Et comment préparer chaque province à de nouvelles éclosions? Cinq directeurs de santé publique font le point.
Colombie-Britannique
La médecin hygiéniste en chef de la Colombie-Britannique, Bonnie Henry, a été qualifiée par le New York Times comme étant l’une des responsables sanitaires les plus performantes
pour avoir réussi à aplatir la courbe de la province relativement tôt. La Colombie-Britannique est pourtant l’une des premières provinces à avoir été touchée par la pandémie.
Nous avons été frappés fort et tôt
, a-t-elle dit au cours de deux entrevues récentes avec CBC News.
La Dre Henry a réussi à rapidement ralentir la progression de la maladie en Colombie-Britannique, permettant à la province de mettre fin à son confinement de manière précoce, alors qu’elle était considérée comme étant la plus à risque au début de la pandémie.
La question du temps, l'identification de deux grands événements à haut risque de contagion qui ont eu lieu lors d'une conférence, ainsi que dans les centres de soins de longue durée, au tout début - voilà ce à quoi nous avons réagi
, a-t-elle expliqué.
Selon elle, les éclosions qui ont été détectées dans des ménages en Colombie-Britannique, ainsi que dans des usines de transformation de viande en Alberta et les exploitations agricoles en Ontario, démontrent clairement que chaque province a vécu la pandémie de manière distincte.
« C’est vraiment difficile de comparer. Il y a plusieurs différences dues au temps, à l’accès aux tests, à la densité de la population et à la capacité de reconnaître rapidement certaines éclosions. Ce sont ces choses-là que nous apprenons tous, dans tout le pays. »
Pour le moment, la Colombie-Britannique, qui compte plus de 5 millions d’habitants, a recensé un peu moins de 3400 cas positifs, ainsi que 189 décès.
La Dre Henry affirme être optimiste quant à la réouverture des écoles dans les prochains mois, et espère que les élèves du primaire retourneront en classe à temps plein en septembre.
Nous sommes aussi en train de mettre en place un plan d’urgence
, a-t-elle ajouté. Si nous détectons une importante éclosion et plusieurs cas de transmission communautaire, nous avons des plans pour réduire les présences en classe ou passer à la formation en ligne au besoin
, précise-t-elle encore.
Parmi ses craintes : le retour des visiteurs dans les centres de soins de longue durée, l’arrivée de touristes d’autres provinces et une éventuelle réouverture des frontières avec les États-Unis, surtout que les premiers cas détectés en Colombie-Britannique sont liés à des éclosions dans l’État de Washington.
« Nous allons avoir plus de cas, nous le savons. Nous devons nous assurer d'être capables de prévenir toute transmission importante du virus au sein de la population. »
La Dre Henry affirme que son plan d'action dans les prochains mois, face à toute nouvelle éclosion, sera de limiter la propagation du virus, tout en gardant les différents secteurs ouverts, plutôt que de confiner certaines régions de la province.
« Ceci ne va pas durer éternellement, nous allons pouvoir nous réunir à nouveau, comme nous le souhaitons, mais ce n’est pas pour tout de suite. »
Alberta
Deena Hinshaw, la médecin hygiéniste en chef de l’Alberta, quant à elle, a fait face à des défis majeurs durant la pandémie après la découverte d’éclosions importantes dans des usines de transformation de viande de la province, ce qui a considérablement augmenté le nombre de cas de COVID-19.
L’usine de Cargill, dans le sud de l’Alberta, a eu la plus grande éclosion du nouveau coronavirus en Amérique du Nord avec plus de 1500 infections et plusieurs décès.
La province a pu aplatir sa courbe vers la mi-juin, mais une hausse du nombre de cas positifs recensés cette semaine suscite des craintes.
Depuis mercredi dernier, l’Alberta a enregistré plus de 1250 cas, le plus haut chiffre depuis plus de deux mois.
D’une certaine manière, nous sommes victimes de notre propre succès
, explique-t-elle à CBC News. Nous avons relativement bien contrôlé la propagation du virus, ce qui veut dire que beaucoup de personnes n’ont pas eu à vivre des expériences difficiles avec des proches malades
, dit-elle encore.
« J’ai peur de voir les gens se baser sur leurs observations personnelles et ne pas ressentir donc le besoin d’être trop préoccupés [par la pandémie]. »
Pour la Dre Hinshaw, les voyages interprovinciaux ne représentent pas une inquiétude, mais elle se dit préoccupée par les actions individuelles : Les personnes qui sont fatiguées des restrictions et qui veulent en finir représentent un défi. […] Le déconfinement a donné l’impression que la COVID-19 a disparu, alors que nous n’avons jamais dit cela.
La responsable de santé publique affirme craindre une hausse de la transmission due à la réouverture des commerces, mais le risque de voir les gens se rassembler de manière clandestine était bien plus élevé, selon elle.
Il s’agit vraiment de convaincre la population qu’il est important de prendre les consignes au sérieux
, assure-t-elle.
Ottawa
À Ottawa, la médecin-chef en santé publique, Vera Etches, a tiré la sonnette d’alarme assez rapidement contre la possibilité d’infections communautaires non détectées.
Quatre jours après la détection du premier cas de COVID-19 dans la capitale, le 15 mars dernier, Dre Etches a affirmé qu’il pourrait y avoir près de 1000 personnes infectées.
Décrite comme ayant une volonté de fer
, elle a mis en garde la population sur le risque de devoir vivre avec le virus jusqu’en 2021, voire 2022.
Dre Etches ne mâche pas ses mots, mais elle garde espoir quant à l’avenir.
« Nous avons réussi à reprendre progressivement plus d’activités, et nos chiffres sont stables ou en déclin, le nombre d’hospitalisations est en baisse, tout comme que le nombre de morts. […] Ce sont les actions individuelles qui ont permis de briser la chaîne de transmission. »
Ottawa a enregistré un peu plus de 2300 cas de COVID-19 et 263 morts. La médecin-chef affirme que la Ville est capable de contenir la situation, mais elle se dit inquiète par rapport à la situation au sud de la frontière.
« La situation aux États-Unis démontre clairement que le risque de résurgence du virus existe. Les gens parlent d’une deuxième vague en automne, mais cela peut survenir durant l’été. »
Dre Etches affirme que la réouverture des bars représente un risque, appelant les autorités de la Ville à rester vigilantes
.
Au début de la pandémie, avant la mise en place des mesures de distanciation, les chiffres doublaient tous les trois jours et cela peut survenir à nouveau
, met-elle en garde.
J’espère que les gens sont conscients que le virus est toujours présent
, poursuit-elle. Je crois que les messages sur une éventuelle deuxième vague donnent l’impression que le virus a disparu et qu’il pourrait réapparaître, alors qu’ils est toujours là et pourrait se renforcer si nous baissons la garde.
Toronto
La médecin hygiéniste de Toronto, Eileen de Villa, a guidé la plus grande ville du Canada à travers la pandémie avec un optimisme prudent, malgré le fait d’avoir agi moins rapidement qu’ailleurs dans le pays.
Mais, selon la Dre de Villa, la Ville a pu utiliser ce temps supplémentaire pour mieux comprendre la transmission du virus afin de pouvoir le contenir et préparer le déconfinement.
Nous avons été chanceux d’avoir pu apprendre des expériences des autres villes et pays qui ont été touchés avant nous par les éclosions
, a-t-elle affirmé à CBC News.
La situation aux États-Unis et dans d’autres villes canadiennes, comme Montréal, a servi de leçon importante pour Toronto, précise-t-elle. Elle indique qu’avec la réouverture des bars, par exemple, et la consommation de boissons alcoolisées, les gens peuvent être moins prudents
avec les consignes sanitaires.
Elle reconnaît toutefois devoir trouver un juste équilibre
entre ouvrir des espaces de socialisation tout en empêchant les réunions intérieures, comme les soirées privées dans les maisons.
« Les êtres humains sont des créatures sociales, c’est important de garder une connexion physique au-delà des interactions en ligne. C’est un désir très humain. La question est de savoir comment on peut aider les gens à faire cette connexion, mais de façon sécuritaire? »
Toronto a recensé plus de 15 000 cas de COVID-19 depuis le début de la pandémie, avec plus de 1100 morts. Le nombre d’infections a considérablement baissé depuis : 24 malades ont été répertoriés jeudi dernier.
La Dre de Villa affirme qu’il est possible de déconfiner de façon graduelle et sécuritaire, surtout si le niveau de transmission communautaire est bas.
J’ai une grande confiance en la population de Toronto, mais je ne cherche pas la perfection
, a-t-elle affirmé. Je suis mère de trois enfants, et je peux vous assurer que je ne cherche pas la perfection. J’essaie par contre de miser sur les forces de nos communautés afin de les développer.
Québec
Au Québec, province qui a été la plus durement touchée par la pandémie au Canada, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, garde lui aussi un optimisme prudent. Il affirme qu’avec le déconfinement, les enquêtes épidémiologiques, effectuées systématiquement lors de l’apparition de nouveaux cas de COVID-19, se complexifient, vu que le nombre de contacts augmente.
Il insiste sur l’importance de continuer à respecter les mesures de distanciation sociale, en particulier en ce qui concerne les rassemblements privés qui, selon lui, sont plus inquiétants que la réouverture des bars.
Pour le moment, 35 % des nouvelles éclosions sont liées à des fêtes dans des maisons. Celles liées aux bars comptent pour moins de 5 %
, a-t-il dit lors de son passage à Rimouski, dans le Bas-Saint-Laurent, dans le cadre de sa tournée provinciale.
M. Arruda a cependant indiqué que la situation était suivie de près et qu’elle pourrait évoluer au cours des prochaines semaines si certaines éclosions devenaient incontrôlables. Pourrait-on finalement décider de fermer certains bars en particulier? De fermer ceux de Montréal et des environs? Ou de fermer tous les bars du Québec? Ça va dépendre de la situation
, a-t-il dit.
« Tout le monde aurait envie de dire "c’est fini!", moi le premier, mais la menace est encore là. Il y a des cas qui circulent encore. »
Le Québec a enregistré 171 nouveaux cas de COVID-19 au cours des dernières 24 heures, selon les plus récentes statistiques fournies par la santé publique samedi, ce qui porte le bilan à 58 414 infections dans la province.
La province a également annoncé 3 décès supplémentaires en raison de la COVID-19, dont un est survenu avant le 18 juillet. Au total, 5666 personnes ont succombé à la maladie depuis le début de l'épidémie, dont une grande majorité dans des centres de soins de longue durée, notamment à Montréal et en Montérégie.
Malgré cette légère hausse observée depuis plus de dix jours, le gouvernement de François Legault a tout de même annoncé que les rassemblements publics de moins de 250 personnes seront autorisés dès le 3 août.
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Avec les informations d'Adam Miller de CBC News