Ces facettes de la COVID-19 qu’on peine à expliquer
Les dommages causés par le virus SRAS-CoV-2 ne se limitent pas aux voies respiratoires.

Les dommages causés par la COVID-19 ne se limitent pas aux voies respiratoires. Des manifestations de la maladie ou des complications chez des patients gravement atteints laissent les experts perplexes.
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En Europe, aux États-Unis et au Canada, des urgentistes, intensivistes et autres praticiens constatent des manifestations de la maladie ou des complications chez des patients gravement atteints qui les laissent perplexes. On commence à peine à comprendre les mécanismes de la COVID-19, une maladie encore inconnue il y a quelques mois.
À New York, l’urgentologue Richard Levitan rapporte n’avoir jamais rien vu de tel. Après des jours passés à traiter des patients (Nouvelle fenêtre) atteints de la COVID-19 qui occupaient de façon disproportionnée l’urgence de l’hôpital Bellevue, il remarque qu’un profil se dégage. Beaucoup de gens se présentent à l’hôpital avec un taux très bas d’oxygène dans le sang – un niveau habituellement alarmant, signe d’une détresse respiratoire – mais ces personnes ont peu ou pas de problème à respirer; on les voit même parler au téléphone.
Leur état peut toutefois se détériorer en quelques heures et ils doivent parfois être mis sous respirateur. Souvent, ils viennent consulter pour une autre raison : une blessure, des maux divers, et la découverte de la COVID-19 est fortuite. Lorsqu’on prend leurs signes vitaux, on voit qu’ils manquent cruellement d'oxygène. Et avec l’imagerie de leurs poumons, on constate qu’ils ont une pneumonie.
Ailleurs dans le monde, on observe aussi des cas inexpliqués d’AVC chez de jeunes patients (Nouvelle fenêtre) atteints de la COVID-19, ou des défaillances d’organes (Nouvelle fenêtre) (reins, foie, cœur), et aussi de petits caillots de sang qui peuvent se retrouver un peu partout dans le corps.
Au Québec, également, des médecins rapportent des cas semblables, même s’ils demeurent peu fréquents.
La plupart des patients hospitalisés ont ce qui ressemble à une pneumonie classique, qui se manifeste par une toux, des douleurs et une gêne respiratoire, explique le Dr Antoine Delage, pneumologue intensiviste à l'hôpital Charles-LeMoyne. Et en plus de ces symptômes, leur oxygène sanguin est bas; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on les hospitalise, pour leur donner un apport d’oxygène.

Des patients attendent à l'intérieur d'un centre de dépistage de la COVID-19.
Photo : Radio-Canada / Maggie MacPherson
Mais d’autres malades sont plus difficiles à catégoriser et ont une sorte de pneumonie silencieuse
, comme l’a décrit le Dr Levitan à New York.
Les patients qui ont la COVID-19 qu'on voit parfois arriver, leur oxygène est bas, mais leur CO2 est normal et leur expansion du thorax est normale. Ils ne sont pas en détresse respiratoire
, observe le Dr Jean-François Lizé, pneumologue intensiviste au Service des soins intensifs du CHUM.
C'est comme s'ils ne perçoivent pas qu'ils manquent d’oxygène [car leur taux de CO2 est normal et c’est ce taux qui module la respiration]. Le poumon accepte l'air normalement, mais l'oxygène qui est dans l'air n'est pas capable de bien traverser les alvéoles, qui sont le point terminal de l'oxygène dans nos poumons pour aller dans le sang. C'est à cet endroit que le contact ne se fait pas. Et là, l'oxygène dans le sang baisse
, explique le Dr Lizé.
La majorité des gens s’en remettent tout seuls, et beaucoup y parviennent à la maison sans même devoir consulter. C’est probablement ce qui se passe : leur oxygène est bas, mais ça guérit tout seul, puisque le corps est quand même capable d'en prendre un peu
, dit-il.
Le symptôme le plus significatif que ces gens-là vont décrire, c’est qu’ils ont le souffle court quand ils font un plus grand effort physique
, remarque-t-il toutefois, un signe qui indique que quelque chose ne tourne pas rond.
Une question d’oxygène
À l’hôpital, on donne d’abord aux patients atteints de la COVID-19 un apport d’oxygène de façon non invasive et on fait un suivi rapproché, jusqu’à ce qu’ils se rétablissent. Mais si c’est insuffisant et que leur état se dégrade, il faut les intuber.
Cette baisse d'oxygène là dans le sang, associée probablement au virus directement, peut créer une grosse réponse du système immunitaire dans notre corps [la fameuse tempête inflammatoire] et cette réponse inflammatoire là va nous rendre beaucoup plus malade. C'est souvent cette réponse inflammatoire qui va nous amener aux soins intensifs et qui va faire qu'on va se retrouver sur ventilation mécanique, dans un coma artificiel. Et parfois, ça va entraîner un décès, malheureusement.

Un patient est branché à un respirateur à l’unité de soins intensifs de l’Hôpital St. Paul de Vancouver, le 21 avril 2020.
Photo : La Presse canadienne / JONATHAN HAYWARD
Les urgentologues privilégient une ventilation non invasive dans la mesure du possible – car l’intubation comporte des risques de complications et d’infections. Beaucoup de patients se remettent très bien de leur séjour à l’hôpital avec apport d’oxygène.
Ce que le médecin américain décrit, c'est quelque chose qui a été rapporté beaucoup dans les endroits où il y a de très grosses éclosions, à New York, entre autres, et aussi en France, à Paris, et en Italie
, précise le Dr Delage. Dans ces régions, le virus a circulé beaucoup dans la communauté, affectant tous les groupes d’âge, avec comme conséquence un achalandage accru dans les salles d’urgence.
Ces cas de pneumonie silencieuse
sont moins fréquents dans sa pratique, remarque le Dr Delage. Est-ce que c'est parce qu’au Québec, on ne les voit pas ces patients-là, parce que justement ils n’ont pas de symptômes, et ils ne viennent pas consulter? Ou est-ce parce qu’on a moins de cas au total?
C’est possible, dit-il.
Les données à plus long terme permettront sans doute de mieux comprendre les mécanismes derrière le phénomène.
Le Dr Levitan recommande aux gens atteints de la COVID-19 ou qui soupçonnent une COVID-19 et qui sont à la maison de suivre leur taux d’oxygène sanguin à l’aide d’un petit oxymètre, vendu en pharmacie, et de consulter si leur taux devient anormalement bas. Selon lui, on éviterait beaucoup de complications en prenant en charge plus de cas en amont. Toutefois, les Drs Lizé et Delage émettent quelques bémols. Ces appareils donnent parfois une mauvaise lecture, peuvent être mal utilisés ou les résultats être mal interprétés. Aussi, il vaut mieux s’en tenir aux symptômes établis de la COVID-19 (Nouvelle fenêtre) et consulter au besoin : fièvre, toux, fatigue et difficultés respiratoires – dans ce dernier cas, il est conseillé de se rendre à l’urgence sans attendre.
Caillots et défaillance d’organes
Des médecins disent aussi observer, chez plusieurs patients gravement atteints, des caillots logés dans différents organes, ce qui pourrait avoir un lien avec la réponse inflammatoire et peut-être le bas taux d’oxygène sanguin. Mais ces constats restent à valider.
Chez les malades plus graves, avec l’activation de la cascade inflammatoire dans le corps, un phénomène qui se produit parfois, et on le voit dans d'autres maladies similaires, c'est des microcaillots qui vont se former au niveau des capillaires, des petits vaisseaux des poumons, et probablement un peu partout dans le corps
, explique le Dr Delage.
On les voit à l’aide de l’imagerie médicale chez des patients hospitalisés ou lors d’autopsies. La formation de caillots dans les vaisseaux sanguins peut asphyxier les organes.
C’est ce qui explique un peu les atteintes qu'on va voir au niveau des reins, par exemple, chez certains patients atteints de la COVID. En tout cas, c’est ce qu’on pense. Chez d’autres patients, ça amène une espèce d'encéphalopathie, d'atteinte cérébrale, qui serait due à des caillots dans la microcirculation corporelle. Il y a aussi des atteintes au niveau du cœur qui ont été décrites. On pense que c'est tout le même phénomène
, poursuit-il.
Et des médecins avancent que les patients qui, justement, n'avaient pas l'air d'avoir de pneumonie, mais qui désaturaient (qui avaient un niveau bas d’oxygène), c'était peut-être des microcaillots au niveau des poumons
, souligne le Dr Delage.
Une des théories pour expliquer que l’oxygène ne traverse pas les alvéoles et ne se rende pas aux globules rouges, ça serait peut-être des microcaillots qui vont dans les poumons, dans les capillaires des poumons, et qui font en sorte que l'échange gazeux ne peut pas se faire parce qu'il y a une mauvaise circulation
, renchérit le Dr Lizé.

Une tomodensitométrie des poumons d'une personne atteinte de COVID-19. Une pneumonie d’origine bactérienne touche typiquement une partie d’un poumon en particulier. Mais dans le cas de la COVID-19, les parties affectées (les zones nuageuses, en gris) sont multiples et se trouvent dans les deux poumons.
Photo : Journal Radiology
Maintenant, lorsque l'inflammation s'installe, on peut faire des microcaillots partout dans le corps, car c'est tout notre corps qui s'active. Alors, oui, il est possible qu'il y ait des microcaillots qui s'installent dans le cerveau, dans le cœur, dans le foie, et ça peut tout affecter ces organes-là.
On sait qu'une certaine proportion de patients avec la COVID-19 vont avoir une atteinte des reins, du cerveau, du foie ou du cœur. Ils font des atteintes musculaires également.
Un autre mécanisme possible serait que le virus affecte directement ces organes-là. C'est-à-dire qu’il entre par les poumons, la plupart du temps, parce qu'on le respire. Et une fois qu'il infecte nos cellules pulmonaires, il passe dans notre sang, ce qui s’appelle une virémie. Le virus se distribue alors partout et va attaquer d'autres organes dans notre corps, directement.
Le virus pénètre dans les cellules en interagissant avec les protéines appelées ACE2 à leur surface. On retrouve ces protéines ACE2 sur les cellules qui tapissent les fosses nasales, dans les alvéoles des poumons, à l’intérieur des vaisseaux sanguins, dans le cœur, les reins, les intestins et le cerveau, entre autres.
Des médecins prônent l’utilisation d’anticoagulants pour éclaircir le sang des patients hospitalisés atteints de COVID-19 et éviter la formation de caillots.
Mais il n'y a pas d'études actuellement, ou en tout cas, je n’ai pas vu d’études franches qui disent qu’il faut faire ça
, dit le Dr Lizé. Il n’y a donc pas de façon de faire systématique à cet effet dans les centres hospitaliers.
Vous savez, ça fait à peine deux, trois mois que l’on connaît cette maladie-là!
, rappelle le Dr Lizé. En ce moment, les médecins et scientifiques rapportent beaucoup d’observations cliniques, parfois anecdotiques, mais les études scientifiques qui seront effectuées dans les prochains mois apporteront peut-être les réponses tant attendues.
La COVID-19 est apparue en décembre en Chine et on n'avait pas beaucoup de détails. Je vous dirais qu'on a un peu plus de détails depuis le mois de février.
Il y a des hypothèses qui ont été émises au début, on s'est aperçu que ce n'était pas vraiment cela. On découvre la maladie tranquillement, et on est surpris.
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