Des détenus de la prison d’Ottawa-Carleton lancent une nouvelle grève de la faim

La cour de la prison d'Ottawa-Carleton (archives).
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pour la deuxième fois en un peu moins de deux mois, des personnes incarcérées au Centre de détention d’Ottawa-Carleton (CDOC) — tant des hommes que des femmes — ont entamé jeudi matin une grève de la faim pour réclamer de meilleures conditions et un meilleur traitement.
Une première grève de la faim par 14 prisonniers avait été entamée le 3 juin. Les détenus demandaient alors un meilleur accès à de la nourriture saine, à des produits hygiéniques, à des livres et à la télévision.
L’administration de la prison les avait rencontrés après de 31 heures de grève pour des négociations. Au terme des discussions, le CDOC s’était engagé à honorer les demandes des grévistes, selon un communiqué du Projet de sensibilisation sur la criminalisation et la sanction.

La salle commune à la prison d'Ottawa-Carleton (archives).
Photo : Radio-Canada
Ils ont négocié avec la prison. La prison leur a dit qu’elle allait leur accorder quelques demandes, mais le temps a montré que la prison ne leur a pas accordé ces demandes
, relate Souheil Benslimane, le coordonnateur de la Ligne d’appel de dénonciation et d’information, un organisme qui milite pour les droits des détenus.
Le ministère [du Solliciteur général de l'Ontario] doit bouger. Ils ont poussé les gens à crever de faim pour qu’ils se fassent entendre. Ils ne les traitent pas de manière raisonnable à la prison.
On essaye d’avoir plus de temps dans la cour. À l’heure actuelle, on a une période de 20 minutes chaque jour. On essaye d’en obtenir une le matin et une le soir,
a raconté une détenue dénommée Erica dans un enregistrement diffusé sur Facebook mardi. Sans temps de cour, on n’a pas d’air frais.
La prisonnière a également dénoncé la piètre qualité de la nourriture, l'absence de programmes animés par des bénévoles et l'absence de travail pour les femmes de la prison, alors que les hommes, eux, peuvent travailler.
Des détenus à bout de patience
Ça va durer plus longtemps, c’est sûr
, prévoit M. Benslimane, en faisant référence à la nouvelle mobilisation lancée par les détenus. Il dénonce également l’accès difficile, voire parfois impossible, aux services de santé mentale et à l’aide juridique, de même que la violence à l’endroit des détenus racisés, selon lui.

Le coordonnateur principal de la Ligne d'appel de dénonciation et d'information, Souheil Benslimane (archives).
Photo : Radio-Canada
Cette fois-ci, au moins 70 détenus vont se joindre à la grève de la faim, selon ce qu’a appris Justin Piché, professeur agrégé en criminologie à l’Université d’Ottawa et membre du Projet de sensibilisation sur la criminalisation et la sanction.
Cette mobilisation soulève une certaine inquiétude chez M. Piché, car il s'agit du dernier retranchement pour les détenus.On les supporte, on fait différents moyens de pression et les prisonniers avec qui on travaille ont dit : "Ça ne fonctionne pas, on va prendre ça dans nos propres mains." Nous, on n’aime pas ça, ça met des gens à risque
, explique-t-il.
De son côté, le ministère du Solliciteur général de l’Ontario, l’entité gouvernementale responsable de l’établissement carcéral, indique dans une déclaration écrite que le personnel a entamé le dialogue avec les détenus au [CDOC] au sujet de leurs préoccupations
.
Il réaffirme aussi offrir des services de santé ainsi que des services sociaux et culturels accessibles. La nourriture offerte aux personnes incarcérées (trois repas par jour et une collation) est préparée en fonction des normes du Guide alimentaire canadien, note de surcroît le ministère.
Je pense que le ministère est en train de conter des mensonges
, estime toutefois le professeur Piché, en faisant valoir que si les services et les ressources étaient bel et bien au rendez-vous, les détenus ne mettraient pas leur santé en jeu pour de meilleures conditions de vie.

Le professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa, Justin Piché (archives).
Photo : Radio-Canada
Un système à revoir en profondeur
La déclaration envoyée par le ministère du Solliciteur général se termine en soulignant que le gouvernement provincial a l’intention de bâtir un nouvel établissement dans la région de l’est afin de mieux répondre aux divers besoins de tous les détenus
.
C’est là une fausse bonne idée, selon Justin Piché, car les problèmes du système carcéral dépassent largement les simples infrastructures. Le CDOC, quand il a été construit dans les années 1970, ils ont dit que c’était un centre de réhabilitation, et on sait bien que pendant son histoire, ça n’a pas comblé son mandat
, souligne-t-il.
On pourrait remplacer la prison ici à Ottawa et les mêmes problèmes se reproduiraient
, croit-il.

Certains espaces et installations de la prison d'Ottawa-Carleton sont en piètre état (archives).
Photo : Radio-Canada
Les 500 millions de dollars que compte investir Queen’s Park dans la réfection de ses établissements correctionnels iraient beaucoup plus loin s’ils étaient plutôt dédiés à des programmes de soutien communautaire, de santé mentale, de réduction des méfaits, de prévention et de logement, selon le professeur Piché.
Tout ce qu’on fait, c’est qu’on sort et puis on rechute
, a témoigné Erica, qui a dénoncé le manque de soutient aux personnes libérées. Quand on quitte la prison, on nous renvoie à la rue.
Avec les informations d'Audrey Roy et de Boris Proulx