Les sacrifices familiaux sont majoritairement le fardeau des femmes

Les femmes prennent la plus grosse part de la charge familiale, selon plusieurs indicateurs.
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors que l’économie reprend tranquillement, mais que les écoles et services de garde demeurent fermés ou à ratio réduit partout au pays, les parents sont nombreux à devoir faire des choix difficiles.
Depuis le début de la pandémie, dans plusieurs cas – une majorité, selon plusieurs indicateurs – les femmes choisissent de mettre leur carrière de côté pour prendre les responsabilités familiales.
Le nombre de femmes qui ont perdu ou laissé leur emploi ou encore qui ont réduit considérablement leurs heures de travail depuis le début du mois de mars est plus élevé que le nombre d’hommes dans la même situation, selon Statistique Canada.
Ces statistiques s'expliqueraient en partie par le choix des femmes qui seraient plus nombreuses que les hommes à rester à la maison lorsqu’un des deux parents d’une famille doit faire ce sacrifice pour s’occuper de leurs enfants.
Un choix crève-cœur
C’est le dilemme dans lequel Darcy Fisher et son conjoint se sont retrouvés.
Elle occupe un emploi dans un centre de soins de longue durée près de Blue Mountain.
Lui travaille dans une microbrasserie.
Les deux emplois ont été déterminés essentiels depuis le début du confinement en Ontario.
Pendant les sept premières semaines, les deux parents se sont relayés à la maison en travaillant tôt le matin et jusque tard dans la nuit.
Mais rapidement ils ont dû accepter que cette cadence allait être insoutenable.
« Ce n’était pas juste pour les enfants, nous n’étions pas vraiment là avec eux. »
À contrecœur, Mme Fisher a choisi de laisser ses collègues et les patients dont elle est normalement responsable pour s’occuper à temps plein de ses enfants.
Elle affirme avoir été déchirée entre la culpabilité de laisser ses responsabilités professionnelles, alors que les besoins étaient criants, et celle de voir ses enfants manquer d’attention alors qu’elle et son conjoint tentaient de tout mener de front.
Elle souligne que bien que son mari aurait pu rester avec les enfants, elle sentait que ce rôle lui revenait, qu’elle était mieux équipée pour le remplir.
Décision ou obligation?
Bien que Mme Fischer soit impatiente de retrouver les résidents de la maison de retraite où elle travaille, elle est sereine quant à la décision qu’elle et son conjoint ont prise.
Toutefois, selon la directrice principale des politiques à la Fondation canadienne des femmes, Anuradha Dugal, le choix n’en est pas toujours vraiment un.
Elle souligne que l’écart entre les salaires des conjoints est une réalité presque immuable.
En 2018, l’écart du salaire entre les hommes et les femmes (Nouvelle fenêtre) était d’environ 13 % et n’avait rétréci que de 6 % depuis 1998 selon Statistique Canada.
Cet écart dépasse par ailleurs les 20 % lorsqu’on compare les femmes issues de minorités visibles ou sexuelles avec l’ensemble de la population.
Il est presque impossible, selon Mme Dugal, pour un couple de choisir de se priver du salaire le plus élevé.
De plus, les tâches domestiques liées aux soins des enfants ou des proches malades continuent d’être grandement attribuées de manière disproportionnée aux femmes au sein des couples hétérosexuels, selon Mme Dugal.
Pas assez de places en garderie
La mise en place de mesures comme les services de garde d’urgence pour les travailleurs essentiels auraient pu permettre d’éviter à des familles de faire ces sacrifices, selon Mme Dugal, si celles-ci avaient été adéquates.
La mise en place de ces services de garde a été confiée à 47 directions régionales en Ontario : municipalités, comtés et régions.
Dans le cas de Mme Fischer, les services sociaux de Grey n’avaient pas encore un seul service de garde approuvé sur leur territoire en date du 23 mai.
Le nombre de places disponibles dans les différentes régions de la province est grandement inégal.
Par exemple, dans la région du Niagara, 130 places d’urgence sont disponibles et 106 enfants y sont en ce moment inscrits.
La ville de Toronto compte quant à elle 208 places. Elles sont toutes occupées et 557 familles se qualifiant pour une de ces places d’urgence se trouvent sur une liste d’attente.
Toronto a 2 fois plus de familles en attente d'une place dans un service de garde pour familles de travailleurs essentiels que de places disponibles. (208 places disponibles, 557 familles en attente) #icito
— Katherine Brulotte (@Kath_Brulotte) May 22, 2020
À Sudbury, 79 des 101 places disponibles ont trouvé preneur, mais 13 enfants sont en attente d’une place adéquate en vertu de leur âge ou de leurs besoins spécifiques.
Des leçons à retenir
Mme Dugal avance que même si ces services d’urgence ont rapidement été bonifiés pour répondre à la demande ils ne peuvent pas être considérés comme des solutions à long terme.
« On peut être créatifs, là dans l’immédiat, mais à long terme il faudrait s’assurer de ne plus être dans cette situation. »
Même si elle aimerait croire que la crise de la COVID-19 va permettre de faire changer les choses, la professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa Jacqueline Best est sceptique.
Selon ses recherches, les gouvernements sont plus enclins à mettre en place des mesures immédiatement après une crise pour corriger les lacunes du système mises de l’avant lors de celle-ci, mais cessent rapidement de leur octroyer un financement significatif une fois la crise oubliée.
Mme Best souligne que seules les plus grandes crises ont débouché sur un changement sociétal significatif.
« Les choses ont changé dans les années 50, mais ça a pris non seulement la Grande Dépression, mais aussi la Deuxième Guerre mondiale. »
Elle cite Rahm Emanuel, le chef de cabinet de Barack Obama au cœur de la crise économique de 2009, et Winston Churchill durant la Deuxième Guerre mondiale, qui avait tous deux déclaré qu’il ne fallait pas gaspiller une crise.