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Non, les autorités n'ont pas procédé à une « fraude statistique »

Une partie de la population est persuadée que les gouvernements gonflent délibérément les données sur le nombre de décès dus à la COVID-19.

Un cadavre est évacué du CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval.

26 résidents sont morts au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pour plusieurs d’entre nous, la pandémie a instauré une nouvelle routine dans nos vies : jeter un coup d’oeil au plus récent bilan des décès dus à la COVID-19. Jusqu’à quel point ces données constituent-elles un portrait fidèle de la situation? Certains en doutent au point où ils imputent aux autorités la volonté de tromper sciemment la population.

Sur YouTube, des chaînes québécoises colportent cette théorie tout en engrangeant un nombre sans cesse croissant de visionnements. La chaîne Radio-Québec, animée par Alexis Cossette-Trudel, incarne bien cette mouvance. Son web journal intitulé La fraude statistique confirmée a été visionné plus d’un demi-million de fois en l’espace d’un mois.

Pour lui, la population est prise en otage par le complexe médiatico-médical, et le calcul des décès relève davantage d'une opération politique que d'une démarche sanitaire.

On est rendu dans le flou statistique, une opération politique basée sur des faux chiffres. Tous les pays fonctionnent comme ça et classifient toutes sortes de morts dans la catégorie coronavirus pour faire gonfler les chiffres et pour faire peur.

Une citation de Alexis Cossette-Trudel, Radio-Québec
Alexis Cossette-Trudel est entouré de coupures de journaux et d'énoncés de son cru qui laissent entendre que les gouvernements bernent la population au sujet du nombre de décès dus à la COVID-19.

Capture d'écran tirée de la chaîne YouTube Radio-Québec, animée par Alexis Cossette-Trudel.

Photo : Capture d’écran - YouTube

COVID-19 : tout sur la pandémie

Consulter le dossier complet

Une représentation du coronavirus.

André Pitre est un autre de ces pourfendeurs de la gestion sanitaire de la pandémie. Sur sa chaîne YouTube Le Stu-Dio, il est régulièrement accompagné de Ken Pereira, ex-syndicaliste et témoin vedette de la commission Charbonneau. Pour ce duo, la pandémie de COVID-19 et ses conséquences seraient orchestrées par un État profond, Deep State, au diapason avec les visées du milliardaire et philanthrope Bill Gates. Les chiffres sur les décès? Une fabrication.

Venez pas me dire à moi que c’est la plus grande pandémie qu’on a jamais vécue quand vous mettez n’importe qui qui tousse pis qui a les yeux rouges dans la catégorie COVID-19, pis que vous faites pas de tests.

Une citation de André Pitre, Président / Fondateur du Stu-Dio
André Pitre et Ken Pereira sont assis à une table.

Capture d'écran tirée de la chaîne YouTube Stu-Dio animée par André Pitre. Son invité est l'ex-syndicaliste Ken Pereira.

Photo : Capture d'écran - YouTube

Idem pour Jean-Jacques Crèvecoeur, basé au Québec et dont la chaîne YouTube est très suivie dans la francophonie. Je persiste et signe en vous disant que c’est une pseudo-pandémie, affirme-t-il dans une de ses vidéos. Pour lui, les chiffres sur les décès ventilés quotidiennement par les gouvernements se basent sur un tissu invraisemblable de mensonges avec la manipulation des statistiques de morts.

L’épidémiologiste Nimâ Machouf ne mâche pas ses mots quand vient le temps de commenter ces affirmations. C’est du n’importe quoi, il n’y a aucun pays qui veut se vanter d’avoir un taux de mortalité supérieur aux autres et d’être le champion des décès, dit-elle, un brin excédée.

Moi j’avale absolument pas ça. Il y a des gens qui ont du temps à perdre qui veulent mettre les autres sur des mauvaises pistes, c’est tellement nocif, à mon avis. Distraire les gens avec des affaires comme ça, ça a pas de bon sens.

Une citation de Nimâ Machouf, épidémiologiste

Chiffres gonflés : au coeur de cette théorie

Au Québec, une déclaration en particulier de Horacio Arruda a été presque aussitôt brandie en guise de preuve de la fraude statistique.

Le 10 avril dernier, le directeur national de santé publique du Québec a affirmé qu’il est possible de comptabiliser parmi les décès dus à la COVID-19 un individu qui n’a pas reçu de diagnostic formel en ce sens, mais qui en revanche aurait vécu aux côtés d’une personne décédée et déclarée positive à la COVID-19.

Comme l’a alors spécifié le Dr Arruda, il s’agit d’une approche bien connue, qui ajoute aux cas testés en laboratoire les cas avec liens épidémiologiques. Mais pour Alexis Cossette-Trudel, le débat est clos, cette approche sert simplement à justifier les mesures sanitaires sévères qui ont été imposées, c'est seulement s'il y a une perception d'urgence qu'on est capable de justifier ces mesures draconiennes, il faut tout faire pour que les gens paniquent, conclut-il. Le vlogueur y voit aussi une manoeuvre qui va au-delà des frontières du Québec : c’est une arnaque absolue de l’OMS! C’est la même politique dans tous les pays simultanément (...) absolument scandaleux!, tonne-t-il.

En effet, le 20 avril dernier, l’Organisation mondiale de la santé émettait ses lignes directrices internationales pour la certification et la classification des décès dus à la COVID-19. Ce document (Nouvelle fenêtre), qui sert de guide pour bien des gouvernements, recommande l’inclusion des décès par liens épidémiologiques.

La COVID-19 doit être inscrite sur le certificat médical de décès pour TOUTES les personnes décédées lorsque cette maladie a causé ou contribué au décès, ou est soupçonnée de l’avoir fait.

Une citation de OMS, lignes directrices internationales pour la certification et la classification des décès dus à la COVID-19, 20 avril 2020

Comme la Corée du Sud, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et d’autres pays, le Québec a donc emboîté le pas à cette directive, une décision clairement détaillée et expliquée sur les sites web du ministère de la Santé (Nouvelle fenêtre) et de l’Institut national de la santé publique du Québec. (Nouvelle fenêtre)

Un document écrit est affiché.

La définition d'un lien épidémiologique telle que formulée par l'Institut national de la santé publique du Québec.

Photo : Radio-Canada

Une notion-clé dans cette définition est celle d’une exposition à risque élevé. Qui entre dans cette catégorie? Voici la liste dressée par Québec:

Texte explicatif.

Les critères définissant une exposition à risque élevé tels que statués par l'Institut national de la santé publique du Québec.

Photo : Radio-Canada

Le calcul des liens épidémiologiques : pourquoi?

Selon les experts de l’OMS, le principe derrière cette approche est notamment basé sur le fait qu’un nombre croissant de données montre que les personnes souffrant de maladies chroniques ou de déficit immunitaire présentent un risque plus élevé de décéder de la COVID-19.

D’autre part, dans bien des pays, la pandémie se conjugue avec un nombre limité de tests de dépistage, et c’est bien là le noeud du problème, selon Chantal Srivastava, journaliste à l’émission scientifique Les Années lumière diffusée sur les ondes d’ICI Première.

Dans une situation de pandémie, dès qu’on soupçonne que c’est un cas de COVID, on le considère comme un cas de COVID. La logique derrière ça, c’est qu’on ne peut pas tester tout le monde. Dans un monde idéal, on testerait tout le monde, mais c’est impossible de le faire maintenant.

Une citation de Chantal Srivastava, journaliste scientifique, Les Années lumière
Une professionnelle de la santé effectue un test de dépistage de la COVID-19 sur un patient âgé.

Le personnel médical est à pied d'oeuvre pour tenter de mettre au jour des cas de contamination au coronavirus dans le quartier Saint-Michel.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’épidémiologiste Nimâ Machouf abonde dans le même sens : en contexte normal on testerait tout le monde, mais on n’est pas en contexte normal, s’exclame-t-elle. Pour illustrer cette particularité, elle donne en exemple un cas observable en Afrique : quand c’est la saison de la malaria, toute fièvre est classée malaria jusqu’à preuve du contraire, précise-t-elle.

L’inclusion des décès par liens épidémiologiques est en ce moment très valorisée par l’équipe d’experts qui élabore les modèles mathématiques dont se sert le gouvernement Legault pour élaborer ses politiques sanitaires. Joint à Québec entre deux réunions, celui qui dirige cette équipe invoque les impératifs de précision qui guident son travail.

Ce que le gouvernement et les chercheurs veulent, c’est le portrait le plus fidèle possible du nombre de décès liés à la COVID19, et pour avoir le portrait le plus fidèle, on doit avoir les décès confirmés, mais aussi avoir des liens épidémiologiques qui nous permettent d’identifier des cas qui sont très probablement liés à la COVID.

Une citation de Marc Brisson, directeur, Groupe de recherche en modélisation mathématique et l’économie de la santé liée aux maladies infectieuses de l’Université Laval

Si les données officielles sur les décès ne sont pas fiables, M. Cossette-Trudel en veut aussi pour preuve le faible achalandage des hôpitaux en début de la pandémie, les médias ont été pris en flagrant délit de mensonge, estime-t-il.

En effet, les salles d'urgence des centres hospitaliers sont peu fréquentées à bien des endroits et les chiffres le prouvent, confirmait récemment aux Décrypteurs le Dr Gilbert Boucher, président de l'Association des spécialistes en médecine d'urgence du Québec (ASMUQ). Pour lui, c’est une bonne nouvelle, puisque l’objectif des autorités sanitaires est de s’assurer de la disponibilité des soins aigus pour les patients atteints de la COVID-19. C’est ce qu’on voulait. On ne veut pas perdre aucun patient malade de la COVID-19 parce qu’on manque de ressources. C’est contre ça qu’on se bat, précisait le Dr Boucher.

Consultations par télémédecine, appels à la population pour éviter le recours aux urgences à moins de cas graves, un ensemble de facteurs a contribué à l’atteinte de cet objectif qui n’avait rien à voir avec une tentative de masquer la réalité.

Décès en CHSLD : rien d'anormal?

Une autre déclaration du Dr Horacio Arruda a été récupérée par les vlogueurs qui doutent de la fiabilité des données officielles.

Le 22 avril, le directeur national de santé publique du Québec affirmait que chaque année, en temps ordinaire, il y a environ 1000 personnes par mois qui meurent dans les CHSLD. Dans le fond, il faut comprendre que des décès actuels qu’on comptabilise, associés à la COVID-19, seraient survenus malgré la situation.

Aux yeux d’Alexis Cossette-Trudel, cette seule déclaration est bien la preuve que la COVID-19 n’y est pour rien. Le lendemain, il écrivait sur sa page Facebook : Arruda a confirmé hier TOUTE l'analyse de Radio-Québec sur la falsification des chiffres dans la crise du COVID-19, ce qui convainc M. Cossette-Trudel que son web journal fait trembler l'Establishement!

Bon an mal an, la mort se présente bien sûr régulièrement dans les CHSLD. Mais dès la fin avril, une analyse statistique (Nouvelle fenêtre) menée par le quotidien Le Devoir a déterminé que les décès recensés dans ces établissements sont en rupture avec la tendance habituelle.

En scrutant les données des années antérieures, Le Devoir a pu déterminer que dans les CHSLD des régions de Laval et Montréal uniquement, la COVID-19 a été plus meurtrière au cours des premières semaines d’avril que l’ensemble des causes réunies lors d’un mois d’avril typique dans les CHSLD.

De plus, selon le démographe Alain Gagnon, interrogé par Le Devoir, il ne faut pas négliger l’impact des décès collatéraux dans les CHSLD, influencés par la baisse de la qualité des soins due à la surcharge de travail du personnel soignant ou encore le report de certaines opérations médicales dans un contexte où le système de santé est sous pression.

Au moment d’écrire ces lignes, selon les données (Nouvelle fenêtre) de l’Institut national de santé publique, depuis le 18 mars, 2476 personnes sont décédées en CHSLD.

La surmortalité : la clé pour comprendre

Partout dans le monde, les experts ont les yeux rivés sur les données de surmortalité, soit la comparaison des taux de mortalité, d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre ou encore d’un pays à l’autre par exemple.

Dans plusieurs pays, il a été possible de déterminer la surmortalité en calculant le nombre de morts excédentaires en 2020 par rapport aux années précédentes. Le constat fait dans ces pays est limpide. Alors qu’habituellement la surmortalité est semblable d’une année à l’autre, le nombre de décès excède cette année la normale historique dans de nombreux pays et la raison principale est sans contredit la pandémie de COVID-19, selon David Fisman, épidémiologiste et professeur à l'Université de Toronto, interrogé récemment par Radio-Canada.

En somme, ce que ces données colligées dans d’autres pays que le Canada confirment, c’est que les chiffres officiels sur les décès par COVID-19 sous-estiment bien plus qu'elles ne surestiment le nombre de personnes décédées de cette maladie. Une logique qui s’applique sans doute au Québec et au Canada, selon la journaliste scientifique Chantal Srivastava.

Dans les faits, il y a probablement beaucoup plus de cas qu’on ne calcule pas que de cas qu’on calcule en trop.

Une citation de Chantal Srivastava, journaliste, Les Années lumière

Un dossier interactif disponible sur le site (Nouvelle fenêtre) du New York Times illustre cette réalité. En se basant sur la surmortalité dans une vingtaine de pays, le quotidien américain parvient à calculer en dizaines de milliers de nombre de morts non comptabilisés dans les bilans officiels.

Des graphiques alignés.

Série de graphiques produits par le New York Times qui illustrent la surmortalité dans une vingtaine de pays et de régions du monde.

Photo : Capture d'écran - nytimes.com

Outre-Atlantique, en avril et en mars, il y aurait eu au moins 149 000 décès de plus que ceux enregistrés les années précédentes à la même période, selon l’organisme European Mortality Monitoring Project (Nouvelle fenêtre).

Le hic, c’est que les délais pour obtenir ce genre de données sont excessivement longs au Québec et au Canada. Une situation qu’ont d’ailleurs récemment déplorée (Nouvelle fenêtre) un groupe de démographes. On voit que plusieurs autres pays, notamment en Europe et aux États-Unis, ont des données publiées presque quotidiennement. C’est frustrant. On se demande pourquoi on ne réussit pas à les avoir au Canada, se désole Robert Bourbeau, professeur associé au Département de démographie à l'Université de Montréal, interviewé la semaine dernière par Radio-Canada.

Dans ce contexte, il faudra fort probablement être patient avant d’avoir une idée réelle et précise du nombre véritable de décès dus à la COVID-19 au Canada.

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