La réouverture comme laboratoire pour le commerce de demain
« Il faut faire attention, car on peut vite l’échapper » : des commerçants de Montréal se veulent prudents quant à la réouverture de leur magasin.

Les commerces ayant pignon sur rue au centre-ville de Montréal peuvent rouvrir leurs portes.
Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
- Jean-Philippe Guilbault
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Pour un premier dimanche estival au centre-ville de Montréal, la rue Sainte-Catherine et le Quartier des spectacles sont vides. À part quelques sans-abris et des journalistes venus documenter ce dernier jour de confinement pour les commerces non essentiels.
La santé publique du Québec permet dès lundi la réouverture des commerces non essentiels ayant pignon sur rue dans la grande région de Montréal.
Déjà dimanche, il était possible de voir que plusieurs commerces avaient préparé les consignes à respecter à l’intérieur lors des emplettes.

Des commerces de Montréal indiquent dans leur vitrine les règles à respecter lors de leur réouverture.
Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Guilbault
Ça fait trois semaines qu’on est prêts
, lance une employée du Sports Experts au centre-ville de Montréal, dont le service d’entretien de vélo, un service essentiel, est ouvert depuis plusieurs jours.
Les commerçants montréalais ont effectivement dû prendre leur mal en patience, puisque la consigne de réouverture a été reportée à deux reprises par Québec, la situation sanitaire sur l’île ne permettant pas une reprise des activités commerciales.
Dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, la boutique de vêtement Station Service a installé un comptoir de plexiglas pour que ses clients puissent venir récupérer leurs commandes en personne.
Lors de la réouverture, lundi, un seul client sera admis à l’intérieur à la fois et sera accompagné par une conseillère. Pour l’essayage, il faudra prendre un rendez-vous à l’avance et les vêtements seront préparés à l’intérieur de la cabine.
Ce que la cliente ne prendra pas, on va le mettre en quarantaine pendant 24 heures
, précise au bout du fil Raphaëlle Bonin, fondatrice et propriétaire de Station Service.

La boutique Station Service a installé un comptoir en plexiglas.
Photo : Gracieuseté
Ce n’est pas aussi organique qu’à l’habitude, tout doit être calculé à l’avance et ça enlève du charme à notre expérience client, mais c’est essentiel pour nous que tout le monde se sente en sécurité
, explique Mme Bonin, qui ajoute que la distance de deux mètres entre les personnes devra être respectée. Le port du masque sera également obligatoire à l’intérieur de la boutique.
Si elle se dit confiante envers les mesures prises pour relancer partiellement l’activité de sa boutique, la propriétaire rappelle que la prudence demeure de mise dans un contexte extrêmement incertain.
Il faut faire attention, car on peut vite l’échapper et ça peut devenir incontrôlable
, note-t-elle.
En entrevue sur les ondes de RDI, dimanche matin, le président du Conseil canadien du commerce de détail Québec, Marc Fortin, se voulait rassurant.
Tout le monde a eu beaucoup d’informations, les commerçants ont investi et ils sont prêts
, a-t-il assuré, tout en précisant du même souffle que l’expérience ne serait pas homogène
pour tous les commerces.
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Occasion ratée de réfléchir au travail?
En plus de permettre la réouverture de plusieurs commerces, Québec autorise également ceux-ci à ouvrir leurs portes le dimanche.
Depuis le mois d’avril, les commerces essentiels toujours ouverts ne pouvaient offrir de service les dimanches, une mesure qui avait frappé l’imaginaire des Québécois et qui a été saluée par le président et chef de la direction de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction, Richard Darveau.
Quand on dispose de six jours en pandémie pour se trouver un marteau, c’est suffisant
, illustre-t-il. On souhaitait que les quincailleries demeurent fermées le dimanche, pas juste en mai, mais aussi en juin, puisque la pandémie continue.
Un jour ou l’autre, il faudra avoir un débat de société sur cette question [...] de l’ouverture au maximum, tous les soirs et toutes les nuits
, ajoute M. Darveau.
Est-ce que c’est absolument nécessaire que les gens aient accès en tout temps à tous les types de commerces? C’est le genre de question que l’on veut poser.
D’autres observateurs, dont le groupe de recherche sur la décroissance Polémos, avaient aussi vu en cet arrêt de l’activité économique une occasion de réfléchir à notre rapport à la consommation et au travail.
Ça ramenait à une position de ralentissement et de se dire que ce n’était peut-être plus le jour du Seigneur, mais plus pour la famille et pour les amis
, explique Josée Provençal, chercheuse au sein de Polémos et aussi du Labo Climat Montréal de l’INRS, l'Institut national de recherche scientifique.

L'arrêt économique aurait permis à certaines personnes de consacrer plus de temps à leur famille et à leurs amis, d'autant plus que les rassemblements extérieurs restreints sont à nouveau permis.
Photo : The Canadian Press / Graham Hughes
Il y a beaucoup de gens qui ont remis en perspective leur réalité par rapport à celle des autres et aussi par rapport à notre rythme de vie
, ajoute la chercheuse.
Car la pandémie, le confinement et la fermeture des commerces auront permis aux Québécois de changer d’échelle
, selon Mme Provençal.
On était beaucoup tournés vers "l’avoir", souvent sur le plan individuel, et là on a regardé le collectif et on a pensé à "l’être" : comment je me sens dans cette situation-là? Comment les autres arrivent à se sortir de cette situation-là?
La question du ralentissement est aussi au cœur du processus de réouverture de la boutique Station Service.
Il y a un gros travail pour réenligner l’organisation de l’entreprise avec la nouvelle réalité des consommateurs
, confirme Raphaëlle Bonin, qui souligne que ces derniers n’auront peut-être pas les moyens d’acheter autant qu’avant la pandémie.
Je me suis isolée en nature, dans le bois, et mon but est de réfléchir à ça. Comment peut-on survivre sans se presser et sans vouloir rouvrir et faire comme si de rien n’était, parce qu’on ne sait pas ce qui s’en vient dans six mois.
Avec la collaboration de Yessica Chavez
- Jean-Philippe Guilbault