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Héros ou tortionnaire? Un ex-responsable saoudien au Canada sème la controverse

La présence de Saad Al-Jabri, ancien homme fort des services de renseignements saoudiens, en exil au Canada, suscite l'indignation de dissidents qui veulent le poursuivre en justice.

Un homme portant l'habit traditionnel saoudien et des lunettes en face d'une bibliothèque.

L’ancien responsable sécuritaire saoudien Saad Al-Jabri lors d’une rencontre entre une délégation de l’Arabie saoudite et l’ancien président américain Barack Obama, à Washington le 13 mai 2015.

Photo : Getty Images / Olivier Douliery

S’il en est un qui connaît les secrets d’État de l’Arabie saoudite, c’est bien Saad Al-Jabri. Ancien bras droit de l’ancien prince héritier et ancien ministre saoudien de l’Intérieur, Mohammad ben Nayef, M. Al-Jabri a orchestré la lutte antiterroriste contre Al-Qaïda et était chargé de faire le lien entre les services de renseignements saoudiens et occidentaux, dont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Grande-Bretagne.

Cet ancien militaire de 61 ans a fui son pays vers les États-Unis en 2017, peu avant la vaste purge anticorruption durant laquelle le prince héritier actuel, Mohammed ben Salmane, avait séquestré plus de 200 personnalités proches de la famille royale dans l’hôtel Ritz-Carlton. M. Al-Jabri se serait ensuite rendu au Canada, où habite un de ses fils, Khalid Al-Jabri, cardiologue à Toronto.

Dans une rare entrevue accordée il y a deux semaines au journal britannique The Times, l’ancien haut responsable saoudien affirme que deux de ses enfants – Omar Al-Jabri, 21 ans, et Sarah Al-Jabri, 20 ans –, qui n’ont pas été autorisés à quitter Riyad, ainsi que son frère, ont été arrêtés en mars dernier par les autorités.

Selon lui, il s’agit d’une tactique de pression pour qu’il retourne dans son pays. Il affirme que sa vie y est menacée.

Photo combinée montrant une jeune femme portant une robe et un voile blanc et un jeune homme portant une tenue de la marque Adidas.

Sarah Al-Jabri et Omar Al-Jabri.

Photo : Human Rights Watch

L’organisation pour la défense des droits de la personne Human Rights Watch affirme que la famille Al-Jabri n’a pas réussi à obtenir des informations précises de la part des autorités saoudiennes au sujet d’Omar et de Sarah depuis leur arrestation le 16 mars dernier.

Un « héros » pour la CIA

L’Arabie saoudite n’a pas divulgué les accusations portées contre Saad Al-Jabri ni celles contre ses enfants. L’ambassade saoudienne à Ottawa n’a pas souhaité commenter l’affaire. Mais selon son fils Khalid, cité par le Washington Post, M. Jabri s’est attiré les foudres de Mohammed ben Salmane pour son opposition à la guerre au Yémen qui dure depuis 2015.

[Le prince héritier] cherche toujours à éliminer tous les risques possibles, et il a décidé que mon père représentait le plus gros d’entre eux, a déclaré son fils, qui n’a pas donné suite à une demande d'entrevue de la part de Radio-Canada.

Aux yeux des services de renseignements américains, Saad Al-Jabri est un « héros ».

C’est un homme qui a joué un rôle important dans l’appareil sécuritaire saoudien pendant très longtemps, affirme Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient et professeur à l’Université d’Ottawa, contacté par Radio-Canada. Il était très connu, très apprécié et très respecté à Washington, notamment au FBI et à la CIA.

Il a sauvé des vies américaines et saoudiennes au sein du royaume et à l’étranger, indique de son côté Michael Morell, l’ancien directeur de la CIA, dans une entrevue au Washington Post. J’ai une confiance absolue en lui, dit-il. Je ne peux pas croire qu’il soit capable de monter un coup contre son propre gouvernement.

Le prince saoudien regardant au loin.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Photo : Getty Images / Pool

Un « criminel » pour des opposants

Mais si M. Al-Jabri, un spécialiste de l’intelligence artificielle, est adulé par les Américains, sa présence au Canada suscite la grogne de nombreux dissidents saoudiens qui l’accusent d’avoir réprimé toute forme d’opposition sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Cet homme est loin d’être un héros, affirme à Radio-Canada Raja Al-Idrissi, une opposante saoudienne installée au Canada depuis 1999.

Il a orchestré la répression contre des dizaines et des dizaines d’opposants saoudiens, alors qu’il était au ministère de l’Intérieur, bien avant l’arrivée de Mohammed ben Salmane au pouvoir.

Une citation de Raja Al-Idrissi

Selon elle, M. Al-Jabri est la raison pour laquelle plusieurs opposants ont quitté l’Arabie. Sa présence au Canada fait peur aux dissidents réfugiés dans le pays, selon elle.

Mme Al-Idrissi ainsi que sept autres opposants saoudiens réfugiés au Canada et en Grande-Bretagne ont d’ailleurs envoyé une lettre à Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada (IRCC), appelant les autorités canadiennes à rejeter toute demande d’asile de M. Al-Jabri, le qualifiant de « criminel » et de « tortionnaire ».

Un prince saoudien saluant un officier de l'armée.

L'ancien prince héritier et ministre de l'Intérieur, Mohammed ben Nayef.

Photo : Getty Images / Fayez Nureldine

Des violations des droits de la personne?

Dans cette lettre, dont Radio-Canada a obtenu une copie, les dissidents affirment qu’ils condamnent l’arrestation de ses enfants par les autorités saoudiennes, mais ils refusent qu’il soit considéré comme une « victime » ou un « opposant politique ».

Les dissidents, qui s’apprêtent à s'adresser au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, appellent d’ailleurs toute personne ayant été victime de ses crimes à le poursuivre en justice au Canada.

Il a été impliqué de très près dans les politiques antiterroristes et de sécurité intérieure de l’Arabie saoudite, donc c’est un homme qui est associé de près ou de loin à toutes sortes de violations des droits de la personne, explique M. Juneau.

C'est quelqu'un qui a joué un rôle actif au sein d’un gouvernement extrêmement autoritaire, répressif et brutal. Le fait qu’aujourd’hui il en soit une victime, ça ne change pas cette réalité qu’on ne peut pas ignorer.

Une citation de Thomas Juneau, professeur à l’Université d’Ottawa

Les personnes jugées admissibles à présenter une demande d'asile voient leur cas transmis à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), qui est un organisme décisionnel indépendant.

Contacté par courriel, l’organisme affirme que plusieurs raisons peuvent justifier l’interdiction de territoire à un demandeur d’asile, dont le fait d’occuper un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre [de l’Immigration], se livre ou s’est livré à des violations graves ou répétées des droits de la personne.

Des membres des forces spéciales saoudiennes lors d'un entraînement.

Saad Al-Jabri a modernisé la politique saoudienne de lutte contre le terrorisme, selon des responsables américains.

Photo : Getty Images / Fayez Nureldine

Une position délicate pour le Canada

Toujours selon M. Juneau, la présence de M. Al-Jabri au Canada place le gouvernement Trudeau dans une position assez inconfortable, alors que les relations entre Ottawa et Riyad sont tendues depuis deux ans.

En août 2018, le royaume ultraconservateur a annoncé l'expulsion de l'ambassadeur du Canada, rappelé son propre ambassadeur et gelé tout nouvel échange commercial ou investissement entre les deux pays, après la dénonciation par Ottawa, dans un tweet, de l'arrestation de militants des droits de l'homme.

Le gouvernement canadien n’a jusque-là absolument rien dit sur le cas de M. Al-Jabri, souligne M. Juneau. On ne sait donc pas si cette affaire était un facteur important ou non dans la dispute entre les deux pays en 2018. C’est possible, mais il n’y a personne qui pourrait répondre à cette question publiquement.

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