Vilnius : l'art de se réinventer deux mètres à la fois
La capitale lituanienne cède tous ses espaces publics pour redonner vie aux bars et aux restaurants, malgré la COVID-19.

À Vilnius, on fréquente les places publiques tout en respectant les règles de distanciation physique.
Photo : Mykolas Alekna
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Vous connaissez Vilnius? La capitale de la Lituanie qui compte à peine 600 000 habitants a mis des années à s'inscrire sur la liste des destinations prisées de l’Europe.
Avec son centre historique classé par l’UNESCO, c’est un bijou de petite ville qui a été au coeur de multiples campagnes publicitaires mondiales, aussi audacieuses qu’efficaces.
« Vilnius, le point G de l’Europe » en est une qui a fait fureur avec son slogan osé.
« Personne ne sait où elle est, mais quand vous la trouvez c’est fantastique! »
L’été s'annonçait glorieux pour les affaires à Vilnius jusqu'à ce que la COVID-19 s’invite à la fête.
Comme partout ailleurs, la capitale s’est vue obligée de barricader ses commerces, ses bars et ses restaurants, le temps que le virus passe.
Quand le maire Remigijus Simasius s’est rendu à l’évidence qu’il faudra des mois sinon des années avant de retrouver un semblant de vie normale, il a décidé d’innover une fois de plus. Pour ce faire, le maire a respecté les mesures sanitaires et la distanciation de 2 mètres établies par le gouvernement de la Lituanie pour tout commerce qui veut rouvrir ses portes.
Nous avons conclu qu’il serait impossible pour les restaurateurs d’une vieille ville comme la nôtre d'aménager des tables à deux mètres l’une de l’autre, alors on a décidé de leur allouer presque tous les espaces publics, gratuitement.

Remigijus Simasius
Photo : Mykolas Alekna
Un vaste projet de réaménagement urbain, improvisé en quelques semaines, a permis à plus de 150 commerçants d'ouvrir leur porte, le week-end dernier, en s’appropriant des trottoirs, des rues et des parcs, y compris la célèbre place de la cathédrale.
Le maire Simasius a rencontré notre caméraman dimanche en plein centre-ville, au beau milieu de ce qui est en train de devenir un grand café à ciel ouvert
.

Le reportage de notre correspondante Tamara Alteresco
Photo : Mykolas Alekna
La réponse a été immédiate, et tous les jours des tables apparaissent un peu partout. C’est une mesure toute simple, mais efficace pour continuer de vivre, malgré la présence du virus.
Se réinventer, sans la bureaucratie habituelle
Le propriétaire de Drama Burger a été un des premiers à s'inscrire au programme pour s'approprier un petit parc qui se trouve à environ 30 mètres de son restaurant.

Le propriétaire du Drama Burger est heureux de pouvoir élargir sa terrasse dans ce lieu.
Photo : Mykolas Alekna
Il nous explique que cela lui permettra d’y installer 12 tables à deux mètres de distance chacune, ce qui aurait été impossible sur le trottoir devant son restaurant. C’est une idée géniale, car cela nous permettra d’éviter la faillite
, lance-t-il.
Selon les règles établies par la Ville, les bars et les cafés pourront même servir de l’alcool, pourvu que l'espace qu’ils s'approprient ne soit pas plus loin qu’à 40 mètres du restaurant.
Une telle installation aurait en temps normal exigé des mois d’études, de débats et de bureaucratie, sans aucune garantie de l’obtenir, dit le propriétaire, mais cette fois c’est une question de quelques jours, du jamais-vu.
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Plusieurs cafés et restaurants ont déjà installé leurs tables là où il y avait autrefois des stationnements ou des rues piétonnes. Les clients sont au rendez-vous avec leur masque et leur désinfectant pour les mains.
Dans les circonstances, c’est une solution idéale, confie un autre restaurateur, avant de servir une famille pour qui c’était une première sortie en public depuis le début du mois de mars. C’est une excellente idée, parce que je me rends compte que, pour bien des gens, la peur financière est pire que la peur du virus
, dit la mère. Et puisqu'il faut commencer à penser comment on vivra après, c’est génial d'être flexible et de céder tous les espaces publics aux restaurants.

Des clients profitent des nouvelles règles de la Ville de Vilnius pour fréquenter les cafés et les bars.
Photo : Mykolas Alekna
Pourquoi ne pas s’en inspirer?
Vilnius est loin d'être la seule ville à opter pour le concept des Slow Streets afin de permettre la distanciation sociale. Milan a commencé à convertir près de 35 kilomètres de route en espace pour les piétons et les cyclistes. Paris a décidé d'accélérer son vaste projet de piste cyclable qui reliera le centre à la banlieue.
C'est ce qu’on appelle l'urbanisme tactique, dit le professeur Gérard Beaudet. Il n’est pas nouveau, mais il s’impose comme une solution du moins temporaire.
C’est souvent [avec] des situations comme celle que l’on vit que les avancées se font de manières les plus significatives, parce qu’il y a moins de capacités de résistance.

Gérard Beaudet voit d'un bon oeil les initiatives comme celle de Vilnius pour redonner une certaine liberté de déplacement aux citoyens des villes.
Photo : Radio-Canada / Tamara Alteresco
La preuve, dans son propre quartier de Rosemont à Montréal, on a rapidement et pour la première fois emprunté une section de la rue pour élargir l’espace piéton, et sans que personne ne rouspète.
Puisque nos villes ne peuvent être transformées du jour au lendemain et qu’il faut vivre avec la structure actuelle, les mairies doivent se montrer plus flexibles que jamais, explique Gérard Beaudet.
Essayons de voir quels sont tous les morceaux de terrain dans le domaine public et dans le domaine privé qu'on peut s'approprier collectivement. Le parvis de l'église par exemple! Il faut absolument qu’on apprenne à faire des choses plus rapidement, plus simplement, tout en gardant certains critères. Pour moi, c’est une belle opportunité pour expérimenter des choses présentement.
Car, outre les cafés et les restaurants, il faut aussi penser aux résidents des quartiers défavorisés, qui disposent de moins d’espaces verts.
Il faut essayer de trouver des façons de leur donner de l’espace sans faire des acquisitions massives, car on n’aura pas les ressources financières pour le faire, et, selon moi, avec cette pandémie l'opportunité se présente bien pour aller explorer des choses au-delà du cadre habituel
, affirme-t-il.
Voyager, sans décoller à l'aéroport de Vilnius
Parlant de sortir des cadres habituels, Vilnius a, là aussi, fait preuve de créativité pour aménager une section de son aéroport. Le tablier de l'aéroport a été converti rapidement en un gigantesque ciné-parc.

Une partie du terrain de l'aéroport de Vilnius est devenue Aéro Cinéma, un ciné-parc temporaire.
Photo : Mykolas Alekna
Baptisé Aéro Cinéma, le projet a été mis sur pied par les organisateurs du Festival international des films de Vilnius.
Quand notre caméraman s’y est rendu pour croquer quelques images, il y avait plus de 250 voitures sur le tarmac, séparées les unes des autres par des cônes orange pour respecter la distanciation des deux mètres exigée pour tenir l’activité.
Les autorités aéroportuaires ont rapidement acquiescé à l'initiative qui est une première mondiale.

Des Lituaniens profitent d'une soirée au ciné-parc installé temporairement sur le tarmac d'un aéroport.
Photo : Mykolas Alekna
Se réinventer en temps de COVID-19, c’est trouver l’équilibre entre la sécurité et la qualité de vie, dit le maire de la ville de Vilnius, mais ne jamais perdre de vue que le virus nous guette.
Son administration a aussi distribué l’équivalent d’un million de dollars en chèques-cadeaux aux travailleurs du réseau hospitalier afin qu’ils puissent, eux aussi, profiter de cette renaissance sociale et culturelle.