Application de traçage : le dilemme qui attend les Canadiens

Une application mobile de traçage des cas de coronavirus pourrait être lancée dès juin au Canada.
Photo : Getty Images / Dirk Waem
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les Canadiens auront bientôt accès à une application mobile pour lutter contre la COVID-19. Un logiciel national de traçage des contacts devrait être disponible dès le mois de juin, mais dans la trentaine de pays qui possèdent déjà une telle application, les résultats sont moins que probants.
Près de quatre millions d’Australiens ont téléchargé l’application COVIDSafe sur leur téléphone cellulaire. Michael Molnar ne fait pas partie de ceux-là. Ce Canadien qui vit maintenant à Sydney hésite encore, presque un mois après le lancement du logiciel.
Je n’aime pas la possibilité que la santé publique puisse avoir accès à certaines de mes données personnelles et je ne suis pas convaincu de l’utilité de l’application
, explique-t-il.
L’épouse de Michael, elle, a téléchargé l’application.
Parce qu’elle est plus souvent sortie faire des emplettes, donc elle entre davantage en contact avec des étrangers
, dit Michael. Mais je lui ai recommandé de désactiver l’application quand elle n’en a pas besoin.

L'application COVIDSafe n'est plus très populaire en Australie.
Photo : Getty Images / Quinn Rooney
Les Molnar représentent le dilemme auquel font face les Australiens en ce moment. En fait, l’application COVIDSafe était très populaire au départ, mais l’engouement s’est estompé depuis. Environ 16 % des Australiens ont téléchargé l’application depuis un mois. C’est nettement insuffisant aux yeux de nombreux experts.
Ces applications nécessitent un taux d'adhésion très, très grand, de 60 % à 70 % de la population qui devrait l'utiliser
, indique Stéphane Roche, professeur titulaire au Département de sciences géomatiques à l’Université Laval.
Même en Islande, avec un taux d'utilisation record de 40 %, la santé publique juge que l'utilité du logiciel est limitée pour retracer les chaînes de contamination
.
Application canadienne dès juin
Le premier ministre Justin Trudeau annonçait vendredi qu’il était en pourparlers avec les provinces canadiennes et des compagnies numériques afin d’avoir une application mobile nationale.
On doit faire en sorte que les données recueillies par les provinces et les territoires soient partagées à l’échelle du pays
, disait-il. Ça va nous aider à suivre la propagation du virus, à adapter notre réponse en conséquence et à sauver des vies.
Voici comment une telle application pourrait fonctionner au Canada.
L’application cellulaire utilise la technologie Bluetooth pour échanger des données et garder une liste anonyme des gens avec qui vous entrez en contact.
Si une personne est déclarée positive à la COVID-19, la santé publique sera mise au courant et pourra contacter rapidement (par texto ou autres types de messagerie) les personnes possiblement infectées.
Des failles
L’utilisation d'applications pour identifier les chaînes de contamination n’est pas infaillible, fait remarquer le professeur Roche. D’abord, ce n’est pas parce que deux téléphones cellulaires sont entrés en contact par Bluetooth qu’il y a nécessairement eu contact pouvant mener à une contagion.
Ça risque de créer des faux positifs, d'alerter beaucoup de gens et d'envoyer beaucoup de monde se faire tester pour rien. Ça risque d'accélérer le niveau d'anxiété.
Ensuite, si une personne infectée touche une poignée de porte et qu’un individu passe au même endroit cinq minutes plus tard, ce genre de contamination échappera à l’application mobile.

Le professeur Stéphane Roche
Photo : Radio-Canada
Sans compter les failles informatiques : les canaux Bluetooth devront être ouverts en tout temps pour que l’application fonctionne, ce qui peut être utilisé par des pirates informatiques pour avoir accès aux données sur votre cellulaire.
Volontaire ou obligatoire?
Le premier ministre Justin Trudeau assure que l’utilisation de l’application pour retrouver les contacts se fera sur une base volontaire, mais la pression sera forte, croit Stéphane Roche.
On est en train de nous dire : si vous voulez sauver des vies, retrouver une vie normale, si vous voulez être déconfinés, utilisez l’application. Ce n’est pas complètement volontaire, ce n’est pas une liberté complète
, explique-t-il.
Michael Molnar rapporte qu’en Australie, il y a une forte pression politique et sociale à télécharger l’application.
Le gouvernement diffuse des publicités à la télé et le premier ministre Scott Morrisson fait toujours la promotion de COVIDSafe lors de ses points de presse quotidiens.
Il croit que les Canadiens doivent s’attendre à une pression sociale semblable.
Si ça peut sauver une seule vie ou éviter une seule éclosion, comment pouvez-vous dire non à l’application?
résume M. Molnar, pour illustrer un dilemme auquel les Canadiens seront bientôt eux aussi confrontés.