COVID-19 : toujours pas de données sur l'ethnicité au Canada
Un député fédéral aimerait voir le dossier avancer plus vite.

Des facteurs socioéconomiques mettent les personnes racisées plus à risque de mourir de la COVID-19.
Photo : Getty Images / David Dee Delgado
Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, la COVID-19 frappe de plein fouet les personnes racisées et surtout les Noirs. Il reste néanmoins impossible de dresser le portrait de la situation au Canada, puisque ces données ne sont toujours pas collectées, en dépit des engagements de certaines provinces.
C’était le 6 mai dernier. Le Dr Horacio Arruda annonçait que le Québec allait bientôt compiler des données en fonction de l’ethnicité des personnes atteintes du coronavirus. Près d’un mois plus tard, ces données se font toutefois attendre.
Nous ne pouvons vous dire à ce moment-ci quand l’information commencera à être colligée
, précise une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux dans un courriel.
D'après la Fédération des Canadiens noirs, cette attente est inexcusable.
On ne peut pas attribuer des ressources sans collecter des données
, plaide un de ses porte-parole, Thierry Lindor. Avant de se rendre à 10 000 ou 20 000 morts, est-ce qu’on peut savoir qui est en train de mourir?
L’activiste donne l’exemple de Montréal-Nord, un arrondissement particulièrement multiculturel de la métropole devenu l’épicentre de la pandémie au Québec. Parmi ces résidents, plusieurs travailleurs de première ligne, notamment des préposés aux bénéficiaires.
On contracte plus facilement la COVID parce qu’on y est exposés plus souvent
, souligne M. Lindor.
C’est ancré dans du racisme systémique [et dans] une situation socioéconomique précaire.
Pendant ce temps, en Ontario
Après avoir refusé pendant de nombreuses semaines de récolter des données sur la race sous prétexte que la race ne constituait pas un facteur clinique déterminant, le médecin en chef a finalement fait volte-face au début du mois.
Le Dr David Williams avait alors annoncé que des informations sur l’ethnicité et le statut socioéconomique des personnes atteintes de la COVID-19 seraient colligées. La Ville de Toronto recueille maintenant ces données, et la Ville d’Ottawa s’apprête à le faire. Impossible toutefois d’obtenir d’un portrait provincial complet pour l’instant.
Je pense que ça en dit beaucoup sur les priorités du gouvernement
, lâche Meghan Perrin. La porte-parole de l’Alliance pour les communautés en santé s’explique mal l’absence de données plus exhaustives dans la province la plus peuplée et la plus diversifiée du Canada.
Les données, les chiffres, c’est ce qui parle. C’est comme ça qu’on peut donner plus de ressources à certaines populations
, explique-t-elle. Si on veut éviter la deuxième vague, il faut faire cette collecte de données de façon systématique.
Tant que ce n’est pas fait à l’échelle provinciale ou nationale, on ne va pas avoir de données assez significatives pour faire un changement.
La porte-parole souligne qu’en plus de la précarité économique, les personnes racisées vivent plus souvent dans des quartiers qui n’ont pas d’accès étroit à des services de santé. Elles sont également plus dépendantes des transports en commun.
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Un député fédéral réclame plus d’action
Le député d’Hull-Aylmer dit comprendre l’impatience des groupes qui défendent les intérêts des personnes racisées. Greg Fergus trouve également que le dossier n’avance pas aussi rapidement
qu’il le souhaiterait.
L’élu souligne que le gouvernement fédéral a déjà demandé aux provinces de recueillir de telles données, mais que la tâche est complexe et qu’il semble y avoir une certaine résistance.
Malheureusement, ce n’est pas dans nos traditions au Canada de recueillir ces informations
, explique celui qui est également président du caucus des parlementaires noirs. Ça prend du temps pour changer les attitudes.
Je gagerais mon dernier dollar qu’il y a un effet disproportionné [sur les personnes racisées] au Canada aussi.
L’élu invite les citoyens à rester mobilisés et à continuer de faire pression sur le gouvernement dans ce dossier. La Fédération des Canadiens noirs commence néanmoins à perdre patience.
Je pense qu’au Canada, on veut rester aveugles. C’est cette présomption de se dire que nos voisins du Sud sont dans une situation plus précaire que nous, ce qui est complètement faux
, déplore Thierry Lindor.
Insatisfaite des gouvernements, la Fédération veut maintenant prendre les choses en mains et bâtir elle-même une plateforme qui lui permettra d'externaliser des données sur la race aux quatre coins du pays.
La COVID ne voit pas de couleur, mais le système dans lequel on vit au Canada la voit
, conclut Thierry Lindor. Il indique que cette plateforme devrait être mise en ligne dans les prochaines semaines.