À quoi les villes ressembleront-elles après la pandémie?

Les urbanistes prédisent que la pandémie va transformer nos façons d'aménager les villes.
Photo : afp via getty images / LIONEL BONAVENTURE
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La pandémie de coronavirus nous pousse à repenser l’organisation des grandes villes, qui sont généralement les zones les plus touchées. D’ailleurs, l’histoire même de l’urbanisme est liée à la lutte contre les épidémies.
La ville de New York prévoit de fermer certaines de ses rues à la circulation automobile. À Paris, 50 kilomètres de voies sur des axes habituellement réservées aux voitures seront consacrés aux vélos. À Vilnius, les restaurants et les bars peuvent désormais investir gratuitement l’espace public pour permettre une meilleure distanciation physique entre les clients. À Montréal et ailleurs, on a élargi les trottoirs.
Depuis le début de la pandémie, nombreuses sont les initiatives de réorganisation des grandes villes. Et finalement, des changements durables semblent inévitables selon des experts en urbanisme.
D'ailleurs, les pandémies, au fil des siècles, ont toujours poussé les urbanistes et les architectes à revoir l'organisation des villes. Ainsi, la découverte du bacille tuberculeux donna naissance au mouvement des sanatoriums en Europe et aux États-Unis.
La mise en place des égouts et du réseau d'eau potable est aussi le résultat de crises sanitaires.
Car l’ennemi n’est pas la ville en soi, estime l'urbaniste Serge Filion. Il rappelle que déjà dans les années 1950, au Québec, on disait que les milieux de vie urbains étaient insalubres et que les régions [éloignées] étaient plus sûres. Mais ce n’est pas une option souhaitable que de s’opposer à la densité
. Il évoque les grandes villes de Singapour et de Hong Kong qui ont eu un relativement bon contrôle de l’épidémie
.
Si la densité urbaine a certainement joué un rôle dans la propagation de la COVID-19, d'autres facteurs sont à prendre en compte. Pour Pierre Filion, professeur à l'École d'urbanisme de l'Université de Waterloo, les secteurs les plus touchés sont aussi ceux où les gens voyagent beaucoup. En entrevue à l’émission Matins sans frontières, récemment, il a expliqué que les transports en commun ont aussi joué un rôle dans la propagation du virus.

Au moment où s'amorce le déconfinement, des changements durables dans les centre-villes semblent inévitables. Les urbanistes songent déjà à la transformation des gratte-ciel et des espaces piétons. Le reportage de Philippe Leblanc
Des aménagements urbains modulables
L’urbaniste Sylvain Gariépy rappelle aussi que la ville permet le maintien d’un minimum de liens sociaux, surtout lorsque la population est confinée.
Il concède que la pandémie va apporter des nouvelles préoccupations dans notre manière de concevoir l’espace public
. Pour lui, rendre cet espace plus flexible serait une bonne solution.
On a besoin d’avoir des aménagements flexibles où on va pouvoir libérer de la place pour les piétons
, dit M. Gariépy, qui assure que l’idée de rendre l’espace public au profit des commerces fait partie des préoccupations qui seront intégrées.
Par exemple, dès le 23 mars, la ville de Bogotá, en Colombie, a déployé progressivement 22, puis 117 kilomètres de pistes cyclables temporaires, avant de redescendre à 76 kilomètres, puis à 35. L’idée étant de s’adapter aux besoins réels en installant des infrastructures modifiables ou démontables rapidement.
Ce qu’il faut, selon Serge Filion, c’est avant tout établir des nouveaux protocoles, être plus prudents, miser sur une bonne hygiène des villes et surtout, renouer avec la nature, les milieux humides, ramener la forêt et l’agriculture en ville.
Alors que la tentation serait forte de reprendre les projets là où ils ont été arrêtés, il vaudrait mieux saisir l’occasion, selon l’urbaniste, pour lancer de nouvelles opportunités comme l’électrification des transports, la mise aux normes des patrimoines immobiliers en matière de consommation d’énergie ou encore la fin immédiate de l’inutile étalement urbain.
Car, comme le rappelle Sylvain Gariépy, si nous vivons actuellement une crise sanitaire, il ne faut pas oublier qu’une autre crise perdure : celle du réchauffement climatique. Celle-ci nous rappelle l’importance d’avoir des espaces plus malléables, avec des superficies plus importantes pour les parcs par exemple
, dit-il.
Besoin d'espace
Le besoin de sortir changer d’air dans les parcs s’est d’ailleurs beaucoup fait sentir à Montréal où la mairesse Valérie Plante a dû sévir et fermer les stationnements de certains grands parcs pour éviter de trop grandes affluences.
Dans une tribune publiée dans la revue spécialisée Formes, l’architecte Jean Beaudoin pense aussi que la ville va tout simplement manquer d’espace à cause des mesures de distanciation physique.
Dans l’urgence, les aménagements de file d’attente, de périmètre de sécurité, de corridor sanitaire, de signalisation sont faits en majorité sans architectes. Les besoins d’espaces feront exploser des écoles déjà trop petites. Les files des arrêts de bus et de quai de métro s’étireront et le temps d’embarquement aussi
, écrit-il.
Même l’espace privé risque d’être pensé différemment, surtout si des épisodes de confinement se reproduisent. Nombreux sont ceux qui, privés d’un jardin ou d’un balcon, avec seulement une fenêtre donnant sur l’immeuble voisin, vivent difficilement leur confinement.
« On va plus réfléchir à avoir un espace privé adapté pour prendre une bouffée d’air frais comme un balcon, des fenêtres. »
Par ailleurs, la pandémie va-t-elle également sonner le glas des hautes tours de bureau? Les employeurs ont réalisé qu’il est possible d’être tout aussi productif à la maison qu’au bureau
, lance Murtaza Haider, professeur en gestion de l’immobilier à l’Université Ryerson.
Lynn Richards, la présidente du Congrès pour le nouvel urbanisme, croit même que ces changements pourraient devenir permanents et que certaines entreprises pourraient s’unir afin d’offrir des bureaux partagés avec ascenseur sans contact.
Pas question, toutefois, de généraliser le télétravail, pour M. Filion. La solution n’est pas dans les extrêmes. Je trouve ça agréable le télétravail, mais je pense qu’il faut trouver une espèce d’équilibre plutôt que d’abandonner les tours de bureaux
, dit-il. Car selon lui, rien ne remplacera le vrai contact humain.
Avec les informations de Philippe Leblanc