La survie de programmes des universités francophones menacée par la COVID-19

Comme dans de nombreux autres établissements postsecondaires au Canada, les responsables de ces établissements francophones affirment qu'ils préparent leur budget pour l’année 2020-2021 avec beaucoup d’incertitudes.
Photo : Radio-Canada / Thomas Asselin
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En raison des conséquences économiques de la COVID-19 et des compressions budgétaires provinciales, des responsables d’universités francophones hors Québec craignent pour la survie de leurs établissements et la vitalité de la langue française en milieu postsecondaire. Ces prévisions et ces observations sont faites à l’Université de Saint-Boniface (USB), au Manitoba, à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, et au Campus Saint-Jean, en Alberta.
Comme dans de nombreux autres établissements postsecondaires au Canada, les responsables de ces établissements francophones affirment préparer leur budget pour l’année 2020-2021 avec beaucoup d’incertitudes.
Ça va faire plus de 20 ans que je suis administrateur au postsecondaire et c’est la première fois que je vais présenter un budget déficitaire au conseil des gouverneurs
, a déclaré le recteur de l’Université Sainte-Anne, Allister Surette.
Ce dernier indique que l’Université a déjà annulé les sessions d'été et d'automne de son programme d'immersion, pourtant très populaire.
À lire aussi :
Les établissements s’attendent à voir une importante baisse des inscriptions d’étudiants étrangers pour l’année prochaine et croient qu’il est probable que de nombreux étudiants canadiens décrochent temporairement, faute de moyens financiers pour payer leurs frais de scolarité, dit le vice-président aux négociations de l’Association des professeurs et des professionnels de l’Université de Saint-Boniface, David Alper.
D’après M. Alper, beaucoup d’étudiants dépendent des emplois d’été pour couvrir leurs frais de scolarité et les autres dépenses liées à leur éducation.
On sait que le gouvernement fédéral est en train de mettre en place une mesure d’aide urgente pour les étudiants, mais ce n’est pas autant d’argent que les étudiants auraient gagné en travaillant l’été
, dit M. Alper.
Compressions
En plus des pertes liées aux inscriptions et aux coûts supplémentaires dus à l’adaptation de programmes à distance, ces responsables notent que certaines universités francophones doivent faire face à des compressions budgétaires imposées par leurs provinces respectives avant le début de la pandémie. C’est le cas de l’Université de Saint-Boniface et du Campus Saint-Jean.
En une année, l'Université de l'Alberta a perdu 17 % de son budget de fonctionnement, soit 110 millions de dollars. L'Université a imposé 8,6 % de réduction budgétaire aux facultés, et 12,5 %, aux unités centrales.
Selon le doyen, le déficit budgétaire pour l’année 2020-2021 représente environ 180 sections de cours, soit un peu moins de la moitié des cours offerts chaque année par le Campus Saint-Jean et le Centre collégial de l'Alberta.
Le Campus Saint-Jean est sous-financé depuis de nombreuses années. Lorsqu'il se produit une situation telle que nous la vivons actuellement, c’est-à-dire une conjugaison entre les coupes budgétaires très importantes du gouvernement provincial, l’interdiction d’utiliser nos réserves et la COVID-19, l’accumulation de tous ces facteurs nous plonge dans une situation très difficile à gérer
, explique le doyen du Campus Saint-Jean, Pierre-Yves Mocquais.
Le mois dernier, le Manitoba avait demandé aux universités de la province de trouver une façon de réduire jusqu'à 30 % leur budget durant les quatre prochains mois.
Après des négociations et des protestations, le gouvernement s’est rétracté et a décidé de procéder à des compressions à géométrie variable
, explique David Alper.
Cette semaine, les enseignants de l'Université de Saint-Boniface ont reçu un courriel de la rectrice, Sophie Bouffard, leur annonçant que l’USB ne subira plus de compressions.
Cette nouvelle ne réjouit pas complètement l’association des professeurs et professionnels de l’USB qui continue d’avoir des craintes quant au maintien de tous les services et de tous les programmes d’études.
M. Alper rappelle que l’USB doit tout de même faire face à une compression de 1 % imposée par la province avant le début de la pandémie.
Déjà, ça fait plusieurs années de suite que la province nous impose des compressions budgétaires de 1 %. Avec des coûts supplémentaires qui vont être engendrés par la pandémie, ça va être difficile de boucler notre budget sans réduire l’offre de cours, sans réduire les services, sans mettre à pied le personnel
, déplore-t-il.
Une réduction de l’offre de cours « est toujours difficile à encaisser pour les universités en milieu minoritaire qui perdent chaque année des étudiants potentiels au profit des établissements qui ont une meilleure offre de cours », explique-t-il.
On n’a pas une grande offre de programmes, raison pour laquelle de nombreux jeunes vont dans les autres établissements, ajoute-t-il. Si l’on devait en plus couper des programmes, ce serait grave.
Vitalité de la langue française, besoin d’aide d’Ottawa
Ces responsables et ces professeurs évoquent une menace pour la langue française et la vitalité des communautés francophones hors Québec.
Afin d’éviter le pire, tous espèrent que le gouvernement fédéral prendra des mesures financières rapidement, comme cela a été fait pour différents secteurs de l’économie.
Une université en milieu minoritaire est un symbole fort
de la vitalité et de la préservation de la culture et de l'intérêt francophones, aussi bien pour la population que les entreprises, notent-ils unanimement.
M. Guilbeault [ministre du Patrimoine canadien NDLR] devrait venir en aide aux universités en milieu minoritaire, pense David Alper. On fait face à une situation assez difficile […] le gouvernement fédéral doit nous venir en aide.
En Nouvelle-Écosse, des associations et des syndicats représentant des professeurs, des étudiants et des employés d'universités et de collèges se sont alliés pour réclamer aux gouvernements leur part de l’aide financière offerte.
On espère que le gouvernement fédéral nous aidera, on essaie de frapper à toutes les portes pour garder tous les intervenants au courant de notre situation
, dit le recteur, Allister Surette.
La ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly, n’a pu nous accorder d'entrevue.
Dans un tweet publié jeudi, elle a indiqué avoir eu une réunion avec les responsables du Campus Saint-Jean et travailler pour assurer la vitalité des institutions francophones d'un océan à l'autre
.
Selon Pierre-Yves Mocquais, la ministre a demandé à avoir un état des lieux de la situation actuelle : « Mme Joly a demandé qu'on lui soumette une proposition d'injection financière. »
Solidarité communautaire et collaboration
L’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) a lancé la campagne Sauvons Saint-Jean qui vise à mettre de la pression sur les gouvernements afin de remédier à la précarité financière du Campus Saint-Jean, l'un des seuls établissements universitaires francophones à l’ouest du Manitoba.
On a reçu un soutien absolument merveilleux de la communauté francophone de l’Alberta, dit le doyen. L’ACFA a fait un travail absolument magnifique au niveau politique.
À l’Université de Saint-Boniface, l’Association des professeurs et des professionnels dénonce le manque d’ouverture de l’administration de l’USB dans la gestion des conséquences de cette crise. Les responsables de l’Association souhaitent pouvoir participer à la recherche de solutions et à la prise de décisions.
On souhaiterait que l’administration soit plus à l’écoute du personnel de l’USB
, dit M. Alper.
Radio-Canada a demandé à l’administration de l’Université de Saint-Boniface quelles étaient ses prévisions concernant l’offre des cours pour les sessions prochaines, mais elle n’a pas voulu nous accorder d’entrevue.
Dans une note envoyée par courriel, un porte-parole nous a indiqué ceci : « [Les responsables de l’université] ne sont pas en mesure de commenter tant [qu’ils] n’auront pas reçu la lettre de directives officielles du gouvernement. »
Pour ce qui est de l’offre de cours en ligne ou pas en septembre, l’USB n’a pas pris de décision à ce jour
, a précisé le porte-parole.
Toutefois, l’Association des professeurs a révélé avoir été informée par l'administration que presque la totalité des cours de la session d’automne seront en ligne
.