Crise ou pas : l’irrépressible besoin d’exister sur les réseaux sociaux
La mise en scène de sa vie sur les réseaux sociaux... ça passe ou ça casse en temps de crise?

Les publications mises en scène sont plus présentes que jamais sur les réseaux sociaux.
Photo : Getty Images / Eva-Katalin
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors que la pandémie nous force à exister entre quatre murs, des personnes confinées embrassent les réseaux sociaux comme jamais. Du pain maison aux séances de yoga, les publications léchées gagnent du terrain. Mais ces mises en scène peuvent avoir des effets pervers sur la santé mentale... surtout en pleine pandémie.
La journaliste Elisabeth Massicolli observe une tendance lorsqu’elle fait défiler les publications sur Instagram. En confinement, des gens peu présents auparavant sur la plateforme publient maintenant davantage.
Des gâteaux parfaitement exécutés aux routines de beauté, leurs activités quotidiennes inspirent des mises en scène léchées aussitôt partagées sur les réseaux sociaux.
Je pense qu’en temps de crise où tout le monde doit composer avec des deuils multiples, tout ce qu’on publie sur les réseaux sociaux doit être fait avec beaucoup d’attention et de sensibilité.
Parce que dans la vie normale
, la mise en scène est pratique courante sur les réseaux sociaux. Mais à un moment où des milliers de personnes sont frappées par une crise sans précédent, doit-on être plus sensibles aux conséquences d’images magnifiées?
La responsabilité derrière l’artifice
C’est ce que croit Lysa-Marie Hontoy, entrepreneure sociale à Humain Avant Tout. La responsabilité revient à chaque individu de créer un endroit virtuel authentique, puisque l’inverse comporte son lot d’effets pervers. Encore plus en temps de crise.
Si l’on publie, on a une responsabilité. Pas juste en temps de crise. [Mais] particulièrement en temps de crise, on ne veut pas invalider la souffrance des gens.
La candidate au doctorat en psychologie clinique explique que plusieurs études démontrent que l’exposition à des publications parfaites
est associée à une augmentation du niveau de comparaison social, de symptômes d’anxiété et de dépression, ainsi qu’à une diminution de l’estime de soi.

Lysa-Marie Hontoy, entrepreneure sociale à Humain avant tout, encourage les publications authentiques sur les réseaux sociaux.
Photo : Charlotte Boileau-Dominigue
Mme Hontoy insiste sur le fait que tenter d’afficher une vie parfaite sur Instagram peut avoir des effets négatifs sur la santé mentale d’autrui. Avant de publier, elle conseille d’avoir un examen de conscience avec soi-même sur les intentions qui se cachent derrière ce partage.
La situation actuelle nous ramène à notre humanité partagée, au fait qu’on est dans le même bateau, mais en même temps, on doit se souvenir que des bateaux sont plus confortables que d’autres.
– Lysa-Marie Hontoy, entrepreneure sociale à Humain Avant Tout
La mise en scène du pâté chinois : pour qui, pourquoi?
Elisabeth Massicolli ne s’exclut pas du problème. En riant, la journaliste explique qu’elle s’est mise à remettre en cause ses habitudes de publication alors qu’elle mettait en scène son pâté chinois. Pour qui et pourquoi sentait-elle le besoin de rendre sa quarantaine performante?
Je me suis dit : la ligne est mince entre publier parce que ça te fait plaisir, ça te fait du bien et tu te sens connectée à ta communauté, et publier quelque chose qui serait potentiellement mauvais pour la santé mentale d’autrui.
– Elisabeth Massicolli, journaliste

La journaliste Elisabeth Massicolli adopte la transparence sur ses réseaux sociaux.
Photo : Remco Nagtzaam
À la suite de cette réflexion, elle a décidé de partager davantage les revers de son confinement avec sa communauté en ligne.
La transparence fait vraiment du bien. Pas juste de l’authenticité, mais de la transparence.
C’est l’intention qui compte, disait-on. Et c’est la vérité, selon Lysa-Marie Hontoy.
À son avis, ce qu’il est important de se poser comme question avant de publier reste : quelle est mon intention? Est-ce que mon intention est d’aider les gens à cultiver de l’espoir? Est-ce que c’est de faire rire pour leur faire changer les idées? Ou c’est pour faire l’autopromotion de moi-même?
Elle ajoute : C’est là que tout se joue.
En temps de crise, il faut faire preuve d’empathie, puisque [certaines personnes] traversent très difficilement cette période. Notre publication va peut-être avoir un impact plus ou moins positif sur ces gens-là. Et l’on doit s’en souvenir.
– Lysa-Marie Hontoy
Le grand ménage du printemps de ses abonnements
Les influenceurs et influenceuses occupent un vaste espace sur les plateformes comme Instagram ou YouTube. Des décors beiges aux garde-robes bien garnies, leurs possessions restent au premier plan de leur présence en ligne. La promotion de leurs publications commanditées n’a pourtant pas le même effet en pleine pandémie.
Quand on voit un influenceur discuter de sa santé mentale, et ensuite promouvoir un produit reçu, ça crée une incohérence.
Elle insiste sur le fait que les publications sur leur état psychologique demeurent salutaires. Toutefois, la superficialité d’autres contenus fait ressentir une dissonance à certaines personnes qui les suivent.
Pour Alexandre Coutant, professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal, la responsabilité revient en grande partie aux agences de publicité, qui devraient mieux accompagner les influenceurs et influenceuses.
Il considère que les pros du marketing savent comment naviguer dans ces périodes de crise. Ces gens pourraient entre autres offrir des guides pour aider les influenceurs et influenceuses à gérer leur communauté tout en adoptant une présence éthique quant aux ravages de la pandémie.
La journaliste Elisabeth Massicolli conseille aux internautes d’ouvrir grandes les fenêtres et de faire le ménage de leurs abonnements sur les réseaux sociaux.
Notre côté social s’est transposé en ligne. On fait comme dans la vie, et l’on s’entoure de personnes qui font du bien. Je n’hésiterai pas à me désabonner de ces personnes qui ne font pas du bien à ma santé mentale.
Lysa-Marie Hontoy insiste sur l’importance de surveiller notre consommation en ligne. Autant maintenant qu’après la crise, il faut porter attention à comment certaines publications ou certains comptes nous font sentir et s’en éloigner s’ils sont néfastes pour notre bien-être
, note-t-elle.
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