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Moderniser la police et bâtir des ponts : la lourde mission qu'avait Mark Saunders

Le chef Saunders s'exprime à un micro devant les médias.

Le chef Mark Saunders a annoncé qu'il quittera la police de Toronto le 31 juillet.

Photo : La Presse canadienne / Christopher Katsarov

Le chef du Service de police de Toronto voulait moderniser la police et améliorer les relations avec les communautés de la métropole ontarienne. Cinq ans après sa nomination, alors que Mark Saunders choisit de prendre sa retraite, les choses ont-elles changé?

La confiance du public est importante pour moi. Je veux parler avec la communauté, être à l'écoute de ses besoins et réparer ce qui doit être réparé.

Au moment de sa nomination en 2015, Mark Saunders avait présenté ainsi sa vision.

Interrogé sur ce dont il était le plus fier, à l’annonce de son départ lundi, il a évoqué le groupe de travail responsable de la modernisation du Service de police de Toronto. Cependant, malgré un plan d’action déposé en 2017, cette initiative de réforme ne s’est jamais véritablement concrétisée.

Un homme, avec une casquette, portant un masque, à l'extérieur.

Louis March est activiste communautaire.

Photo : Radio-Canada / Pierre-Olivier Bernatchez

Louis March, activiste communautaire et fondateur du mouvement Zero Gun Violence, estime que le chef Saunders est arrivé en poste avec de bonnes intentions. Il a été capable de lancer ce groupe de travail. Il a aussi dit qu’il placerait des agents dans les communautés pour de plus longues périodes, et qu’il allait utiliser la technologie.

Il croit toutefois que l’impact de ces mesures n’a pas été significatif. Il pouvait parler depuis son bureau et faire part de ses intentions, mais certains policiers sur le terrain n’avaient pas reçu le message.

Son héritage, c’est une feuille de route, et le plan était clair. Mais il s’agissait de le matérialiser, de l’opérationnaliser.

Une citation de Louis March, fondateur du groupe Zero Gun Violence

Pendant ce temps, la violence armée a continué d’augmenter pour atteindre des sommets, et Louis March juge qu’il y a maintenant à Toronto un niveau de peur et de désespoir qu’on n’avait pas vu avant.

Perceptions difficiles à changer

Akwasi Owusu-Bempah, professeur de sociologie à l’Université de Toronto, constate qu’il y a encore du travail à faire pour améliorer le lien de confiance. Son équipe vient d’ailleurs de terminer une étude menée auprès de divers groupes dans le Grand Toronto et portant sur la perception des policiers. Cette étude a été commandée par l'Association des avocats noirs du Canada.

Ce que l'on voit, c’est que la confiance envers la police est restée à peu près au même niveau en 25 ans. Et les impressions de préjugés de la part de la police ont augmenté, signale-t-il.

Un homme avec une chemise bleu pâle.

Akwasi Owusu-Bempah, professeur de sociologie à l'Université de Toronto

Photo : CBC

Il estime que de nombreux facteurs y contribuent, mais mentionne, entre autres, l’impact qu'a eu le fichage. Même si la pratique de contrôler l'identité et d'interroger de façon aléatoire quelqu'un dans la rue a été restreinte en Ontario, elle est venue entacher le blason du Service de police de Toronto. Akwasi Owusu-Bempah évoque aussi la mort d’Andrew Loku, tué par la police.

Malgré les efforts pour améliorer la perception de la police, il suffit d’un seul exemple individuel d’abus policier ou d’acte répréhensible.

Une citation de Akwasi Owusu-Bempah, professeur de sociologie

Il y a un sentiment, dans la rue, que si des améliorations peuvent arriver, elles peuvent aussi rapidement être défaites par les agissements d’un seul policier, captés sur vidéo, renchérit Louis March.

Limites et obstacles

L’avocat torontois Knia Singh, lui, décèle une évolution chez Mark Saunders lors de ses années comme chef, face à ces enjeux. J’ai entendu son vocabulaire changer récemment. Il parlait de plus en plus de s’attaquer aux racines de la violence.

Au départ, c’était une approche très policière, et il soutenait l’approche du fichage en disant que, si c'était bien fait, ça pouvait être utile, relate Me Singh. Mais nous avons démontré que de recueillir de l’information de façon aléatoire auprès des gens de couleur est une mauvaise idée. Et il a recentré sa position, pour ensuite aller jusqu’à réaliser l’injustice, selon moi.

Un homme noir, portant des lunettes, vêtu d'un complet cravate, assis dans un bureau devant un écran.

Knia Singh est avocat chez Ma'at Legal Services.

Photo : Zoom

Il affirme que Mark Saunders a travaillé fort à transformer la police et que ses objectifs étaient ambitieux. Mais je soupçonne aussi qu’il a fait face à beaucoup de résistance en tentant des changements, relève-t-il.

Je pense qu’il est confronté à de nombreux obstacles au sein de la police, en tant que Noir et en tant que chef. C’était un équilibre difficile. Je n’enviais pas son poste.

Une citation de Knia Singh, avocat

Louis March reconnaît aussi que tout chef fait face aux intérêts des gouvernements et de l’Association de police de Toronto, en plus de devoir affronter la culture policière.

Qui tire les ficelles? Est-ce que c’est le maire, le premier ministre, le syndicat, l’opinion publique? Les intérêts politiques?

Il y avait beaucoup d’attentes, mais il y avait la réalité de ce qu’il pouvait faire seul. Il a fait des déclarations, il est venu dans les communautés et a essayé de les rejoindre. Mais ce n’est pas un spectacle solo. Dans un cirque ou une pièce de théâtre, il y a beaucoup d’acteurs.

Un autre candidat?

Le professeur Owusu-Bempah pense que Mark Saunders était le candidat du statu quo, qui convenait à la Commission de police. Il se demande toutefois si les choses auraient été différentes si Peter Sloly, un autre candidat en lice en 2015, avait été choisi.

Peter Sloly dans une mêlée de presse.

Peter Sloly était dans la course pour devenir chef de la police de Toronto, face à Mark Saunders.

Photo : Radio-Canada / Lorian Bélanger

Si la Commission a nommé Saunders, c’est qu’il avait démontré qu’il était un policier et un leader efficace. Mais par rapport à la perception du public, et l’idée de tenter sérieusement de bâtir des ponts, Peter Sloly semblait un candidat mieux équipé. Il était chef adjoint, il rivalisait pour le poste, et il avait des liens plus forts avec les diverses communautés. Il avait aussi démontré qu’il était progressiste sur des enjeux d’injustice raciale et d’égalité.

Peter Sloly est maintenant devenu le chef de la police d’Ottawa. Sur Twitter mardi après-midi, il a tenu à réaffirmer son engagement auprès de la Ville d’Ottawa et son service de police, qu’il honorera jusqu’au bout, dit-il.

Succession

La grande question maintenant concerne le successeur qui sera choisi à M. Saunders. Surtout dans le contexte actuel, où la volonté de changement réel prend la forme de grandes manifestations contre le racisme et la brutalité policière partout dans le monde, y compris à Toronto.

J’espère que la Commission de police va reconnaître qu’il y a ces appels à de sérieuses réformes. Ils ont un travail important, celui d’identifier quelqu’un qui peut travailler avec divers groupes, mais qui est déterminé et équipé pour avancer et pour trouver des solutions, commente Akwasi Owusu-Bempah.

J’espère vraiment qu’ils ne nommeront pas un chef qui veut revenir en arrière, résume pour sa part Knia Singh.

Pour ce qui est de l’avenir de Mark Saunders, il estime que son expérience sera utile de bien des façons en dehors de la police.

Il en a vu beaucoup, comme policier. Il a pu comprendre ce qui se passe du côté de l’oppression, la discrimination, la pauvreté et les résultats de tout ça. Il peut maintenant retourner la lentille. Il peut être un atout, et moi je l’accueillerais de ce côté de la barrière.

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