Les femmes en sciences pourraient perdre du terrain
Des données démontrent que la proportion d'articles scientifiques soumis par des femmes est moindre depuis le début de la pandémie de la COVID-19.

Pendant le confinement, des chercheuses ont du mal à consacrer autant de temps à leurs travaux, en raison de responsabilités supplémentaires à la maison.
Photo : Associated Press / Richard Drew
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La production des chercheuses semble diminuer depuis le début de la pandémie, ce qui inquiète plusieurs membres de la communauté scientifique.
Selon les données de Statistique Canada, les femmes assument la majorité des responsabilités familiales dans les ménages du pays.
Une réalité qui se traduit par une réduction de la contribution de certaines d’entre elles aux recherches scientifiques.
Jocelyn Baker, chercheuse associée à l’Université Brock, en Ontario, affirme avoir dû faire des compromis sur la qualité de son travail.
Ses fils, qui sont en 7e et 10e année, sont plutôt autonomes dans le quotidien, mais ont besoin d’un soutien accru pour l’école à la maison.
« Je ne peux répondre à mes courriels avec la même assiduité que d’habitude. »
Elle considère le partage des tâches assez équitable dans son couple, mais souligne que la charge mentale, un terme utilisé pour désigner les efforts psychologiques nécessaires à l’organisation de la vie familiale, lui revient presque entièrement.
Un constat partagé par sa collègue Katharine Yagi.
La postdoctorante et assistante de recherche en biodiversité est mère d’un garçon de 2 ans.
Son conjoint occupe un emploi essentiel.
Elle estime que la décision qu’elle soit responsable des soins apportés à leur fils durant la pandémie s’est prise presque automatiquement.
Mais la réalité de combiner travail et soins d’un enfant l’a rapidement rattrapée.
« J’ai dû abandonner la publication d’un article. Avec mes autres tâches, c’est devenu clair que je n’y arriverais pas. »
Elle craint que le report de la publication de ses résultats de recherche ne lui nuise pour l’obtention de postes qu’elle convoite.
En effet, en milieu universitaire, la compétition est féroce.
L’expression « publish or perish », «publier ou périr» est souvent employée pour décrire la culture qui tend à évaluer le mérite d’un chercheur en vertu du nombre de publications à son actif.
Des chiffres à l’appui
Le chercheur Vincent Larivière et son équipe s’apprêtent à publier dans le Nature Index les résultats d’une étude démontrant une diminution de la contribution des femmes à la littérature scientifique au cours des derniers mois.
Une analyse de près de 328 000 articles publiés ou soumis en prépublication regroupant 1 300 000 auteurs montre une diminution notable de la proportion d’articles soumis par des femmes depuis le début de la pandémie.
Les auteurs de l’étude ont observé un plus bas taux de soumission par des femmes à la fois en comparaison avec les mois précédant la mise en place de mesures de confinement, mais aussi en comparaison avec la même période l’an dernier.
Malgré l’interruption de recherches dans certains domaines, le nombre d’articles soumis à ces mêmes plateformes a pourtant augmenté au cours de la même période.
Les auteurs se sont également penchés sur le rôle des femmes dans la rédaction d’articles publiés. Vincent Larivière explique que l’ordre de publication des noms des auteurs démontre leur niveau de contribution ou leur place dans la hiérarchie de l’équipe de recherche. Ainsi, les auteurs dont le nom figure en tête de liste sont plus souvent des chercheurs juniors ou en début de carrière alors que ceux publiés à la fin de la liste sont davantage établis dans leur domaine.
Les données montrent donc que les contributions des femmes en début de carrière ont davantage été réduites que celles de leurs collègues plus expérimentés.
La diminution est par ailleurs plus marquée sur certaines plateformes. Par exemple, une plateforme du domaine médical, medRxiv, enregistrait la plus forte diminution de publications par des femmes comme premier auteur. Alors que leur contribution représentait près de 36 % en décembre, elle atteignait à peine 20 % en avril.
Des années de travail en péril
La directrice de la chaire de recherche UNESCO de l’Université Brock, Liette Vasseur, craint que cette diminution des publications ne ralentisse la progression des jeunes chercheuses dans la hiérarchie universitaire.
Elle s’inquiète également de la capacité des femmes à bénéficier, au même titre que leurs collègues masculins, du financement sans précédent mis en place pour la recherche en lien avec la COVID-19.
Par ailleurs, elle souligne que la diversité au sein des équipes de recherche à tous les échelons est essentielle pour assurer une diversité des sujets abordés et des perspectives prises en compte dans toutes les disciplines scientifiques.
Des mesures pour combler l’écart
Mme Vasseur souligne que certaines mesures qui ont été mises en place par les instances de recherche au pays, comme le report de certaines échéances pour le dépôt de demandes de subvention ou la prolongation de concours pour l’obtention de promotions, pourraient permettre de réduire quelque peu les conséquences de la baisse de productivité des femmes durant la pandémie.
Elle souligne toutefois qu’un changement de culture est nécessaire pour assurer à long terme la capacité des femmes à accéder aux hautes sphères de la recherche et à y apporter une contribution équitable.