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10 ans après le G20 à Toronto, la brutalité policière toujours d’actualité

Le protestataire est couché sur le ventre, avec derrière lui un mur de policiers en marche.

Manifestation en marge du G20 à Toronto en juin 2010.

Photo : La Presse canadienne / Adrien Veczan

Le récent mouvement antiracisme aux États-Unis coïncide avec le dixième anniversaire des arrestations illégales qui sont survenues lors du sommet du G20 à Toronto en juin 2010. Dix ans plus tard, certains se demandent encore si la police a appris de ses erreurs.

Un homme avec des lunettes.

Le concepteur en graphisme Jay Wall avait été arrêté à 23 ans durant le G20 de Toronto.

Photo : AVEC L'AUTORISATION DE JAY WALL

Jay Wall affirme qu'il est toujours traumatisé par ce qu'il a vécu. À l'époque, il rentrait chez lui lorsque la police l'a appréhendé manu militari, parce qu'il avait noué un bandeau autour de son cou.

Les policiers l'ont accusé de porter un déguisement dans le but de commettre un méfait. On m'a menotté, fouillé et détenu pendant plus de 24 heures sans m'accorder le droit d'appeler un avocat ou ma famille qui s'inquiétait de ma disparition, se souvient-il.

Au total, ce sont plus de 1100 manifestants innocents qui ont été arrêtés dans la rue ou dans deux rassemblements devant le Novotel le soir du 26 juin et à l'angle des rues Queen et Spadina l'après-midi du 27 juin.

La police a toujours dit qu'elle avait fait de son mieux pour maintenir la paix et défendre la ville des pilleurs et des vandales.

Une voiture de police en flammes.

Des violences avaient secoué le centre-ville de Toronto.

Photo : Radio-Canada

Tommy Taylor se rappelle que près de 250 personnes s'étaient rassemblées devant le Novotel pour chanter et participer à un sit-in pacifique. La police antiémeute est alors arrivée et nous a pris en souricière, on ne pouvait aller nulle part, même ceux qui sortaient des restaurants ou qui rentraient chez eux ont été appréhendés pour atteinte à l'ordre public, dit-il.

Nous portions un numéro au poignet, certains avaient du sang au visage, les femmes étaient séparées des hommes, les gays des hétéros, nous n'avions ni eau ni nourriture, l'éclairage y était permanent et il y faisait froid.

Une citation de Tommy Taylor, victime innocente du G20

Il explique qu'ils ont tous été transférés dans une prison improvisée dans un studio de cinéma, où les conditions étaient inhumaines et surréalistes. Il se souvient d'un labyrinthe de rangées infinies de cages dans lesquelles s'entassait une trentaine d'individus à côté d'une toilette portable sans porte.

Un homme avec une barbe dans la rue.

Le travailleur social Tommy Taylor n'avait jamais participé à une manifestation avant le G20.

Photo : Radio-Canada / Julia Kozak

Tommy Taylor se rappelle qu'il a été enfermé avec trois hommes noirs de Rexdale qui n'avaient aucune idée de ce qu'était le G20. Ils semblaient avoir fait les frais du sadisme de certains policiers, poursuit-il.

Un amendement controversé

Le professeur adjoint de droit à l'Université d'Ottawa, Joao Velloso, rappelle que l'Ontario avait modifié dans la nuit la Loi ontarienne sur la protection des biens publics, ce qui avait permis d'accroître le pouvoir des policiers durant les sommets du G8 et du G20.

La législation qui datait de 1939 avait en fait été tout simplement étendue au périmètre de sécurité du G20 pour une semaine pour permettre aux policiers d'appréhender quiconque s'approchait à moins de cinq mètres de la clôture de sécurité au centre-ville.

Confrontation entre les policiers et les manifestants.

Confrontation entre policiers et manifestants lors du G20 à Toronto.

Photo : La Presse canadienne / Darren Calabrese

L'Association canadienne des libertés civiles parle d'une approche militaire. Les manifestants étaient coupables par association, tous étaient devenus suspects à cause de l'infiltration du Black Bloc, mais la réaction des policiers a été largement exagérée par rapport à une telle menace, explique Cara Zwibel, la directrice du programme des libertés fondamentales au sein de l'association.

Une cage avec une toilette sans porte.

L'une des cages avec toilette portative qui avaient été installées durant le G20 dans un studio de cinéma de Toronto.

Photo : Radio-Canada

Les marchés financiers et l'économie mondiale étaient à l'ordre du jour du G20. Les pays membres avaient signé une entente qui les engageait à soutenir la reprise économique après la crise de 2008 et à réduire de moitié leurs déficits budgétaires en trois ans. Les manifestants y avaient formulé des revendications hétéroclites au sujet de la pauvreté, du travail ou de l'environnement.

M. Velloso affirme que le bilan des événements de 2010 est mitigé dix ans plus tard. Il croit que certains corps de police ont appris quelques leçons.

300 manifestants et passants ont été encerclés par la police le 27 juin 2010 lors du sommet du G20 à Toronto.

300 manifestants et passants ont été encerclés par la police à l'intersection Queen et Spadina le 27 juin 2010 à Toronto.

Photo : La Presse canadienne / Chris Young

Selon lui, les manifestations étudiantes au Québec, l'année suivante, ont montré que la police de Montréal avait fait preuve d'un peu plus de retenue, en utilisant des règlements qui existaient déjà pour faire respecter la loi et l'ordre, comme le code de sécurité routière.

Lors de la grève étudiante, la police n'a pas utilisé la loi spéciale que la province avait adoptée comme en Ontario, elle a fait plus attention, parce qu'elle savait très bien qu'elle ne pouvait aller aussi loin que la police de Toronto neuf mois plus tôt.

Une citation de Joao Velloso, professeur adjoint à l'Université d'Ottawa

L'avocate Angela Chaisson qui a représenté des plaignants du G20 ajoute que la police n'a au contraire rien appris en dix ans. La police continue d'arrêter des innocents en toute impunité pour justifier et camoufler sa propre inconduite, c'est honteux, dit-elle.

Une avocate au micro.

L'avocate Angela Chaisson a représenté quelques clients dans leur plainte contre le G20 pour arrestation arbitraire.

Photo : Radio-Canada / Julia Kosak

Jay Wall précise que son expérience lui a fait ouvrir les yeux sur les problèmes de justice raciale dans la société. J'étais un jeune Blanc privilégié, je n'avais jamais été victime de brutalité policière auparavant, je comprends mieux maintenant ce que les minorités noires et les Premières Nations doivent endurer au quotidien au pays, souligne-t-il.

Rapports d'enquête

Deux rapports indépendants ont sévèrement critiqué et blâmé la police de Toronto pour l'usage excessif de la force et ces arrestations massives arbitraires et injustifiées.

L'ancien ombudsman André Marin avait accusé le gouvernement McGuinty d'avoir eu l'ignominie de modifier en secret une vieille loi, qui a permis à la police de Toronto d'utiliser d'énormes pouvoirs extraordinaires et qui n'aurait jamais dû être promulguée.

L'ancien ombudsman de l'Ontario, André Marin.

L'ancien ombudsman de l'Ontario, André Marin.

Photo : La Presse canadienne / Aaron Vincent Elkaim

L'ancien juge John Morden avait écrit que les agences civiles de surveillance de la police avaient été tenues à l'écart dans les préparatifs du G20 et que le plan de sécurité de la police avait été établi sans délibérations, ni aucune coopération ni aucune planification.

Dans un communiqué, le ministère de la Solliciteure générale de l'Ontario écrit que la province a mis en oeuvre en 2014 les recommandations qui lui avaient été présentées, en remplaçant la loi de 1939 par une nouvelle législation sur la sécurité des centrales électriques et des installations nucléaires.

La solliciteure générale de l'Ontario, Sylvia Jones, répond à une question.

La solliciteure générale de l'Ontario, Sylvia Jones

Photo : La Presse canadienne / Frank Gunn

La police de Toronto avait ouvert une enquête interne sur les événements du G20. Le rapport révèle que le service de police de Toronto était dépassé par un événement d'une telle envergure et qu'il n'était pas préparé à y faire face.

Le cas du surintendant Fenton

Seul le surintendant de police Mark Fenton avait été condamné devant un tribunal disciplinaire pour inconduite professionnelle en 2016 relativement à sa gestion des manifestations dans la métropole.

M. Fenton a été le bouc émissaire dans cette affaire, ce qui a permis d'épargner le chef de police Bill Blair, qui est par la suite devenu ministre dans le cabinet Trudeau, et le premier ministre Harper, qui avait choisi Toronto pour y organiser le sommet, rappelle John Sewell de la Coalition torontoise sur la responsabilisation de la police.

Le surintendant de police Mark Fenton.

Le surintendant Mark Fenton était le numéro trois du service de police de Toronto lors du G20.

Photo : La Presse canadienne / Colin Perkel

Dans un communiqué, le bureau du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile écrit que [Bill] Blair a passé sa carrière à servir le public [et que] le gouvernement s'est engagé à protéger les droits constitutionnels de manifester en paix et en toute légalité dans le respect des lois.

Un manque de transparence

Cara Zwibel pense que les corps de police ont retenu certaines leçons, en adoptant certaines recommandations proposées dans ces rapports. Ces propositions n'ont toutefois pas encore été assimilées à la culture policière et aux mentalités des policiers, dit-elle.

Bill Blair avec un écouteur sur l'oreille droite, devant des drapeaux du Canada.

Le ministre Bill Blair était le chef de la police de Toronto lors du G20.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

La police de Toronto refuse néanmoins d'expliquer ce qu'elle a modifié dans son approche depuis dix ans. Dans un courriel, elle écrit que [son] service n'est pas autorisé à divulguer ses mesures de commandement opérationnel.

L'avocate Angela Chaisson ne se dit pas surprise par ce qu'elle qualifie de manque de transparence, inhérent aux corps de police selon elle.

Recours et poursuites civiles

Certains recours collectifs, comme celui de Tommy Taylor, sont toujours devant les tribunaux. Jay Wall a en revanche obtenu gain de cause à la suite de sa poursuite contre la police de Toronto. Il n'est toutefois pas autorisé à en parler en vertu d'une entente confidentielle. Le policier qui m'a arrêté ce jour-là n'a eu qu'une sanction minime, regrette-t-il.

Un homme avec des lunettes.

John Sewell a été maire de Toronto de 1978 à 1980.

Photo : Radio-Canada / Vedran Lesic

M. Sewell affirme que la province aurait dû à l'époque commander une enquête publique, parce que la police avait perdu le contrôle de la situation. Il y voit un problème de leadership de l'ancien premier ministre Dalton McGuinty.

Avec une enquête indépendante, nous aurions pu identifier des failles dans le système et émettre des recommandations pour que cela ne se reproduise plus jamais.

Une citation de John Sewell, coordinateur de la Coalition torontoise sur la responsabilisation de la police

L'Association canadienne des libertés civiles demande aux gouvernements de faire en sorte que les corps de police soient davantage tenus de rendre des comptes et que les organismes civils de surveillance de la police aient de meilleurs pouvoirs d'enquête, parce que le droit de protester est, selon elle, inaliénable dans toute démocratie.

Il existe une fausse conception selon laquelle des protestataires seront toujours les ennemis de la police qui se voit toujours comme la seule représentante de l'ordre et non une facilitatrice de manifestations.

Une citation de Cara Zwibel, de l'Association canadienne des libertés civiles

L'avocate Angela Chaisson ajoute néanmoins qu'elle dissuade souvent ses clients de porter plainte contre la police, parce que les policiers sont rarement sanctionnés pour leurs fautes. Le processus est ardu et le montant des réclamations est limité, explique-t-elle. Les gouvernements et les tribunaux, plutôt que des organismes civils, devraient être interpellés selon elle pour mettre fin à ce qu'elle perçoit comme une injustice.

Un chef de police noir agenouillé dans la rue.

Le chef de la police Mark Saunders au milieu d'une manifestation contre le racisme au début juin à Toronto.

Photo : Radio-Canada / CBC

Mme Zwibel avoue que les choses changent petit à petit et que les récentes manifestations contre le racisme ont donné des signes encourageants, parce que les policiers ont suivi les manifestants dans leur récent mouvement contre le racisme. Le chef de police Mark Saunders s'est même agenouillé avec eux sur la chaussée en signe de solidarité et il n'y a eu aucun débordement à Toronto, rappelle-t-elle.

L'avocate Angela Chaisson ajoute toutefois un bémol à un comportement aussi symbolique. Bravo pour le geste, mais une telle conduite ne veut rien dire si les actions ne suivent pas les paroles, conclut-elle.

Des civils arrêtés par la police, les mains sur la tête.

Les arrestations massives devant le Novotel lors du G20 à Toronto le 26 juin 2010.

Photo : AFP

Tous reconnaissent qu'il est aujourd'hui devenu prioritaire que les corps de police soient soumis à de profondes réformes pour éradiquer la violence policière.

Jay Wall prône même le définancement des services de police pour rendre les communautés plus sécuritaires. Une idée qui commence aujourd'hui à peine à faire du chemin, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans.

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