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Au Liban, un climat « puant » de répression

Le Liban est réputé pour être une oasis de liberté dans le monde arabe, mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un climat « d’intimidation » et de « répression croissante ».

Un graffiti représentant une calligraphie arabe peinte en rouge et noir.

« Liberté », peut-on lire sur ce graffiti dans le centre-ville de Beyrouth.

Photo : AFP / Joseph Eid

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

En proie à la pire crise socioéconomique de son histoire, avec près de la moitié de sa population vivant désormais dans la pauvreté, le Liban connaît depuis octobre 2019 une vague de contestation populaire inédite visant toute la classe dirigeante en place.

Que ce soit dans la rue ou sur les réseaux sociaux, les manifestants ne mâchent pas leurs mots pour dénoncer la corruption, ainsi que l’inaction des autorités face à la chute libre de la monnaie locale, qui a perdu 70 % de sa valeur face au dollar américain.

Mais cette vague de dénonciation n’est pas sans conséquence pour les opposants, dont une soixantaine ont été arrêtés au cours des neuf derniers mois, parfois pour une simple publication sur Facebook, Twitter ou Instagram.

Un activiste tient dans la main un clavier sur lequel il a accroché des menottes en carton.

Selon Human Rights Watch, plus de 4000 personnes ont été convoquées par les autorités policières depuis 2015 pour avoir critiqué le pouvoir.

Photo : AFP / Anwar Amro

Lundi, une coalition d’une quinzaine d’ONG locales et internationales, dont Human Rights Watch, Amnistie internationale, ainsi que le Centre SKeyes pour la liberté de la presse et de la culture, ont fait une sortie publique pour dénoncer les tentatives des autorités libanaises d’étouffer la liberté d’expression au pays.

La coalition dénonce notamment une récente décision du procureur général de la République qui a ordonné à une agence sécuritaire d’enquêter sur les publications portant atteinte au président Michel Aoun sur les réseaux sociaux. Insulter le chef de l’État pourrait ainsi coûter jusqu’à deux ans de prison, selon les ONG.

Ayman Mhanna, directeur du Centre SKeyes, affirme que son organisme recense tous les mois une quinzaine d’agressions physiques contre des journalistes couvrant des événements sur le terrain, ainsi qu’une douzaine d’interpellations par les autorités sécuritaires.

Le président Aoun prononçant un discours devant plusieurs drapeaux libanais.

Le président libanais Michel Aoun

Photo : Reuters / Mohamed Azakir

Contacté par téléphone, il affirme que la critique du pouvoir est très peu tolérée aujourd’hui au Liban et accuse les partis au pouvoir de faire tout leur possible pour museler les voix indépendantes.

Il donne l’exemple d’un blogueur et activiste qui a été arrêté par les services de renseignement de l’armée il y a quelques mois pour avoir critiqué avec sarcasme les propos du président Aoun, qui avait appelé ses opposants à quitter le pays. En mai, un activiste de 28 ans a été attaqué par une quinzaine de partisans du mouvement Amal, le parti du président du Parlement, Nabih Berry. Sur Facebook, il avait suggéré d'éteindre les lumières de la résidence de M. Berry pour rétablir le courant dans les maisons des citoyens, critiquant ainsi le rationnement endémique de l’électricité, 25 ans après la fin de la guerre civile.

« Les autorités essaient de cacher leur échec à résoudre les problèmes socioéconomiques et politiques du pays en empêchant les gens de s’exprimer librement. »

— Une citation de  Ayman Mhanna
Une rue éclairée seulement par les phares d'une voiture.

Une rue de Beyrouth plongée dans le noir total en raison du rationnement de l'électricité.

Photo : Reuters / Mohamed Azakir

Plus récemment, l’armée a annoncé avoir ressuscité un règlement datant de 1998 qui interdit aux journalistes travaillant pour les médias étrangers d’exercer leur métier sur l’ensemble du territoire libanais sans permis. Cette mesure n’était pourtant appliquée auparavant que dans les zones dites sensibles, contrôlées par le Hezbollah, dans les régions limitrophes de la Syrie et d’Israël.

M. Mhanna dit craindre une recrudescence de la répression visant les manifestants, loin des objectifs des médias internationaux.

On ne sait pas quel sera le degré de tolérance des autorités face aux prochains signes de mécontentement populaire, dit-il. Donc oui, les autorités sont peut-être en train de préparer le terrain en limitant l’accès aux médias internationaux.

« Il y a une véritable tendance à la répression croissante qui existe dans le pays. Il y a un climat délétère et puant au niveau de la liberté d’expression. Chaque parti au pouvoir ainsi que les institutions militaires, sécuritaires et judiciaires sont responsables de cette situation. »

— Une citation de  Ayman Mhanna
Un jeune brandissant une pancarte au milieu d'une foule sur une place publique.

« Non à la répression des révolutionnaires. L'État a peur du peuple et le réprime par la violence », lit-on sur cette pancarte brandie par un manifestant à Tripoli, dans le nord du Liban.

Photo : AFP / Ibrahim Chalhoub

Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et professeur à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, fait le même constat. Selon lui, aucun parti politique ne détient le monopole de cette répression politico-juridique. Il y a malheureusement une culture de répression qui est en train de s’installer, dénonce-t-il.

« Ça fait plus de deux ans que les libertés publiques se réduisent comme une peau de chagrin au Liban. […] Une rupture avec l’exception que représentait le pays dans la région au niveau des libertés, et c’est quelque chose de particulièrement inquiétant. »

— Une citation de  Karim Émile Bitar

C’est comme si, à défaut de pouvoir résoudre les complexes problèmes économiques et sociaux, les autorités veulent faire taire les critiques pour éviter un effet boule de neige et envoyer un message clair au reste de la société civile, analyse le chercheur.

Il affirme toutefois que la situation reste moins alarmante que dans le reste du monde arabe, comme en Syrie, où le régime est accusé de crimes de guerre, ou en Égypte, qui compte 60 000 prisonniers politiques, par exemple.

M. Bitar estime par ailleurs que la détérioration de la liberté d’expression dans le pays du cèdre s’inscrit dans une tendance mondiale marquée par un retour à l’autoritarisme et au nationalisme, où la critique et l’ironie ne sont pas tolérées.

Mais ce n’est pas en pleine crise socioéconomique qu’on va réussir à faire taire les citoyens, assure-t-il. Il est temps de réaffirmer l’exception libanaise.

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