COVID-19 : comment le Québec réussit-il à pister les contacts d’une personne infectée?
L'approche privilégiée par les autorités sanitaires est une sorte de robocall par courriel.

Le Québec mise sur une plateforme web automatisée pour retracer les contacts d'une personne infectée.
Photo : Radio-Canada / Emilee Flansberry-Lanoix
Avec le déconfinement, la demande d’outils permettant de suivre à la trace les personnes les plus à risque d’être atteintes de la COVID-19 se fait de plus en plus pressante. Pendant que sur la scène nationale la possibilité d’utiliser ou non des applications de téléphones cellulaires fait débat en raison de ses enjeux éthiques, au Québec, on a plutôt choisi de miser sur une plateforme web automatisée. Une sorte de « robocall » par courriel.
Il y a plus d’un mois, alors que le nombre de nouveaux cas confirmés frise le millier chaque jour, l'inquiétude commence à se faire sentir dans les rangs des autorités sanitaires. La pandémie progresse rapidement et il n’y a pas assez de personnel soignant pour suivre sa trace.
Les autorités cherchent à joindre par téléphone toutes les personnes qui ont été en contact avec un patient atteint de la maladie pour leur demander de s’isoler et de surveiller leurs symptômes. Le but est de rapidement endiguer la propagation, mais la tâche est colossale et le processus est lourd.
Est-ce qu’on est en mesure d’avoir assez de ressources pour pouvoir maintenir une cadence? C’est-à-dire, est-ce qu’on va être en mesure de gérer de 10 000 à 16 000 cas par jour?
Rapidement, les autorités constatent que la COVID-19 gagne du terrain. C’est dans les grands centres comme Montréal, la Montérégie et Laval que la situation semble déborder.
La Direction de la santé publique de Montréal peut traiter en une année environ 10 000 cas de maladies à déclaration obligatoire. Et, en près de deux ou trois mois, elle en a fait 9000!
donne en guise d’exemple Marlène Mercier, directrice de la Vigie sanitaire à la Direction générale adjointe de la protection de la santé publique.
Imaginez [le déséquilibre avec] les ressources en place!
relève-t-elle. Il y a une marge de manoeuvre qui est difficile. Une charge de travail qui est énorme à atteindre.
Remonter la chaîne de transmission efficacement mais plus rapidement devient un objectif à atteindre. Le gouvernement est alors à la recherche de solutions.
[On devait] trouver des méthodes qui allaient faire en sorte que l’on pourrait le plus rapidement possible prendre en charge tous les cas pour assurer un suivi adéquat de la recherche des contacts et faire en sorte que la contamination ne se propage pas
, rapporte Mme Mercier.
Une plateforme automatisée
C'est à ce moment qu’entre en scène une compagnie basée à Lévis, Akinox Solutions. Elle est bien connue des autorités, car elle semble avoir fait ses preuves en télémédecine.
La compagnie a été approchée par les autorités parce que sa plateforme numérique automatisée est déjà bien implantée dans le réseau québécois de la santé. Cette technologie a aussi l’avantage de pouvoir s’adapter dans un temps très restreint
aux impératifs liés à la pandémie.
[La pandémie], c’est un contexte qui est très fluide, donc il fallait que la solution soit très, très agile.
Cette plateforme permet non seulement de joindre directement et plus rapidement les contacts, mais aussi à ces derniers de s’autoévaluer en répondant à un questionnaire sur l’état de leurs symptômes, explique le PDG d’Akinox Solutions, Alexander Dahl.
Avec cet outil, dit-il, plutôt que de faire des appels téléphoniques qui peuvent durer de nombreuses minutes chacun, un courriel avec un lien est envoyé à tous ceux qui ont été en relation avec une personne malade pendant la période de contagion.
LES ÉTAPES

Alexander Dahl soutient que son outil accroît l’efficience des enquêtes épidémiologiques menées par les autorités sanitaires, car il permet de gagner du temps et de libérer des ressources humaines.
C’est une demi-heure à une heure facilement, au téléphone, qui va être épargnée.
Ce que l’on peut évaluer pour l’instant, c’est l’impact sur le temps des ressources de santé publique, qui peuvent maintenant se concentrer sur des enquêtes à plus haute valeur ajoutée
, explique-t-il. La santé publique peut mettre ses ressources là où il manque du monde.
Pour les autorités québécoises, la plateforme est comme une oasis dans le désert. Si j’ai quatre contacts pour lesquels je peux facilement avoir une intervention automatisée, je peux me concentrer sur beaucoup plus de cas
, avance Mme Mercier. Donc, l’avantage, il est très grand.
Un autre avantage, selon l’avis de la directrice de la Vigie sanitaire, réside dans le taux de réponse des contacts quand même très élevé
par rapport aux méthodes de collecte précédemment employées.
À lire aussi :
Casser le rythme des transmissions
Retrouver les contacts récents des patients infectés pour les forcer à s’isoler est l’une des meilleures armes à la disposition des autorités pour casser la chaîne de transmission de la COVID-19, rappelle Paul-Georges Rossi, directeur à la prévention et au contrôle des maladies au MSSS.
C’est ce qu’on appelle le ''search and contain'', donc le premier bouclier contre ce type de pandémie.
Si vous perdez la capacité de parler aux gens avec qui une personne infectée a eu un contact étroit, comprenez qu’entre 5 et 14 jours, il y aura d’autres personnes [de contaminées]. Donc, on n’arrête pas le cycle de la transmission
, explique le haut fonctionnaire. [Retracer les contacts d’une personne infectée], c’est très, très important.
Mais il faut agir diligemment, insiste-t-il. C’est ce que permet la solution qui a été retenue, selon lui.
C’est vraiment le même système que si cela avait été un système par téléphone, sauf que c’est automatisé, ce qui augmente de beaucoup la portée de notre action
, justifie-t-il.
Et les applications, elles?
Pour le moment, la plateforme numérique d’Akinox est le seul système automatisé utilisé par les autorités sanitaires pour pister les contacts, bien que de plus petites régions — telles que la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, par exemple — continuent d’utiliser le téléphone.
Même si le gouvernement évalue toutes ses options et n’écarte pas l’idée de la géolocalisation à grande échelle, l’utilisation d’applications de téléphones intelligents est une idée loin d’être acquise.
Mme Mercier y voit plusieurs obstacles. Il faudrait tout d’abord qu’une personne consente à ce qu’on utilise son téléphone intelligent. Ensuite, il y a toute la question de la protection des données personnelles.
L’approche privilégiée par Québec assure une protection idéale, estime-t-elle, la santé publique étant tenue aux règles de respect de la confidentialité.
La banque de données appartient au directeur national de santé publique, qui est le Dr Arruda.
Parce que le directeur national s’est mis en enquête épidémiologique, ces données-là sont considérées comme une maladie à déclaration obligatoire et sont traitées comme telle. Ce sont des informations qui restent dans nos fichiers
, prend soin de préciser la haute fonctionnaire.
Certes la compagnie Akinox recueille les informations, mais ces données ne lui appartiennent pas, insiste la directrice.
Akinox, c’est le constructeur de la plateforme, mais l’information est sur un site sécurisé qui appartient au ministère de la Santé et des Services sociaux
, dit-elle.