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Victoire des parents francophones de la C.-B. dans la cause sur l’éducation en français

Des élèves lèvent la main dans une classe.

Le reportage de Benoît Ferradini.

Photo : iStock

  • Timothé Matte-Bergeron

La Cour suprême du Canada a tranché en faveur du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF), de la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique et de parents co-appelants dans la cause sur le financement de l’éducation en français, et jugé que, comme la province a contrevenu à leurs droits linguistiques, ces derniers ont droit à une réparation.

Victoria devra donc verser 7,1 millions de dollars au CSF.

Les juges forcent aussi la province à faciliter la construction de plusieurs écoles dites homogènes, c’est-à-dire complètement francophones, en vertu d’un droit pour la minorité à une expérience éducative équivalente à celle de la majorité anglophone.

C’est une énorme victoire, déclare la présidente du CSF, Marie-Pierre Lavoie. C’est nos enfants qui vont en bénéficier, c’est la communauté et la pérennité de notre communauté.

Ce jugement fort attendu pourrait avoir des effets majeurs sur l’avenir de l’éducation en français et de la francophonie dans d’autres provinces à majorité anglophone.

Le Conseil scolaire francophone et la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique (FPFCB) alléguaient qu’un sous-financement chronique des établissements scolaires primaires et secondaires francophones dans la province constituait une violation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Cette disposition protège le droit sur le plan constitutionnel, pour les parents francophones et anglophones en milieu minoritaire, à l’instruction de leurs enfants dans leur langue si un nombre suffisant d’élèves le justifie, et oblige les provinces à financer les écoles où se déroule cette éducation.

Le plus haut tribunal du pays, à 7 juges contre 2 (Nouvelle fenêtre), sous la plume du juge en chef, Richard Wagner, donne ainsi raison au CSF et à la FPFCB, selon lesquels le gouvernement de la Colombie-Britannique finance insuffisamment le système d’éducation en français, ce qui met en péril la vitalité de la communauté francophone.

La présidente de la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique, Suzanna Straus, et la présidente du CSF, Marie-Pierre Lavoie, réagissent avec émotion à la décision de la Cour suprême du Canada.

Ils réclamaient une injection supplémentaire de fonds pour l’agrandissement, la réfection et la construction d’écoles, afin d’être en mesure de fournir une instruction et des services de qualité équivalente au système scolaire anglophone.

C’est une grande journée pour notre avenir, pour nos enfants, lance la présidente de la FPFCB, Suzanna Straus, émue, à propos des possibilités créées par cette décision. On n’aura plus à faire ce choix difficile entre notre culture et des programmes anglophones.

La Cour suprême confirme qu’au moins une dizaine d’écoles francophones homogènes devront être financées par la province, qui doit reprendre les négociations avec le Conseil scolaire francophone.

Toutefois, le tribunal ne fixe pas d’échéancier précis pour la construction de ces écoles.

On ne sait pas exactement quand les premières pelletées de terre seront effectivement faites, dit la professeure Stéphanie Chouinard, du Département de science politique du Collège militaire royal du Canada, qui qualifie cependant de généreuse l’interprétation de l'article 23 faite par la Cour.

Le juge Wagner affirme dans sa décision qu’il est acceptable que la province demande au CSF de prioriser certains projets de construction – donc, d’en laisser d’autres de côté temporairement – pour l’obtention du financement, ajoutant que la province doit réparer les violations du droit à l’instruction dans la langue de la minorité dans un délai utile.

L'avocat Mark Power en entrevue aux studios de Vancouver.

L'avocat Mark Power.

Photo : Radio-Canada / Alex Lamic

Selon l’avocat Mark Power, qui représente les groupes francophones, la cour fixe des règles claires et justes, et vient donner des arguments de poids aux francophones pour les négociations à venir.

C’est un rétablissement, une correction de l’inégalité de pouvoir qui persiste depuis trop longtemps entre le CSF et le gouvernement provincial, dit-il.

Le CSF offre actuellement des services à 6200 élèves dans l’ensemble de la Colombie-Britannique, répartis dans 43 établissements.

Rejet des arguments d’ordre financier

La Colombie-Britannique plaidait qu’il peut être justifié, pour des raisons économiques, de contrevenir à l’article 23 dans des limites qui soient raisonnables – ce que permet l’article premier de la Charte.

En première instance, la juge Loryl Russel, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, avait donné raison, sur ce point, à la province, une décision confirmée par la Cour d’appel.

Une statue représentant la justice dans le hall de la Cour suprême de la province.

La Cour suprême de la Colombie-Britannique à Vancouver

Photo : Radio-Canada / Noémie Moukanda

La Cour suprême réinstaure toutefois une partie de la décision de première instance qu’avait infirmée la Cour d’appel, en forçant la province à verser 6 millions de dollars au CSF en lien avec le transport scolaire.

Les juges rejettent aussi le recours à l’article premier de la Charte.

« Les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue un objectif urgent et réel permettant de justifier des violations de l’article 23 », écrit le juge en chef Richard Wagner, au nom de la majorité. Les deux juges dissidents appuient cette conclusion.

Le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique affirme, dans une déclaration, respecter la position et l’approche préconisées.

La complexité de l’affaire exige que nous prenions le temps de bien étudier la décision et de déterminer les prochaines étapes, écrit un porte-parole par courriel. Nous continuerons de travailler avec la communauté francophone de la Colombie-Britannique pour faire en sorte que les droits à l’éducation en langue minoritaire soient respectés.

Une affaire suivie partout au pays

C’est une décision historique pour l’ensemble de nos communautés d’un bout à l’autre du pays, déclare le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Jean Johnson.

Le président de la Fédération des communautés  francophones et acadienne (FCFA) Jean Johnson

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) Jean Johnson

Photo : Radio-Canada / ICI Radio-Canada

À son avis, ce jugement sera important en dehors de la Colombie-Britannique. [Il] impose la même responsabilité à tous les gouvernements provinciaux et territoriaux au Canada.

M. Johnson a d’ailleurs tenu à souligner la persistance et la persévérance du conseil scolaire et des parents francophones de la province de l’Ouest, qui ont présenté cette affaire devant les tribunaux en 2010.

Je dois les féliciter d’avoir porté à bout de bras ce fardeau pendant 10 ans : chapeau, bravo!

Une citation de Jean Johnson, président de la FCFA

Lors des audiences de septembre dernier, à Winnipeg, un territoire et cinq provinces à majorité anglophone sont intervenus, ainsi qu’une dizaine d’organismes francophones et anglophones et une organisation autochtone.

La Fédération nationale des conseils scolaires francophones était l’un de ces intervenants.

Son président, Louis Arsenault, se félicite que la Cour écarte l’argument que la Colombie-Britannique faisait valoir quant à la possibilité de contrevenir à l’article 23 pour des raisons financières, un aspect qu’ont fait valoir les autres provinces dans leurs interventions.

Louis Arseneault, président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Louis Arseneault, président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.

Photo : Radio-Canada / Justin Fraser

Au coeur de la décision, [il y a] la survie de la francophonie dans le pays, parce que, une fois qu’on perd nos écoles, on perd nos enfants et la nouvelle génération, dit-il.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a aussi commenté la décision lors de son point de presse quotidien sur l’évolution de la pandémie au pays, la qualifiant de bonne nouvelle pour les communautés linguistiques minoritaires.

[Ces] communautés nous disent que les provinces ne financent pas assez, a-t-il déclaré. On espère que les provinces vont mieux respecter les communautés. Au fédéral, on va être là pour aider, mais on reconnaît la compétence des provinces.

Moins grande judiciarisation des droits linguistiques à l’avenir?

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, qui avait le statut d’intervenant lors des audiences en septembre dernier, applaudit pour sa part l’interprétation libérale et très large des droits linguistiques par la Cour suprême du Canada.

Raymond Théberge est le commissaire aux langues officielles au Canada

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge

Photo : Radio-Canada

Ce jugement le dit très clairement : les jeunes dans les écoles francophones en milieu minoritaire ont droit à une éducation équivalente à [celle] la majorité, dit-il.

On ne veut pas de systèmes d’éducation à deux vitesses, on veut des systèmes d’éducation de même niveau

Une citation de Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles

La Cour, dans sa décision, fait un travail de clarification important quant à l’interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne, affirme M. Théberge, afin de limiter à l’avenir une judiciarisation excessive des droits linguistiques, qui entraîne souvent de longs délais devant les tribunaux, coûteux en argent et en effort.

Dans la décision, on veut limiter ce genre de périple sur une dizaine d’années pour en arriver finalement à la décision qui était évidente, d’une certaine façon : qu’il faut assurer l’égalité réelle des langues officielles au Canada, conclut-il.

  • Timothé Matte-Bergeron

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