•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La forêt boréale ne sera plus la même

Un lac paisible avec la forêt boréale en arrière-plan.

La forêt boréale fera davantage place aux feuillus au cours des prochaines décennies, selon les projections scientifiques.

Photo : Guillaume Rivest

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Pour le commun des mortels, elle paraît immuable puisqu'elle a « toujours » été là. Mais selon les projections des scientifiques, la forêt boréale ne sera plus la même d'ici quelques décennies, dominée par des espèces feuillues.

Cet écosystème forestier est le fruit d'une dynamique millénaire. Or, dans un siècle, la forêt qui accompagne les Québécois dans leurs sorties de pêche, leurs retraites en nature et qui nourrit l'industrie forestière, aura changé de visage, anticipent des chercheurs.

C'est une prise de conscience importante. Les paysages forestiers vont changer. Les prochaines générations vont voir une forêt boréale qui est différente, affirme Évelyne Thiffault, professeure au Département des sciences du bois et de la forêt à l'Université Laval.

À la forêt Montmorency, une forêt d'étude au nord de Québec où Mme Thiffault est présidente du comité scientifique et d’aménagement, le sapin baumier devrait laisser sa place aux érables rouge et à sucre.

« On passerait du royaume du sapin de Noël au royaume de l'érable, si on en croit les processus des changements climatiques. »

— Une citation de  Évelyne Thiffault

Ces prédictions sont basées sur des simulations qu'il faudra préciser et objectiver, admet-elle. Mais déjà sur le terrain, dit-elle du même souffle, il y a des signes vérifiés qui ne mentent pas sur les transformations en cours.

Le sapin supplanté comme roi des forêts?

La forêt Montmorency est au cœur de la sapinière à bouleau blanc. C'est un écosystème caractérisé par beaucoup de neige en hiver. Il y a présentement [vendredi le 29 mai] encore 50 centimètres de neige, indique Mme Thiffault.

En pareil milieu, frais et où l'hiver perdure, la saison de croissance des arbres est courte. Mais depuis quelques décennies, les scientifiques ont constaté qu'elle s'allonge. Elle est calculée à partir de la température du sol. Et cette température-là a augmenté significativement, assez pour que la saison de croissance ait augmenté de 30 jours en 40 ans.

La professeure Évelyne Thiffault observe une épinette.

Évelyne Thiffault, présidente du comité scientifique et d'aménagement à la forêt Montmorency.

Photo : Radio-Canada / David Remillard

Une espèce comme le sapin baumier, qui y est confortable depuis des lustres, pourrait avoir de la difficulté à se maintenir pendant que d'autres essences d'arbres profiteront de la saison allongée. Le sapin va être remplacé graduellement par des espèces feuillues, qui sont présentes mais en petite quantité, et qui vont monter tranquillement dans le paysage, ajoute Évelyne Thiffault.

« Ce sont des données de terrain, ce ne sont pas des simulations. Ça laisse supposer qu'il peut y avoir des changements qui pourront être assez rapides au cours des prochaines années. »

— Une citation de  Évelyne Thiffault

Ces changements peuvent par ailleurs varier en vitesse selon divers facteurs, comme les cycles d'insectes prédateurs tels que la tordeuse des bourgeons de l'épinette, les incendies ou la coupe forestière.

La transition dans la forêt boréale, qui s'étend jusque dans l'ouest du pays, ne sera cependant pas homogène, nuance Mme Thiffault. Ça ne se fera pas partout de la même manière. Il y a de grandes variations entre la forêt boréale de l'Ouest canadien et ici, notamment.

Une autre observation soupçonnée d'être un signe de ces changements à venir concerne l'épinette blanche. Ce résineux a été implanté dans la forêt Montmorency il y a déjà plusieurs années. Il est aussi très populaire auprès de l'industrie forestière québécoise et est utilisé pour le reboisement.

Cependant, il commence à montrer des signes de faiblesse dans la forêt Montmorency, alors que les épines de certains arbres jaunissent. Un fait de plus en plus commun qui mérite d'être étudié, selon la professeure. Le manque de nutriments est notamment évoqué.

Des branches d'épinettes blanches.

Des épinettes blanches dont les épines ont jauni.

Photo : Radio-Canada / David Remillard

Résister ou s'adapter?

Les projections et ces constats poussent les scientifiques à rechercher le juste équilibre : doit-on résister pour maintenir la forêt boréale intacte telle qu'on la connaît, ou doit-on accepter les changements et adapter les pratiques d'aménagement forestier pour limiter les perturbations?

Évelyne Thiffault pense qu'il est possible de faire les deux en même temps. Il faut que la forêt survive à un climat changeant. [...] Et des actions en résilience, ça va venir assurer à plus long terme le potentiel économique.

Pour développer les meilleures pratiques, des chercheurs, avec la participation de la forêt Montmorency, souhaitent mettre en place un réseau de forêts d'étude.

La forêt Montmorency en hiver.

La neige abondante est une caractéristique à la forêt Montmorency et de la forêt boréale.

Photo : Radio-Canada / David Remillard

Le projet, piloté par le professeur Loïc D'Orangeville de l'Université du Nouveau-Brunswick, vise à identifier des aménagements forestiers et en observer les réactions à différentes latitudes, donc sous différents climats.

L'objectif est en quelque sorte de se propulser dans le futur. Certaines essences vivant au sud seront plantées au nord, dans la forêt boréale, et des espèces de la forêt boréale seront plantées au sud.

Il va y avoir des sites aux États-Unis, au Québec et dans d'autres provinces. On est en phase exploratoire, fait savoir Évelyne Thiffault.

Valoriser le feuillu

Cette modification de la composition de la forêt suppose des enjeux économiques.

Dans un rapport remis au gouvernement et au Conseil de l'industrie forestière cet hiver, le Groupe de travail sur la forêt et les changements climatiques recommandait de tenir compte des bouleversements à venir dans ses pratiques.

Des espèces feuillues pour le boisement et le reboisement pourraient être considérées pour faciliter l'adaptation des paysages forestiers aux changements climatiques. Des mesures d'adaptation de la capacité industrielle devraient être mises en place pour augmenter les capacités de transformation du bois feuillu, pouvait-on y lire.

Les reboiseurs creusent le trou d'une main et plantent le semis de l'autre pour être le plus efficaces possible.

Le reboisement au Québec se fait majoritairement à l'aide d'essences résineuses, comme l'épinette blanche.

Photo : Radio-Canada

Actuellement, seul 1 % du reboisement se fait avec des feuillus au Québec, l'industrie étant majoritairement soutenue par les résineux. Une augmentation du reboisement en essences feuillues nécessiterait une adaptation de l’ensemble de la filière de reboisement qui, actuellement, est majoritairement axée sur le reboisement d’essences résineuses, confirme un porte-parole du MFFP.

Concernant la récolte de bois, le feuillu n'a pas encore la cote. Il est actuellement difficile d’effectuer la récolte des feuillus dans certaines régions en raison de la qualité des feuillus et du manque de preneurs, ajoute le MFFP.

Sur le recours à la migration assistée d'espèces qui seront mieux adaptées au climat futur, le ministère demeure prudent. Les décisions au regard de ce type d’orientation devront être prises en tenant compte de l’ensemble des enjeux écologiques et socio-économiques des territoires concernés par ce type de mesure d’adaptation.

Au Conseil de l'industrie forestière, le message est clair. L’industrie forestière s’est toujours adaptée à la matière ligneuse disponible et continuera certainement dans la même lignée à l’avenir.

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...