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Identifier les survivants de la COVID-19 et les exempter de confinement, une bonne idée?

Un dessin de passeport immunitaire fictif.

Les gens ayant guéri de la COVID-19 devraient-ils être identifiés par un « passeport immunitaire »?

Photo : Radio-Canada / Camile Gauthier

Jean-Philippe Nadeau (Trois-Rivières)
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Certaines nations songent à imposer un passeport immunitaire pour identifier les citoyens qui ont récupéré de la COVID-19. Un tel document permettrait aux survivants de retrouver leur liberté pendant que ceux qui n'ont jamais été malades restent confinés à la maison ou soumis aux restrictions de la distanciation sociale et de l'éloignement physique.

Un passeport immunitaire précéderait un éventuel carnet de vaccination, puisqu'il n'existe encore aucun vaccin contre la COVID-19. Théoriquement, une personne infectée par le nouveau coronavirus ne présenterait plus de risque d'infection et de transmission, puisque son système immunitaire aurait développé des anticorps après la maladie.

Une main tient un passeport duquel sort une fiche avec le mot COVID-19.

L'idée controversée du passeport d’immunité est de permettre aux gens qui ont déjà contracté la COVID-19 de circuler librement.

Photo : getty images/istockphoto

Le Chili est devenu le premier pays à délivrer de tels passeports à ses citoyens qui se sont rétablis de la maladie pour les exempter des mesures de quarantaine. Le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne y songent pour la seconde phase de leur déconfinement.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a toutefois mis en garde les nations de ne pas aller de l'avant avec de tels documents, parce qu'il n'existe encore aucune preuve scientifique à 100 % que les personnes qui ont contracté la maladie ont développé des anticorps qui les protégeraient contre une seconde infection. Là s'arrête la théorie.

Deux femmes assises derrière un bureau durant une conférence de presse.

La ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu, et l'administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam (à droite)

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Ottawa, les provinces et les territoires ont également agi avec prudence à ce sujet. La Dre Theresa Tam a reconnu en avril qu'on en savait encore très peu sur la façon dont les anticorps affectent le système immunitaire d'un individu une fois qu'il est rétabli. On ne comprend pas encore très bien l'immunologie associée à ce virus, avait-elle dit.

Kerry Bowman, professeur de bioéthique à l'Université de Toronto, affirme que la décision de l'OMS est sage, parce que rien n'est sûr en fait d'immunité dans la lutte contre le virus. Il souligne que les personnes qui ont développé des anticorps pourraient par ailleurs très bien ne jamais être immunisées.

« S'il est avéré qu'il existe une immunité après une première infection, on ignore en revanche si elle sera permanente ou temporaire, totale ou partielle, efficace ou non. »

— Une citation de  Kerry Bowman, professeur de bioéthique

La science ne peut être basée selon lui sur des présomptions ou des comparaisons hypothétiques par rapport à d'autres virus que l'on connaît bien, comme ceux associés aux maladies infantiles. Il faut faire plus de tests pour en apprendre davantage, il est trop tôt à l'heure actuelle et nous n'avons pas la capacité de toute façon de mener des tests à grande échelle, souligne-t-il.

Le professeur Bowman ajoute que le bassin de population ayant contracté la maladie est par ailleurs trop petit à ce moment-ci pour tenter l'expérience du Chili, qui comptait au début mai plus de 20 000 cas d'infection.

Un passeport, un carnet de vaccination, une carte d'embarquement et des euros.

Un passeport, un carnet de vaccination, une carte d'embarquement et des devises en euros

Photo : getty images/istockphoto / maxexphoto

Ubaka Ogbogu, professeur associé de droit à l'Université de l'Alberta, ajoute que ce bassin d'individus n'est pas assez grand de toute façon pour redémarrer l'économie dans leur pays respectif. On présume que de tels passeports immunitaires seront temporaires, en attendant la découverte d'un vaccin et l'émission d'un carnet de vaccination, précise-t-il.

Des craintes d'ordre éthique

La diffusion de tels documents sanitaires soulève néanmoins des inquiétudes d'éthique médicale, de morale et de droit dans nos démocraties. Le professeur Ogbogu affirme d'abord que l'existence d'un tel document pourrait forcer certaines personnes à vouloir s'infecter volontairement dans le but de tomber malades et de développer des anticorps.

« Des gens tenteraient d'acquérir une soi-disant immunité pour reprendre le travail, mais cela affecterait de façon disproportionnée les personnes les plus vulnérables qui peinent à arrondir leur fin de mois pour nourrir leur famille. »

— Une citation de  Ubaka Ogbogu, professeur de droit

Il est selon lui irrationnel de chercher à être infecté, parce que cela menacerait la santé publique. Cela devient contre-productif, puisque ces passeports créeraient une situation dans laquelle vous ne tentez pas de freiner la propagation du virus alors que l'objectif de la santé publique est de l'éradiquer [...] en plus, le candidat volontaire mettrait sa propre vie en danger, ajoute-t-il.

Une molécule du virus de la COVID-19.

Cette illustration devenue célèbre d’une molécule de la COVID-19 a été produite par les Centres américains de contrôle des maladies.

Photo : Centres américains de contrôle des maladies

Recourir à des certificats sanitaires aurait donc l'effet pervers d'augmenter les risques de contagion dans la communauté. M. Bowman est du même avis, puisque la tentation serait trop grande pour ceux qui n'ont pas la chance de travailler à distance. Le danger est donc réel pour autrui, selon lui, d'autant que personne ne peut prédire à quel point on peut être malade de la COVID-19.

« La COVID-19 continue de défier les attentes des chercheurs à cause de sa complexité. Bâtir un modèle d'exclusion sociale à partir de données scientifiques incomplètes est une idée totalement farfelue. »

— Une citation de  Brenda McPhail, de l'Association canadienne des libertés civiles

L'Association canadienne des libertés civiles souligne que des passeports immunitaires donneraient par ailleurs un faux sentiment de sécurité, en encourageant les individus à croire que leurs anticorps les protègent alors que rien ne le prouve de façon scientifique.

Un technicien de laboratoire injecte un liquide dans une plaque de microtitration.

Des scientifiques du monde entier travaillent sans relâche à la fabrication d'un vaccin contre la COVID-19.

Photo : iStock

La responsable des technologies de traitement des données au sein de l'Association, Brenda McPhail, y voit un autre problème.

« Vous ne voudriez pas que des employeurs n'embauchent ou ne rappellent au travail que leurs employés qui ont attrapé la maladie, parce que cela mettrait ceux qui sont toujours confinés à la maison dans une position difficile, voire injuste. »

— Une citation de  Brenda McPhail

Ironiquement, un passeport immunitaire accorderait selon elle des privilèges à ceux qui ont été malades par rapport à ceux qui sont miraculeusement restés en santé à la maison en déjouant tous les pronostics.

Inégalités sociales

Dans l'éventualité où il existerait une immunité associée à la COVID-19, Kerry Bowman reconnaît que l'émission de documents sanitaires diviserait la société entre les citoyens à risque et les citoyens immunisés, ces derniers ayant retrouvé toutes leurs libertés civiles.

Une situation problématique selon lui dans la mesure où la société est déjà aux prises avec des problèmes socio-économiques depuis le début de la pandémie. Il existe déjà des groupes plus vulnérables qui sont plus affectés par le virus que d'autres [...] un passeport immunitaire ne ferait qu'ajouter une autre couche de discrimination, dit-il.

Un homme allongé sur une civière porte un masque de protection médical.

Un malade de la COVID-19 aux États-Unis, où les communautés noires sont plus vulnérables selon l'Association canadienne des libertés civiles.

Photo : Reuters / Stefan Jeremiah

Mme McPhail croit qu'un passeport sanitaire créerait davantage de privations et d'injustices. Aux États-Unis, les personnes de couleur, celles qui sont marginalisées et les travailleurs de première ligne sont ceux qui sont le plus infectés, et beaucoup d'entre eux en meurent même [...] des gens souffriraient donc davantage de stigmatisation si les autorités ou les entreprises devaient recourir à un tel document, précise-t-elle.

Intrusion dans la vie privée

La production de passeports immunitaires porterait aussi ombrage à la vie privée et à la sécurité des données confidentielles, selon le professeur Ogbogu, qui suggère que ce document ne pourrait être que numérique et non en papier, pour éviter la contrefaçon. Cela sous-entend que le détenteur d'un tel passeport soit surveillé et que les informations sur sa santé soient entreposées dans un ordinateur [...] le risque de piratage est donc bien réel, dit-il. Un tel document serait donc inutile si le détenteur ne faisait pas l'objet d'une surveillance constante.

« On aura toujours besoin de vous suivre à la trace pour voir si vous bénéficiez toujours de votre immunité pour s'assurer que vous ne représentez aucun danger pour la santé du public, mais tout traçage implique nécessairement un risque de violation de vie privée. »

— Une citation de  Ubaka Ogbogu

Or, rappelle-t-il, les lois fédérales et provinciales sur les renseignements confidentiels ne permettent de recueillir des informations que pour des raisons précises, dans des circonstances exceptionnelles et seulement lorsqu'il est nécessaire de le faire dans le but de protéger la vie privée.

Des passagers attendent de passer un contrôle de sécurité.

Air Canada et WestJet contrôlent la température de leurs passagers avant de les laisser monter à bord de leur avion.

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

À l'inverse, sans surveillance adéquate, les risques de fraude et de vol sont incontestables, selon lui, puisqu'il est nécessaire que le passeport soit associé à l'identité de son détenteur. En cas contraire, il serait impossible pour un agent de bord par exemple de savoir si vous en êtes le propriétaire et si vous êtes bien immunisé, parce que le document aurait très bien pu être volé ou contrefait sur le marché noir, explique M. Ogbogu.

Contrôle de la fièvre à l'aéroport

Des autorités aéroportuaires et des compagnies aériennes dans le monde prélèvent déjà la température des passagers avant l'embarquement. On ne peut toutefois parler de violation de la vie privée, puisque les tests sont anonymes et qu'aucune information personnelle n'est conservée dans des dossiers.

Dans un courriel, Air Canada écrit que la prise de température de manière non invasive et sans contact constitue l'une des façons de satisfaire aux obligations prescrites par la loi d'évaluer l'aptitude d'une personne à voyager. Air Canada n'enregistre ni ne recueille de renseignements personnels au cours des déplacements des passagers.

Des passagers vus sur un scanneur thermique à leur arrivée à l'aéroport.

Un scanneur thermique pour contrôler la température des voyageurs comme il en existe dans certains aéroports dans le monde.

Photo : Associated Press / Aaron Favila

La situation serait tout autre avec un passeport sanitaire, selon Mme McPhail. La personne qui en ferait la demande serait obligée de révéler des informations sensibles très personnelles, comme des conditions sous-jacentes et des contre-indications médicales, ce qui est inquiétant, puisque ces données seraient conservées, dit-elle.

Son de cloche divergent

Le Dr Kumanan Wilson, qui enseigne la médecine à l'Université d'Ottawa, croit plutôt qu'un passeport sanitaire pourrait être un atout dans la lutte contre la COVID-19. La science est certes incertaine, mais l'expérience des pandémies dans le passé et la recherche sur l'immunisation montrent qu'il est possible d'acquérir une immunité après avoir contracté le virus, explique-t-il. Il pense que la protection serait de 3 ou 4 mois, voire de plusieurs années comme dans le cas du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

Vue rapprochée d'un test effectué dans un contenant transparent dans un laboratoire.

Plusieurs industries pharmaceutiques se sont lancées dans la recherche pour un vaccin contre la COVID-19.

Photo : Getty Images / Douglas Magno

Selon le Dr Wilson, un tel passeport pourrait être utile s'il est utilisé de façon appropriée. Les études montrent que seulement 5 % de la population a pu être exposée à la COVID-19 et produire des anticorps [...] un passeport immunitaire pour les besoins de l'industrie aérienne est donc inutile dans un tel contexte, dit-il.

« S'il existait une technologie qui permette de comprendre la production d'anticorps pour se défendre contre la COVID-19 et d'identifier les personnes immunisées, il serait de notre devoir de l'appliquer pour protéger le public sans écarter pour autant tout problème de droit et d'éthique. »

— Une citation de  Kumanan Wilson, professeur de médecine

Le médecin croit qu'un passeport sanitaire serait plus précieux dans les endroits où le risque de contagion est élevé comme dans les centres de soins de longue durée ou les usines de transformation alimentaire. Si nous pouvions identifier ceux qui ont acquis une immunité, cela nous permettrait d'y réduire la propagation du virus et d'y protéger les plus vulnérables, comme les personnes âgées, explique-t-il.

Une employée de laboratoire manipule des échantillons.

Une employée de laboratoire manipule des échantillons de test de COVID-19.

Photo : Laboratoire du Centre hospitalier affilié universitaire régional (CHAUR)

Le Dr Wilson rappelle en outre que la fermeture de l'économie pose elle aussi des risques pour la santé physique et mentale des individus qui sont en confinement. Il devient alors impératif de trouver un juste équilibre entre la nécessité de retrouver un semblant de normalité et les risques qui sont associés à tout déconfinement, dit-il.

Le professeur Kerry Bowman ne croit en aucune sorte d'immunité et il invite les gouvernements à la prudence. Il craint néanmoins que l'éthique ne soit sacrifiée pour des raisons économiques. Ce sont les forces du marché qui risquent de forcer des pays à adopter un passeport immunitaire, parce que le redémarrage de l'économie et les questions d'argent l'emportent souvent sur les inquiétudes d'ordre éthique, croit-il.

Un carnet d'immunisation

Tous s'entendent pour dire que la découverte d'un vaccin réglera tous ces problèmes et que la situation reviendra à la normale même si cela risque de prendre du temps, parce que la production de 7 milliards de fioles ne se fera pas du jour au lendemain.

Le Dr Ogbogu précise que le vaccin devra néanmoins être disponible pour tous. L'OMS ne pourra accepter que coexistent des zones chaudes et froides sur la planète, le vaccin devra être accessible aux pays riches comme aux pays pauvres [...] comme pour la variole, il faudra éradiquer ce virus de la surface de la Terre, précise-t-il.

Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus

Photo : Reuters / Denis Balibouse

Même chose au Canada, où le vaccin devra être offert à tous de façon volontaire, selon lui, mais en priorité aux personnes vulnérables de la société comme, c'est le cas à l'heure actuelle avec le vaccin grippal à l'automne.

Le Dr Wilson a bon espoir qu'un vaccin sera créé à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine, mais non sans difficulté. Il ne sera probablement pas efficace à 100 % et l'immunité ne sera pas permanente au début, on aura alors peut-être besoin d'une vaccination de rappel, mais c'est mieux que rien, explique-t-il.

Une personne reçoit un vaccin au bras.

Une campagne de vaccination est à prévoir au Canada dans l'éventualité où un vaccin contre la COVID-19 serait mis au point.

Photo : La Presse canadienne

En cas de vaccin, un carnet d'immunisation deviendra incontournable, comme on l'exige déjà dans certains pays pour des maladies endémiques comme la fièvre jaune. Ce carnet pourrait néanmoins, lui aussi, être controversé, mais de façon moindre, selon Mme MacPhail.

« La vaccination sera fortement encouragée, mais volontaire [...] en Ontario, des parents peuvent évoquer des motifs médicaux ou religieux pour soustraire leur enfant à un n'importe quel programme d'immunisation et éviter qu'il ne soit refusé à l'école. »

— Une citation de  Brenda McPhail, de l'Association canadienne des libertés civiles

Elle ajoute que des individus pourraient manifester leur objection face à un plan d'immunisation contre la COVID-19 pour les mêmes raisons, d'autant plus si le nouveau vaccin pose un danger pour ceux qui ont un problème de santé sous-jacent.

L'Association canadienne des libertés civiles affirme que la pandémie a permis de réaliser à quel point les gens ne sont pas prêts à renoncer facilement à leurs droits. Il est important de trouver un juste équilibre entre des droits conflictuels pour s'assurer que la santé du public est protégée sans que des libertés individuelles soient pour autant supprimées, conclut Mme McPhail. Un débat sur l'éthique médicale est donc nécessaire selon elle.

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