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17 ans après le SRAS, les laboratoires de l'Ontario étaient-ils prêts pour la COVID-19?

Au début des années 2000, les crises de Walkerton et du SRAS avaient exposé le piètre état des laboratoires de santé publique en Ontario.

La microbiologiste Allison McGeer dans un laboratoire en 2004.

La microbiologiste Allison McGeer et ses collègues de l'Hôpital Mont Sinai de Toronto avaient dû saisir la balle au bond face à l'incapacité des laboratoires de santé publique à faire face à la crise du SRAS.

Photo : La Presse canadienne / FRANK GUNN

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Il ne restait plus que deux microbiologistes-infectiologues au Laboratoire provincial de santé publique de l’Ontario en mars 2003 quand le premier ministre conservateur par intérim Ernie Eves a déclaré l’état d’urgence en réponse au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

Cinq de leurs collègues avaient été mis à pied deux ans plus tôt.

Est-ce qu’on a vraiment besoin de cinq personnes qui se tournent les pouces en attendant un virus?, avait déclaré à l’époque le porte-parole du ministère de la Santé, Gordon Haugh.

Le gouvernement provincial estimait à tort que l'apparition d’un nouveau virus était peu probable. Il avait donc fermé l’un des deux laboratoires de santé publique à Toronto, rue Palmerston, et considérablement réduit les effectifs des 12 autres.

Deux hommes mettent un masque.

Le premier ministre conservateur par intérim Ernie Eves à gauche, en compagnie du ministre de la Santé de l'époque Tony Clément, le 25 avril 2003.

Photo : La Presse canadienne / AARON HARRIS

Toronto frôle la catastrophe

Quand le SRAS a frappé, l’Ontario n’avait pas de plan. Après des années d’austérité, nombre de bureaux de santé publique s’étaient résolus à confier la surveillance des maladies infectieuses à une infirmière à temps partiel.

Comme le soulignait un an plutôt le rapport de la commission d'enquête sur la tragédie de Walkerton, l’expertise et l’équipement des laboratoires de santé publique étaient si désuets que la capacité de développer des protocoles de test était dangereusement limitée.

Face au chaos, quatre centres hospitaliers universitaires de Toronto ont dû prendre la balle au bond. À l’opposé de la province, ceux-ci s'étaient dotés de technologies de pointe pour détecter les micro-organismes.

La seule chose qui nous a sauvés d'une pire catastrophe a été le courage, le sacrifice et l'initiative personnelle des premiers répondants, des infirmières et des médecins, concluait le juge Archie Campbell dans le rapport final de la commission d'enquête sur le SRAS, en 2006.

Ses recommandations ont mené à la création de l’agence de santé publique de l’Ontario, dont le niveau d’expertise dans le domaine est aujourd’hui de renommée mondiale.

Un homme ajuste son masque à l'extérieur d'une clinique du SRAS en 2003.

Un patient à l'extérieur d'une clinique du SRAS à Toronto, le 28 mars 2003.

Photo : La Presse canadienne / KEVIN FRAYER

Lorsque la COVID-19 a frappé, l’Ontario était donc beaucoup mieux préparé. L’expertise scientifique était au rendez-vous. Les stratégies de communication entre les ordres de gouvernement en cas de pandémie étaient bien rodées.

Le ministère de la Santé, déplorent des experts, n’avait toutefois pas de plan solide en place pour pouvoir augmenter rapidement le nombre de tests analysés, qui surpasserait la capacité des laboratoires de santé publique, en situation de pandémie.

Contrairement au Québec et à d’autres provinces, l’Ontario a attendu la COVID-19 pour intégrer ses laboratoires hospitaliers et privés à un réseau coordonné. Un processus déjà complexe, surtout en plein milieu d'une pandémie et d'une pénurie mondiale de réactif.

Un réseau fragmenté

En Ontario, les services de laboratoire sont fournis par un éventail d’organismes publics et privés comprenant des laboratoires hospitaliers, universitaires, communautaires et de la santé publique. Ce système offre de la flexibilité au gouvernement et aux hôpitaux, mais n’est ni coordonné ni suffisamment surveillé, selon de nombreux rapports d’experts (Nouvelle fenêtre) et de vérificateurs généraux (Nouvelle fenêtre).

« À l’opposé, le Québec gère tous ses services de laboratoire à partir de réseaux régionaux. Un tel changement pourrait engendrer des économies annuelles de jusqu'à 20 %. »

— Une citation de  Rapport du vérificateur général de l’Ontario en 2017

Au début de la crise, les laboratoires de Santé publique Ontario, dont le budget annuel est gelé depuis des années, ont rapidement maximisé leur capacité à 3000 tests par jour. La microbiologiste en chef Vanessa Allen aurait elle-même approché les laboratoires privés et hospitaliers.

Une membre du personnel dans un laboratoire.

Le personnel du Laboratoire de santé publique de l'Ontario travaille de longues heures pour répondre à la demande d'analyse de tests de la COVID-19.

Photo : Radio-Canada / Craig Chivers/CBC

Ça aurait été très utile d’avoir un plan, estime l’épidémiologiste et chercheuse à l'Institut de recherche de l'Hôpital Toronto General, Lauren Lapointe-Shaw. C'est en grande partie grâce aux efforts de Vanessa Allen que ça s'est fait.

Jusqu’à ce que les géants privés Dynacare et LifeLabs se joignent au réseau, au début d'avril, les arriérés de tests paralysaient les efforts de dépistage de l’Ontario. L’absence de plan a ralenti nos efforts dans les premières semaines de la crise, renchérit le professeur en épidémiologie, santé globale et science politique de l’Université York, Steven Hoffman.

L’une des leçons qu’on va tirer de la crise, c’est l’importance d’être prêts à analyser rapidement un grand nombre de tests. La capacité et le financement des laboratoires de santé publique devraient être augmentés après la crise, croit-il.

Six des 11 laboratoires de santé publique ont la capacité et l’équipement moléculaire pour analyser les tests de la COVID-19. Cela cause de longs délais dans le Nord-Ouest, car les échantillons doivent être envoyés pour analyse à Toronto.

Santé publique Ontario achemine en ce moment du matériel à son laboratoire de Thunder Bay pour résoudre le problème, explique une porte-parole. L’agence a dû doubler le nombre d’analyseurs automatisés dans ses laboratoires depuis le début de la crise.

Un homme regarde la caméra.

Le professeur en épidémiologie, santé globale et science politique de l’Université York, Steven Hoffman

Photo : Radio-Canada / Natasha MacDonald-Dupuis

Selon Steven Hoffman, l’Ontario était moins préparé qu’il y a quelques années, en raison du sous-financement chronique en santé publique. C’est inquiétant. La COVID-19 n’est même pas près d’être le pire scénario de pandémie, prévient-il.

C’est un problème bureaucratique. À cause du retard, notre compréhension de la transmission du virus dans la communauté a été décalée, estime l’épidémiologiste et professeur à l'Université d'Ottawa Raywat Deonandan.

C’était une mise en garde du rapport fédéral rédigé après le SRAS. La capacité à répondre à des maladies infectieuses émergentes ne peut être compensée par les laboratoires privés ou hospitaliers en l'absence de toute une série d'accords préalables avec ces entités, écrivait le Dr David Naylor.

L’Allemagne est un cas de figure. Son ministère de la Santé a coordonné à l’avance un plan avec ses Länder détaillant des structures de paiement pour les laboratoires privés et hospitaliers en cas de pandémie.

Un nouveau réseau bâti en aval

L’Ontario a ainsi été contraint de créer un réseau en aval. Le mandat a été confié le 29 mars à Santé Ontario, la méga-agence de santé créée l’an dernier par le gouvernement Ford.

La province a depuis décuplé sa capacité en matière de laboratoires, souligne l’agence dans une déclaration écrite envoyée à Radio-Canada. En plus des 6 laboratoires de santé publique, le nouveau réseau comprend 16 laboratoires hospitaliers et 4 laboratoires privés.

La ministre Santé Ontario, Christine Elliott, lors d'une conférence de presse à Queen's Park.

La ministre Santé Ontario, Christine Elliott

Photo : La Presse canadienne / Frank Gunn

Le nouveau réseau intégré de laboratoires sera l’un des héritages de la crise, déclarait fièrement la ministre de la Santé Christine Elliott, le 4 mai dernier. Le réseau permet de centraliser les données et le transport pour pouvoir optimiser la capacité et les délais d'exécution, ajoute sa porte-parole Hayley Chazan par courriel.

Le porte-parole du ministère de la Santé, David Jensen, soutient pour sa part que les laboratoires de Santé publique Ontario ont été conçus pour fonctionner en temps normal, et non en temps de pandémie.

La capacité des laboratoires a été augmentée à 13 000 tests par jour à la mi-avril, puis à plus de 20 000 tests par jour au début mai. Les dirigeants de Santé Ontario ont réussi un pari titanesque, estime l’ancien sous-ministre à la Santé Bob Bell, qui était à la tête du réseau hospitalier University Health Network à l’époque du SRAS.

Ils ont fait un travail spectaculaire, dit-il. C’est complexe de bâtir un tel réseau en contexte pandémique en plus d’avoir à composer avec des difficultés d’approvisionnement mondiales comme la pénurie de réactif et d'écouvillons.

Une infirmière administre un vaccin à un homme dans la soixantaine.

Bob Bell en 2009, à l'époque où il était PDG du réseau hospitalier University Health Network. Une infirmière lui administrait le vaccin contre le H1N1 en compagnie de la ministre de la Santé de l'époque, Deb Matthews.

Photo : La Presse canadienne / FRANK GUNN

Le processus n’a pas démesurément ralenti la capacité d’analyser les tests, estime Bob Bell. La vraie leçon de la crise, ça va être de se demander, notamment, si on devrait créer plus de capacité de production de réactif au Canada pour éviter les pénuries, dit-il.

Malgré l’augmentation de la capacité d’analyses en laboratoire, le dépistage connaît toujours des ratés en Ontario en raison du manque de matériel.

Des problèmes de transport vers les laboratoires persistent aussi durant la fin de semaine. Je ne comprends pas. Il me semble que si c’était une priorité, il y aurait moyen de le faire, lance Lauren Lapointe-Shaw.

L’épidémiologiste franco-ontarienne prévient qu’en l’absence d’un dépistage massif et d’une stratégie de pistage des contacts plus large, l’Ontario pourrait devoir reporter des phases de son déconfinement ou même revenir en arrière si le nombre de cas remontait en flèche.

Le gouvernement Ford a annoncé jeudi dernier que toute personne qui a des symptômes peut désormais subir un test de dépistage en Ontario. Reste à voir si la capacité de dépistage sur le terrain pourra faire écho à cette volonté politique.

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