Ce Canadien d’origine ouïgoure est emprisonné en Chine depuis 14 ans
Huseyincan Celil n'a plus accès à des services consulaires et son fils de 14 ans ne l'a jamais connu.

Huseyincan Celil est devenu canadien en 2005, un an avant d'être arrêté en Ouzbékistan, où il visitait ses beaux-parents.
Photo : La Presse canadienne / Canadian Press/archive/handout photo
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La famille de Huseyincan Celil qui est emprisonné en Chine depuis 2006 prie Ottawa de faire tout en son pouvoir pour le faire libérer, parce qu'elle craint qu'il n'ait été transféré dans un camp de rééducation. Sa femme qui vit en Ontario est sans nouvelle de lui depuis 2014.
Kamila Teledibayeva affirme qu'elle n'a plus de nouvelles de son mari depuis 6 ans et qu'il n'a jamais connu son dernier fils de 14 ans. J'étais enceinte de trois mois lorsqu'il a été appréhendé au cours d'un voyage en Ouzbékistan, où vivent mes parents
, explique la mère de quatre garçons.
À l'époque, Huseyincan Celil avait été détenu quelques semaines avant que les autorités ouzbèkes ne l'extradent vers la Chine, où il a été condamné pour sédition dans le Xinjiang, une province chinoise turcophone et musulmane dans le nord-ouest du pays.
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Les Ouïgours appellent cette région autonome le Turkestan oriental, dont ils réclament l'indépendance.
L'imam de Burlington de 57 ans y a été condamné à mort pour activité terroriste, avant que sa peine ne soit commuée à la réclusion à perpétuité. La Chine ne reconnaît pas sa citoyenneté canadienne.
Mme Teledibayeva trouve que la vie est difficile sans lui, puisqu'elle est seule à pourvoir aux besoins de sa famille depuis 14 ans. Elle travaille comme commis dans des magasins et une pharmacie.
Elle ajoute qu'elle ne peut communiquer avec lui ni avec sa belle-famille à Kashgar et qu'elle ne reçoit aucun courrier de Chine ni aucune communication téléphonique ou par Internet.
Ma belle-soeur avait l'habitude de lui rendre visite en prison deux fois par année, ce qui me permettait d'avoir de ses nouvelles aux six mois, mais les contacts sont rompus depuis maintenant six ans
, poursuit-elle.
« J'ignore s'il a été envoyé dans un camp de travail ou de rééducation, je n'ai plus aucune information à son sujet et je ne peux écrire à sa famille, parce que les autorités chinoises ouvrent et confisquent le courrier international. »
Elle souligne que son mari souffrait de problèmes à l'estomac aux dernières nouvelles et qu'il vivait dans une cellule sans jamais voir la lumière du jour. C'est très difficile, surtout pour mon dernier enfant, et mes trois plus vieux ne l'ont pas vu depuis leur jeune âge
, dit-elle.
Mme Teledibayeva craint que son mari ne subisse un lavage de cerveau s'il a été envoyé dans l'un de ces camps. La Chine le considère comme un terroriste, mais il n'a jamais été impliqué dans des activités terroristes ni affilié à aucun groupe islamique, il est plutôt un défenseur des droits culturels des Ouïgours
, dit-elle.
Parallèle avec l'affaire Huawei
Pour les associations ouïgoures du Canada, le sort de M. Celil est d'autant plus inquiétant que des images et des témoignages commencent à faire surface depuis quelque temps sur l'existence de camps de concentration dans l'ouest de la Chine.
Le groupe canadien Ughur Rights Advocacy Project dit carrément qu'il s'agit de génocide. Son directeur général, Mehmet Tohti, connaît bien M. Celil, mais il regrette que tous ses efforts n'aient pas mené à la libération de son compatriote.
« Il a malheureusement disparu des écrans radars d'Ottawa et il semble que nos relations commerciales avec la Chine aient aveuglé au cours des années les différents gouvernements canadiens à son sujet. »
M. Tohti ajoute que les Canadiens paient le prix pour la faiblesse dont fait preuve Ottawa dans ce dossier et que le gouvernement canadien a privilégié le miracle économique de la Chine à la situation des droits de la personne, parce qu'elle offre de multiples opportunités pour y brasser d'importantes affaires
.
M. Tohti cite le cas des deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig, qui font les frais, selon lui, de la même politique timide du Canada à l'égard de la Chine.
Il ne croit toutefois pas que le Canada ait une politique de deux poids, deux mesures
concernant ces trois Canadiens. Il relève néanmoins le fait que M. Celil a la double nationalité, contrairement aux deux autres.
Amnistie internationale Canada confirme que la double citoyenneté de M. Celil constitue une barrière supplémentaire pour les autorités canadiennes.
Sa directrice générale au Canada francophone, France-Isabelle Langlois, ajoute que les cas de MM. Spavor et Kovrig revêtent une plus grande notoriété dans le contexte de l'affaire Huawei, et qu'il est peut-être plus facile pour Ottawa d'intervenir en leur faveur.
« Malheureusement, et c'est triste à dire, mais les deux Michael sont Canadiens et M. Celil est d'abord un Chinois d'origine ouïgoure... le régime de Pékin le considère donc moins comme un Canadien. »
Autre différence selon elle : M. Celil est de confession musulmane. Pékin voit dans la communauté ouïgoure musulmane un peuple qui parle une langue et pratique une religion qui ne sont pas celles de la Chine, et ça [lui] fait donc très peur de voir qu'il y a des Chinois qui continuent de vivre selon leurs coutumes
, explique-t-elle.
Selon Amnistie, les politiques antiterroristes internationales qui ont été mises en place depuis 2001 donnent par ailleurs plus de latitude à des régimes autoritaires pour agir avec plus d'impunité. Et l'Occident n'est pas en reste, selon elle.
Comme on utilise nous-mêmes cette terminologie-là et qu'on s'en sert pour faire condamner des personnes ou des groupes - qui peuvent parfois être des organisations terroristes mais peut-être pas toujours -, cela donne les coudées franches à des régimes dictatoriaux pour utiliser les mêmes tactiques
, souligne Mme Langlois.
Un génocide calculé
M. Tohti affirme que la population ouïgoure est en chute libre depuis l'application d'un programme de stérilisation des femmes ouïgoures. Le but du régime nationaliste de Pékin est de coloniser les territoires périphériques de son territoire, comme le Turkestan, le Tibet et la Mongolie intérieure, et d'y éliminer les minorités ethniques qui y vivent, à défaut de les assimiler
, dit-il.
En 2015, la Chine comptait 11,7 millions de Ouïgours, d'après les chiffres mêmes des autorités chinoises. Plus de 5 millions ont été internés dans des prisons ou des camps; vous pouvez vous imaginer qu'il ne reste plus grand monde dans les villages de la région où nous étions majoritaires
, soutient M. Tohti.
Il affirme que le degré de persécution et de cruauté contre les Ouïgours est sans précédent par rapport aux autres minorités du pays. Plus de 80 % des femmes en âge d'avoir des enfants ont été stérilisées de force et plus de 80 % des hommes en âge de se reproduire ont été envoyés dans des prisons ou des camps, et de nombreux enfants ont été séparés de leurs familles,
précise-t-il.
Il souligne que Pékin fait fi de toutes les conventions internationales sur les droits de la personne, sur ceux des prisonniers et sur la torture. Notre taux de naissance au Turkestan oriental est tombé à zéro, si bien que le peuple ouïgour aura été exterminé en une génération
, ajoute-t-il.
Le Congrès mondial ouïgour affirmait déjà en 2012 lors des manifestations devant le consulat chinois de Toronto que l'objectif de la Chine consistait à assimiler culturellement les Ouïgours à la majorité Han, voire à les éliminer complètement par nettoyage ethnique.
Rapports indépendants
L'organisation Human Rights Watch (HRW) et Amnistie internationale confirment l'aménagement de tels camps de travail et de rééducation dans la région du Xinjiang.
Amnistie estime ainsi qu'il y a de un à deux millions de Ouïgours emprisonnés en Chine dans ces camps, où le régime de Pékin mène des politiques quasi génocidaires
, selon Mme Langlois.
Mme Langlois ajoute que la Chine est un des régimes les plus répressifs de la planète et qu'il est difficile d'y recueillir des informations de façon indépendante.
Elle précise néanmoins que les rapports de HRW reposaient sur des documents officiels du régime qui avaient fait l'objet de fuites. Ces rapports sont convaincants, avec des photos-satellites et témoignages à l'appui, il ne fait [toutefois] plus aucun doute que ces camps existent, mais il est vrai qu'il est difficile d'avoir l'heure juste
, dit-elle.
M. Celil n'est pas le seul : des dissidents politiques, des intellectuels, des journalistes, des avocats ont connu le même sort, au dire de Mme Langlois. Il y a probablement beaucoup de produits de consommation que nous nous procurons en Occident, comme des vêtements, qui sont faits dans les camps ouïgours
, ajoute-t-elle.
Position du Canada
Dans un communiqué, Affaires mondiales Canada écrit que le gouvernement est alarmé par les rapports faisant état de détentions arbitraires massives, de torture [...] et de stérilisation forcée, qui touchent les Ouïgours et d'autres minorités ethniques et religieuses du Xinjiang, sous prétexte de contrer l'extrémisme
.
« Les actions de la Chine ne sont pas conformes à ses obligations internationales en matière de droits de la personne ni à la stratégie antiterroriste mondiale des Nations unies. »
Kamila Teledibayeva précise que les agents consulaires canadiens n'ont pas vu son mari non plus depuis 2006. Elle demande au gouvernement Trudeau de tout faire pour le faire libérer. Ça suffit, cela fait déjà 14 ans et le Canada sait maintenant ce qui se passe dans ces camps de concentration
, implore-t-elle.
Elle répète que le régime de Pékin n'a aucune preuve contre lui. Dans un courriel, Affaires mondiales dit qu'Ottawa reste profondément préoccupé par son cas. Le gouvernement du Canada profite de toutes les occasions possibles afin de faire pression sur le gouvernement chinois pour qu'il accorde un accès consulaire à M. Celil et nous continuerons à le faire à un haut niveau
, écrit la porte-parole Angela Savard.
Mme Savard ajoute que le gouvernement est en contact avec la famille de M. Celil au pays, mais qu'elle ne peut en dire davantage pour des raisons de confidentialité. Elle affirme néanmoins que le Canada exhorte les autorités chinoises à libérer les Ouïgours et les autres personnes détenues arbitrairement en raison de leur appartenance ethnique et de leur religion
.
Amnistie internationale ne doute pas de la bonne foi du Canada dans le dossier de M. Cellil, mais l'organisation pense qu'Ottawa devrait soulever la question concernant le sort de son ressortissant ouïgour chaque fois qu'il a l'occasion de négocier avec Pékin la libération de MM. Spavor et Kovrig.
Ne serait-ce que d'avoir des nouvelles et des preuves que M. Celil est toujours en vie, de savoir où il est emprisonné, ce serait déjà ça de pris; mais c'est tout ce que le Canada peut faire
, explique Mme Langlois.
Kamila Teledibayeva se dit lassée d'attendre. Elle continue néanmoins de clamer l'innocence de son mari sans savoir s'il est toujours en vie.