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Données sur la COVID-19 : peut-on vraiment se comparer aux autres?

Des coronavirus en suspension au-dessus d'une foule.

Nos comportements collectifs pourraient favoriser certaines versions du virus au détriment d'autres.

Photo : getty images/istockphoto

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Les nouveaux chiffres sur la COVID-19 sont attendus de pied ferme chaque jour. Y a-t-il plus ou moins de cas et de morts? Avons-nous atteint le sommet de la courbe? Si les données sont nécessaires pour comprendre la pandémie, les experts disent qu'il faut tout de même faire attention aux comparaisons et aux conclusions rapides.

Les données sont extrêmement importantes pour suivre l’évolution de la pandémie, pour comprendre comment le virus agit et pour décider des mesures à adopter, affirme Erin Strumpf, économiste en santé et professeure au Département d'épidémiologie, de biostatistiques et de santé au travail de l'Université McGill.

Les données sont souvent imparfaites et incomplètes et rendent les comparaisons entre pays, et même entre provinces canadiennes, parfois difficiles.

« Les données sont désordonnées, parce que la vraie vie est désordonnée. »

— Une citation de  Erin Strumpf, économiste en santé, Université McGill

Elle comprend le besoin qu'ont les gens de se comparer aux autres, mais ces comparaisons doivent être faites avec soin, tout en gardant à l'esprit les problèmes que posent les données.

Voici quelques raisons qui expliquent pourquoi il faut avoir un regard critique sur les données entourant cette pandémie.

Nombre par jour ou cumulatif?

Depuis le début de cette crise, le nombre total de nouveaux cas et de morts est annoncé et médiatisé. Mais voir ce nombre augmenter de jour en jour peut créer un sentiment d’anxiété et ne montre pas si la situation se stabilise ou se détériore.

Afin de mieux comprendre la progression de la pandémie dans le temps, il est plus juste de comparer le nombre de nouveaux cas et de morts par jour. Avec ces données, les autorités peuvent voir si leurs mesures de restrictions commencent à avoir un effet.

« Je pense que ce qui est le plus important est, quel que soit l'indicateur, de se concentrer sur les variations dans le temps plutôt que sur le nombre précis d'un jour donné. »

— Une citation de  Erin Strumpf, économiste en santé, Université McGill

Simon de Montigny, professeur en biostatistiques du Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal, suggère également de prendre en compte la moyenne de nouveaux cas par semaine, puisque les décès peuvent prendre un certain temps avant d'être comptabilisés.

Par exemple, dit-il, les décès annoncés un lundi peuvent être survenus la semaine précédente. Lorsque les chiffres sont ensuite révisés, le bilan quotidien change, modifiant ainsi la courbe historique.

Par ailleurs, lorsqu’on compare le nombre de cas ou de morts par pays ou par province, il est plus juste de comparer le taux d’infection et de mortalité par habitant.

Par exemple, le Qatar compte en date du 29 mai plus de 53 000 cas et plus de 2000 morts. Si ces chiffres sont loin d’être aussi impressionnants que les 1,5 million de cas et 100 000 morts aux États-Unis, le Qatar, qui a moins de 3 millions d’habitants, a un taux de mortalité trois fois plus élevé que celui des États-Unis.

Cas détectés et cas réels

Plusieurs personnes demandent pourquoi l’Ontario, qui est la province la plus populeuse, a moins de cas que le Québec?

Il y a de nombreux facteurs, mais l’une des raisons est que le taux de dépistage n’est pas nécessairement le même d’un endroit à un autre (par manque de tests, de personnel, ou pour des raisons politiques). De nombreuses personnes infectées ayant des symptômes très légers ne se font pas nécessairement tester.

De plus, il n’existe pas de définition universelle de ce qu'est un cas confirmé. D’ailleurs, au début de la crise, plusieurs provinces canadiennes émettaient des données de cas probables (1 test positif) et de cas confirmés (2 tests confirmés).

Le Québec, contrairement à plusieurs autres endroits, inclut les cas confirmés par lien épidémiologique, en plus des cas confirmés par laboratoire, ce qui fait gonfler le chiffre total.

Rétablis ou pas?

En regardant seulement le nombre cumulatif de cas, on peut oublier que des dizaines de milliers de personnes sont maintenant guéries de la COVID-19.

Dans le monde, en date du 29 mai, plus de 2,6 millions de personnes sur 5,9 millions de personnes infectées depuis le début de la pandémie sont rétablies, soit près de 50 % des cas totaux.

Dans certains pays, ce taux est beaucoup plus élevé, puisque la pandémie a frappé plus tôt. Aux États-Unis, le taux de guérison est de 28 %; celui de l’Italie dépasse les 60 %.

Au Canada, le taux de guérison est d’environ 40 %. Le taux de guérison est de plus de 80 % dans les provinces de l’Ouest, où le virus a frappé plus tôt, mais seulement de 30 % au Québec.

Par contre, il faut aussi savoir que la définition de la guérison varie de pays en pays, et même d'une province à l'autre. Certains endroits, comme le Royaume-Uni, ne comptabilisent pas le nombre de personnes rétablies, par manque de ressources pour les retrouver.

Qui est mort de la COVID?

Comme pour les cas, le nombre de décès serait largement sous-estimé en raison de critères différents pour comptabiliser les décès liés à la COVID-19.

  • Dans l’État de New York, au début de la pandémie, on exigeait un test positif pour confirmer la COVID-19 comme cause de décès. Maintenant, les aînés dans des résidences de soins de longue durée – même sans test – qui sont présumés morts de la COVID sont comptabilisés.
  • En Angleterre, jusqu’à la fin avril, on comptait seulement les décès dans les hôpitaux.
  • Les régions de Madrid et de Catalogne, durement frappées par la pandémie, déclarent le nombre de cas confirmés ou suspectés de morts dans les salons funéraires, ainsi que les décès dans les résidences pour aînés. Toutefois, ces chiffres ne sont pas comptabilisés par les autorités nationales.
  • La France est l'un des rares pays d'Europe à inclure dans son total les décès survenus dans les maisons de retraite ou de soins infirmiers. Le Québec a une approche semblable. Ainsi, pour ces deux endroits, le nombre de morts est probablement plus précis.
Plusieurs hommes portant des équipements de protection transfèrent le corps dans une voiture.

Des travailleurs d'un hôpital de Brooklyn transportent le corps d'une personne décédée des complications de la COVID-19.

Photo : Reuters / Stefan Jeremiah

Par ailleurs, le manque de tests à plusieurs endroits fait en sorte que les médecins doivent indiquer sur le certificat de décès si la personne est morte ou non de la COVID, laissant la place à l’interprétation. Les autopsies pour déterminer si la COVID-19 a causé cette mort sont relativement rares.

Aux États-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont observé une hausse importante du nombre de décès causés par la pneumonie en mars. Même si les autorités suspectent la COVID-19 d'en être la cause, ils n'ont pas été ajoutés au décompte officiel.

Calculer la surmortalité 

C’est pourquoi les experts suggèrent de calculer la surmortalité : le nombre de morts excédentaires en 2020 par rapport aux années précédentes.

La surmortalité est également utilisée par plusieurs pays pour calculer le taux de mortalité de l’influenza et les décès lors de vagues de chaleur.

Toutefois, ces chiffres peuvent parfois prendre plusieurs mois avant d'être comptabilisés.

Selon l’organisme European Mortality Monitoring Project, en mars et en avril, il y aurait eu au moins 149 000 décès de plus que ceux enregistrés les années précédentes à la même période en Europe, un chiffre beaucoup plus élevé que le cumul officiel de morts causées par la COVID-19.

Le nombre de tests, à géométrie variable

Au fur et à mesure que la pandémie progresse, certains gouvernements testent davantage de personnes, causant une variation dans le nombre de cas.

À plusieurs endroits, les autorités ont changé les critères d’admissibilité aux tests, en priorisant certains groupes en raison d’une quantité limitée de tests disponibles.

C’était le cas au Québec : d’abord seuls, les voyageurs étaient testés, puis on a priorisé les travailleurs du réseau de la santé. En mai, des unités de dépistage mobiles ont été envoyées dans des quartiers chauds de Montréal.

Le premier ministre François Legault affirme souvent que le Québec est la province qui teste le plus au Canada. Et pourtant, l'Alberta teste le plus par habitant au pays et a été l'une des premières provinces à élargir ses critères pour le dépistage.

Une professionnelle de la santé effectue un test de dépistage du coronavirus dans une clinique mobile du quartier Saint-Michel à Montréal.

Un homme penche la tête en arrière pour un test de dépistage de la COVID-19.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

D'autres ne testent pas assez, ce qui pourrait expliquer la sous-estimation du nombre de cas. C'est le cas en Ontario, où le premier ministre ontarien Doug Ford a qualifié le nombre de tests quotidiennement effectués dans sa province « d'inacceptable ».

Toute personne présentant des symptômes au Royaume-Uni peut désormais être testée. Au début mai, c’était seulement les travailleurs de la santé asymptomatiques, les patients hospitalisés et les résidents des maisons d'aînés.

D'autres pays, comme la Corée du Sud, ont choisi de tester toute la population, sans restrictions. Cette stratégie aurait permis de freiner rapidement la propagation du virus.

Il faut toutefois souligner qu'une personne peut être testée plus d'une fois – ce qui veut dire que le nombre total de tests n'équivaut pas nécessairement au nombre total de personnes testées.

Et comme il est important de calculer le nombre de cas proportionnellement à la population, il est important de le faire pour le nombre de tests faits.

Par exemple, le président des États-Unis, Donald Trump, affirme souvent que son pays effectue le plus de tests au monde. S’il est vrai que les États-Unis ont fait près de 16 millions de tests en date du 29 mai, ils font beaucoup moins bonne figure lorsqu’on regarde le nombre de tests pour 1 million de personnes.

Par contre, certains soupçonnent que le nombre de tests effectués aux États-Unis soit exagéré. Dans plusieurs États, les résultats des tests sérologiques (qui détectent la présence d'anticorps spécifiques à la maladie dans le sang) sont ajoutés au total. Pourtant, le CDC a averti que 50 % des résultats de ces tests seraient faux.

C’est grâce au taux très élevé de dépistage en Islande que les chercheurs ont observé que plus de 50 % des cas sont asymptomatiques au moment du dépistage.

Il est intéressant aussi de regarder le pourcentage de tests positifs. Au Canada, ce chiffre est aujourd’hui d’environ 5,7 % (le Québec a le plus haut taux avec 12 %). Il y a quelques semaines, il était de 2,5 %. L’OMS estime qu’un pays fait suffisamment de tests si le taux de positivité est de 10 % ou moins.

Méthodologies changeantes, erreurs et omissions

Enfin, la façon de comptabiliser les cas, les décès et les tests a changé à de nombreuses reprises, menant à des baisses ou des hausses importantes dans les chiffres

En Espagne, le 16 avril, les tests sérologiques ont été ajoutés au nombre total de tests effectués. Une semaine plus tard, les autorités ont changé d’idée, affirmant que ces tests n’étaient pas suffisamment fiables. Ainsi, le nombre de cas cumulatif est soudainement passé de 220 000 à 200 000.

Puis, le 25 mai, l’Espagne a décidé de comptabiliser un mort selon la date du décès, et non selon la date où il a été enregistré. Le nombre de morts a subitement baissé de 2000.

En France, les données sur les décès ont fait apparaître une hausse soudaine au cours des premières semaines d'avril, puisque les autorités ont ajouté de nombreux décès non enregistrés auparavant.

Et c'est sans compter les erreurs humaines.

Par exemple, le gouvernement du Québec a ajouté 1317 cas aux données du 3 mai 2020 en raison d'une erreur informatique en avril, ce qui a entraîné une énorme hausse du nombre de cas pour cette journée.

Ces pics soudains reflètent l'activité humaine, et non l’activité du virus, précisent les experts.

« Les données ne viennent pas du ciel, c’est le produit d’une activité humaine. »

— Une citation de  Simon de Montigny

M. de Montigny préfère que les autorités continuent de rectifier les données, plutôt que de cacher leurs erreurs. Ces changements rendent les comparaisons dans le temps plus difficiles, mais il vaut mieux avoir des données fiables, dit-il.

Pourquoi ne pas avoir des définitions et des méthodologies identiques à travers le monde?

Aucune organisation internationale, y compris l’OMS, n’a l’autorité d’imposer une méthodologie aux pays, explique Erin Strumpf. Ce serait très difficile et complexe de demander à tous les pays de changer leurs méthodologies. L’OMS pourrait au moins faire des suggestions pour les pays qui ont la capacité d’adopter une méthodologie rigoureuse, soutient la chercheuse.

Enfin, certains pays tentent carrément de dissimuler la réalité.

Selon de nombreux médias américains, les autorités fédérales et au moins une douzaine d’États américains ont modifié ou dissimulé des données de santé publique cruciales permettant de suivre la propagation du coronavirus. On rapporte de nombreux cas où le nombre de décès a été revu à la baisse, ou le nombre de tests à la hausse, dans le but de justifier un relâchement des mesures de distanciation physique.

En Russie, une grande proportion des registres de décès omettent l’inscription du lien COVID-19 comme cause (on inscrit plutôt : problèmes respiratoires, pneumonie, etc.) Ainsi, on estime qu’en avril 2020, à Moscou, 70 % des décès attribuables au coronavirus n’ont pas été enregistrés dans les statistiques officielles.

« J'ai le sentiment que certains décideurs politiques savent ce qu'ils veulent faire (avec les données) et trouvent des données pour appuyer leur plan d'action plutôt que de prendre en compte toutes les preuves. »

— Une citation de  Erin Strumpf, économiste en santé, Université McGill

Elle déplore également le manque d'accès aux données. C’est inquiétant de savoir que les gouvernements peuvent retenir des données ou divulguer seulement ce qu'ils veulent.

Des données incomplètes, mais pas inutiles

Sachant que les données sont collectées de façons très différentes d’un endroit à l’autre, est-il juste de faire des comparaisons entre pays?

« La comparaison au jour le jour, c’est une opération périlleuse si on n’a pas les deux pieds dans le pays pour savoir comment les données ont été produites et sous quelles hypothèses. »

— Une citation de  Simon de Montigny, Université de Montréal

Tout comme Mme Strumpf, Simon De Montigny pense que malgré des lacunes dans les données sur la COVID-19, il est important de continuer à montrer les données au public, mais tout en expliquant pourquoi certaines données sont plus fiables que d’autres.

C’est délicat, mais il faut continuer d’avancer, dit M. de Montigny. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas toutes les données qu’on peut attendre les bras croisés.

Ce qu'il faut retenir, selon M. de Montigny? Il ne faut pas s’attendre de la science qu’elle ait la formule magique pour régler la pandémie.

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