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Une reconstruction dans la controverse à Nordiq Canada

Sur le circuit de la Coupe du monde de ski de fond, les quatre meilleurs athlètes du Canada étaient des femmes cet hiver. La semaine dernière, trois d’entre elles ont appris qu’elles étaient exclues de l’équipe nationale.

Alex Harvey est en plein effort pendant l'épreuve.

Le reportage de Guillaume Piedboeuf

Photo : Getty Images / Clive Mason

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Déjà critiquée pour son manque d’égard envers la francophonie, Nordiq Canada se retrouve maintenant au centre d’une controverse concernant la reconstruction de son programme, un an après la retraite d’Alex Harvey.

Âgée de 26 ans, Cendrine Browne a connu les meilleurs moments de sa carrière en Coupe du monde cet hiver. Elle revenait de loin.

Après avoir participé aux Jeux olympiques de Pyeongchang, en février 2018, la skieuse originaire des Laurentides a frappé un mur, mentalement, la saison suivante.

Je n’allais clairement pas bien et j’aurais tellement dû prendre une année de repos, mais personne ne fait ça en ski de fond, comme c’est un sport d’endurance. J’aurais perdu ma place sur l’équipe nationale, donc il fallait absolument que j’essaie de faire les critères.

Incapable d’obtenir les résultats en Coupe du monde qui lui auraient assuré de demeurer dans le programme, la Québécoise a vu son sort se retrouver entre les mains de Nordiq Canada à la fin de la saison 2018-2019. La fédération a décidé de l’exclure de l’équipe nationale.

J’ai fait un trouble d’adaptation, qui s’apparente à une dépression, et Nordiq Canada ne m’a pas soutenue là-dedans. Ça a été un gros coup pour moi. Ça faisait six ans que j’étais sur l’équipe.

Malgré cela, et une sévère commotion cérébrale qui l’a forcée au repos au début de l’automne, Cendrine Browne a décidé de se retrousser les manches cet hiver pour refaire sa place.

La fondeuse  Cendrine Browne en action lors d'une montée aux Jeux olympiques de Pyeongchang, en 2018.

La fondeuse québécoise Cendrine Browne aux Jeux olympiques de Pyeongchang, en 2018

Photo : Getty Images / Quinn Rooney

Ses performances aux qualifications canadiennes lui ont permis de retourner représenter le Canada en Coupe du monde, à ses frais. Au Tour de Scandinavie, en février, elle a terminé deux courses parmi les 30 premières, avec notamment une 25e position, un record personnel. C’était avant que la COVID-19 force une fin de saison prématurée.

J’avais quand même espoir de réintégrer l’équipe à cause de mes bonnes performances, explique l’athlète du Centre national d’entraînement Pierre-Harvey (CNEPH), à Saint-Ferréol-les-Neiges. Mais vendredi, lorsque Nordiq Canada a dévoilé l'équipe pour la saison prochaine, le nom de Cendrine Browne ne s’y trouvait pas.

Pas plus que ceux de la Québécoise Katherine Stewart-Jones et de l’Albertaine Maya MacIsaac-Jones, des athlètes de 25 et 24 ans, membres de l’équipe nationale depuis plusieurs années.

L’absence des trois skieuses, auteures des trois meilleurs résultats canadiens en Coupe du monde cette saison — après ceux de leur coéquipière Dahria Beatty —, a été accueillie avec un malaise par plusieurs intervenants du ski de fond québécois et canadien. C’est notamment un brevet d’athlète de Sport Canada, qui leur procure une subvention de 22 000 $, que les trois femmes n’auront pas pour l’année à venir.

Malheureusement, on est trois à avoir fait des top 30 en Coupe du monde et à avoir été exclues de l’équipe nationale parce qu’on nous trouve trop vieilles, résume Cendrine Browne.

Pourtant, affirme-t-elle, le ski de fond est un sport à développement tardif. La meilleure fondeuse au monde, la Norvégienne Therese Johaug, a 31 ans.

Les Jeux olympiques de 2022 sacrifiés?

À Nordiq Canada, on ne cache pas avoir les yeux rivés sur 2026. Une année où l’on s’est donné l’objectif de se hisser parmi les six premières nations au classement de la Coupe du monde et de remporter deux médailles olympiques.

Avec la retraite d’Alex Harvey, la fédération est en mode reconstruction.

Cela ne change pas grand-chose aux yeux de l’entraîneur-chef du CNEPH, Louis Bouchard. À chaque Jeux olympiques et à chaque Championnat du monde, il faut toujours que ton équipe soit la meilleure possible. Il faut y croire, qu’on va gagner. C’est comme ça que des jeunes accèdent au podium un jour, estime-t-il.

Mais le chef de la direction de Nordiq Canada, Shane Pearsall, ne le voit visiblement pas de la même façon.

« Nous n’essayons pas de choisir les meilleurs skieurs canadiens. Ce que nous essayons de faire, c’est créer une équipe compétitive sur le circuit de la Coupe du monde »

— Une citation de  Shane Pearsall, chef de la direction de Nordiq Canada

C’est pourquoi le comité haute performance de Nordiq Canada, formé de 18 intervenants du ski canadien, a décidé, l’été dernier, de rassembler en une seule équipe les athlètes juniors, U23 (moins de 23 ans) et seniors. Et que dans cette équipe, les athlètes nés avant 1996 ne pourraient désormais plus être sélectionnés selon des critères subjectifs, comme c’était le cas auparavant.

Il fallait donc absolument que Cendrine Browne, Katherine Stewart-Jones et Maya MacIsaac-Jones se classent deux fois parmi les 20 premières en Coupe du monde, ou une fois parmi les 12 premières, cette saison, pour demeurer dans l’équipe. Ce qu’elles n’ont pas fait.

Une skieuse pendant une compétition internationale de ski de fond.

Katherine Stewart-Jones, de Chelsea, lors des Championnats du monde de 2017, en Finlande

Photo : nordicfocus / Modica/NordicFocus

Shane Pearsall ne mâche pas ses mots à propos des athlètes de 24 à 26 ans exclues de l’équipe qui, selon lui, connaissaient l’enjeu.

On parle d’athlètes à qui on a donné l'occasion de faire des top 20 sur le circuit de la Coupe du monde depuis des années et elles ne l’ont pas fait. À un moment donné, on doit regarder comment on développe et qui on développe. On n’a pas des ressources infinies.

Surtout que la jeune génération de skieurs canadiens a démontré beaucoup de promesses, aux Mondiaux juniors, cet hiver, ajoute le gestionnaire de la haute performance de Nordiq Canada, Joel Jaques.

Saison écourtée, critères maintenus

La situation des critères objectifs n’est toutefois pas si simple. Les meilleures chances des skieuses exclues de finir parmi les 20 premières étaient lors des Coupes du monde de Québec et de Canmore. Il n’y a rien de plus motivant que de courser à la maison, devant la famille et les amis. Je suis pas mal sûre qu’au moins certaines d’entre nous trois auraient fait les critères, soutient Cendrine Browne.

Mais les compétitions ont dû être annulées en raison de la pandémie de la COVID-19.

Malgré cela, Nordiq Canada a choisi de ne pas revoir ses critères à la baisse comme l’a fait Ski de fond Québec, par exemple, avec l’équipe provinciale.

Joel Jaques admet que la décision a été très difficile à prendre. Le comité pensait qu’il y avait un sérieux risque de perdre de la crédibilité en modifiant les critères aussi tard dans la saison.

Des femmes lors d'un départ de groupe. On voit des spectateurs le long du parcours et le Château Frontenac au loin.

Une des épreuves de la Coupe du monde de ski de fond COOP FIS à Québec, le 23 mars 2019

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Siégeant lui-même au comité haute performance, Louis Bouchard estime que Nordiq Canada était en droit de choisir l’une ou l’autre des options. Du moment où la fédération n’avait pas elle-même décidé d’amender les critères, toutefois, le comité pouvait difficilement le faire le jour même où il se réunissait pour décider de la composition de l’équipe nationale.

Un autre membre du comité, le représentant des athlètes Angus Foster, a également partagé son malaise sur les réseaux sociaux lundi, affirmant avoir demandé, le jour même de l’annonce de la fin de saison prématurée, que soit discuté l’amendement de certains critères.

Notre processus de sélection a échoué et tous les membres du comité haute performance, incluant moi, en sommes responsables, a écrit Foster sur son compte Instagram.

Évidemment, avec le recul, les critères auraient dû être plus flexibles, appuie Louis Bouchard. Pour ne pas avoir à laisser de côté des athlètes qui ont connu une des plus belles années de progression de leur carrière.

La fin de la parité hommes-femmes obligatoire

Bien que les skieuses canadiennes obtiennent actuellement plus de succès en Coupe du monde que les hommes, seules deux femmes seniors, comparativement à cinq hommes, feront partie de l’équipe nationale, la saison prochaine.

Chez les juniors, on compte cinq femmes et trois hommes, mais Cendrine Browne se désole tout de même de la situation.

« C’est surtout désolant pour les générations qui s’en viennent. Les jeunes filles voient ça et se disent : "J’ai beau être la meilleure skieuse canadienne, je ne serai jamais capable d’être sur l’équipe de Coupe du monde". »

— Une citation de  Cendrine Browne

Louis Bouchard se questionne aussi sur le message envoyé aux meilleurs skieurs canadiens.

Chez les femmes, comme chez les hommes, ça prend un noyau intéressant en termes de quantité pour qu’elles puissent se dépasser entre elles.

Or, selon Angus Foster, le comité haute performance de Nordiq Canada a récemment décidé de laisser tomber la directive exigeant que chaque sexe soit représenté à une hauteur d’au moins 40 % dans l’équipe canadienne.

Est-ce qu’on pourrait se retrouver avec une équipe uniquement masculine? Oui, répond le chef de la direction de Nordiq Canada, mais l’inverse est aussi vrai. Peu importe leur sexe, les athlètes doivent répondre aux critères.

Louis Bouchard en entrevue après la course.

L'entraîneur-chef du CNEPH, Louis Bouchard, lors des finales de la Coupe du monde de ski de fond à Québec, en mars 2019

Photo : Radio-Canada / Érik Chouinard

En ce qui a trait à la version des faits de Cendrine Browne, selon laquelle Nordiq Canada l’a écartée de l’équipe à un moment où elle avait besoin de soutien psychologique, Shane Pearsall préfère de ne pas commenter.

Je ne suis pas sûr de ce qui s’est passé cette saison-là. Je ne peux pas commenter sur comment elle a été traitée ou sur sa santé. Je ne sais pas.

Pourtant, Shane Pearsall a représenté Nordiq Canada devant le Centre des règlements des différends sportifs du Canada dans le litige entre la fédération et Browne. La cause portait notamment sur les problèmes de santé de l’athlète et son admissibilité à certains programmes d’aide.

Nordiq Canada n’a pas de plan de développement, selon Ski de fond Québec

Pour le directeur technique de Ski de fond Québec, Jean-Baptiste Bertrand, le problème de Nordiq Canada n’est pas tant les critères objectifs que la vision à long terme.

Les critères sont normalement le résultat d’un plan de développement de la haute performance que nous n’avons pas, actuellement, au niveau national.

Sans ce plan, il nous manque un cadre de référence sur lequel se fier, poursuit M. Bertrand. Et le Centre national d’entraînement Pierre-Harvey (CNEPH), dont il est aussi directeur technique, veut aider à l’élaborer.

Le sport de haut niveau canadien est financé de façon très élitiste, rappelle-t-il. L’organisme À nous le podium répartit des fonds selon les espoirs de médailles olympiques de chaque fédération.

Nordiq Canada ne reçoit actuellement de l’argent d’À nous le podium que pour ses athlètes prochaine génération. Une motivation, certainement, à rajeunir l’équipe.

Devon Kershaw et Alex Harvey lors des Championnats du monde de ski de fond en 2011 à Oslo, en Norvège.

Devon Kershaw et Alex Harvey après leur victoire aux Championnats du monde de ski de fond, en 2011, à Oslo

Photo : Getty Images / Christof Koepsel

Mais Jean-Baptiste Bertrand et Louis Bouchard s’entendent sur le fait que le développement de la prometteuse cohorte junior canadienne passe par la présence de skieurs plus vieux autour d’eux.

Son ancien protégé Alex Harvey n’aurait jamais obtenu autant de succès s’il n’avait pas eu un solide groupe de vétérans pour le stimuler d’abord au CNEPH, puis dans l’équipe nationale, assure Bouchard.

Les athlètes plus vieux dans le top 30 ou top 20 mondial sont les idoles des plus jeunes qui peuvent se mesurer à eux à l’entraînement, explique-t-il.

Considérant que l’équipe canadienne ne compte plus que sur Dahria Beatty comme athlète avec de l’expérience en Coupe du monde, Cendrine Browne, Katherine Stewart-Jones et Maya MacIsaac-Jones sont absolument essentielles au développement des plus jeunes, poursuit Louis Bouchard.

« Tout le monde est conscient que ne pas les prendre sur l’équipe, c’était prendre un risque qu’elles quittent le sport. Ça, ce serait complètement désastreux. »

— Une citation de  Louis Bouchard, entraîneur-chef du Centre national d'entraînement Pierre-Harvey

La bonne nouvelle, dans le cas de Cendrine Browne, c’est qu’elle a toujours l’intention de continuer jusqu’aux Jeux de 2022, en s‘entraînant au CNEPH sous l’égide de Louis Bouchard.

Je dois le faire pour moi, dit-elle, sans cacher que le défi financier est considérable. Elle estime à 24 000 $ par saison le coût de sa présence sur le circuit de la Coupe du monde.

À Nordiq Canada, Joel Jaques affirme que trouver des moyens de soutenir les athlètes exclues de l’équipe nationale est maintenant sa priorité numéro un.

Comment? Il mentionne des invitations à des camps d’entraînement et des places en Coupe du monde, mais cela ne règle pas la question financière. Il va falloir brasser des idées à l’échelle du pays, admet-il à ce sujet.

Cendrine Browne.

La fondeuse Cendrine Browne était porte-parole des Jeux du Québec présentés à Québec, l'hiver dernier.

Photo : Radio-Canada

On sent toutefois Shane Pearsall plus intransigeant. Lorsqu'on lui a demandé s’il craignait d’envoyer le message que seuls les espoirs de médailles olympiques ont leur place dans l’équipe nationale de ski de fond, le chef de la direction se contente de répondre que Nordiq Canada a des places pour les athlètes qui veulent être les meilleurs au monde.

Katherine Stewart-Jones et Maya MacIsaac-Jones n’ont pas donné suite aux demandes d’entrevue de Radio-Canada. L’ex-skieur Alex Harvey a pour sa part préféré s’abstenir de commenter pour ne pas se placer en conflit d’intérêts, puisqu’il siège, depuis juin, au conseil d’administration du Centre des règlements des différends sportifs du Canada (CRDSC).

Le français bafoué à Nordiq Canada

Lors de sa propre audience devant le CRDSC l’été dernier, Cendrine Browne plaidait notamment une divergence importante dans les versions française et anglaise des politiques de Nordiq Canada disponibles en ligne. Dans la version française, obtenir une diminution de l’entraînement pour des raisons de santé exigeait de fournir beaucoup plus de documents.

L’arbitre du CRDSC lui a donné raison sur ce point. Dans son verdict, Me Yves Fortier conclut que le fardeau imposé aux athlètes francophones pour soumettre une demande de diminution de l’entraînement et de la compétition pour des raisons de santé est substantiellement différent de celui qui est imposé aux athlètes anglophones.

L’avocat montréalais, qui a siégé à plus d’une centaine de tribunaux d’arbitrage à l’international, se dit également concerné et troublé du fait que la traduction française de la politique des critères de sélection donne l’impression d’avoir été traduite à l’aide de l’outil Google Translate, ce qui en soi est une insulte à la langue française.

« Il est inacceptable qu’au Canada, où nous avons deux langues officielles depuis 50 ans, un ONS (Organisme national de sport) financé par le gouvernement du Canada traite ses membres francophones d’une telle façon. »

— Une citation de  Extrait du verdict de l'arbitre Yves Fortier, du Centre des règlements des différends sportifs du Canada

Cette semaine, lorsqu'on lui a rappelé ces conclusions datant du mois d’août, Shane Pearsall a expliqué que Nordiq Canada prend des mesures pour corriger la situation. De plus, le chef de la direction plaide un problème technique sur le site Internet qui dirigeait vers des versions antérieures de certains documents.

Sa fédération travaille aussi avec un traducteur pour améliorer la qualité du français dans les documents officiels, poursuit-il.

Si les athlètes francophones composent la majorité de l’équipe nationale canadienne, les francophones sont rares dans l’administration de Nordiq Canada, basée à Canmore, en Alberta.

L'infographie fautive publiée, puis supprimée par Nordiq Canada.

L'infographie fautive publiée, puis supprimée par Nordiq Canada.

Photo : Nordiq Canada

Vendredi, une infographie publiée sur les réseaux sociaux de la fédération pour dévoiler la nouvelle équipe junior, a dû être supprimée après que certains eurent souligné que le nom du skieur québécois Olivier Léveillé y était mal orthographié. L’infographie comportait également une carte du Canada où le territoire de l’Ontario était désigné comme le Québec.

Chez Ski de fond Québec, Jean-Baptiste Bertrand explique s’attendre à du professionnalisme et à une utilisation adéquate de la langue française chez Nordiq Canada. On fait des interventions quand elles sont nécessaires.

À ce sujet, Shane Pearsall admet que sa fédération doit mieux faire.

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