La COVID-19 chamboule le « projet bébé » de bien des couples
Plusieurs couples ont choisi de reporter leur désir d’avoir un enfant en raison de l’incertitude ambiante, tandis que d’autres futurs parents, qui ont recours à des traitements de fertilité, ont été contraints de suspendre leur démarche.

La fécondité est liée aux bonnes conditions de l'économie et à une confiance dans l'avenir surtout dans les pays développés, selon des experts.
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En début de crise et lors de l’implantation des mesures d’isolement, plusieurs personnes ont prédit à la blague sur les réseaux sociaux un mini-baby-boom dans neuf mois, mais c’est plutôt une baisse du taux de natalité qui nous attend, selon des experts.
Sandra Lodi voudrait que son fils de deux ans, Tristan, ait une petite sœur ou un petit frère. Mais ce ne sera pas pour tout de suite : « On avait pour projet de faire un deuxième enfant à partir du mois d'avril. Mais, finalement, on a mis ça sur pause le temps de la pandémie. »
Plusieurs facteurs ont influencé la décision de Sandra et de son conjoint, notamment l'incertitude entourant les suivis médicaux pendant une grossesse. Certains se font désormais par télémédecine et les conjoints ne peuvent plus assister aux rendez-vous en clinique ou à l'hôpital.
« Ça ne nous tente simplement pas de nous embarquer là-dedans. On préfère attendre que tout se calme et, ensuite, vivre une grossesse dans des conditions plus normales. »
Consultez notre dossier sur la COVID-19 : Tout sur la pandémie
Suivez l'évolution de la situation en regardant le signal débrouillé de la chaîne d'information RDI
Suivez le nombre de cas en temps réel au Canada et dans le monde
« On trouve que ça fait beaucoup de changements »
Une grossesse dans des conditions normales, c’est également ce que souhaiterait Vanessa Beauséjour et son conjoint Jordan Chartrand, qui ont mis sur la glace leur projet de concevoir un premier enfant : « De ne pas savoir à quoi m'attendre, de ne pas pouvoir vivre ce moment-là comme je l'aurais souhaité, c'est ça qui me fait hésiter. »
Jordan est technicien en aéronautique. La crise lui a fait perdre son emploi, mais il vient d'être rappelé au travail, du moins, pour le moment. Quoi qu’il en soit, le couple considère que sa situation financière est trop instable en ce moment : « On trouve que ça fait beaucoup de changements et d'incertitude. Pour une première grossesse, on aimerait avoir toutes les chances de notre côté et les mêmes services que tout le monde. »
Le couple dans la jeune trentaine est très déçu, comme l'explique Jordan : « On était bien excités du projet bébé. Mais là, on est moins en confiance. Avoir su, on aurait mis ce projet en branle plus tôt! »
« C'est inquiétant parce qu'on met tout ça sur la glace. Mais pour combien de temps? Pour un an? Deux ans? On ne le sait pas! »
Une baisse des naissances à prévoir
Attendre des conditions plus stables pour avoir un enfant ou bien aller de l'avant alors que nous sommes en pleine crise sanitaire? Bien des couples se retrouvent devant ce dilemme ces temps-ci.
Lorsque les mesures d’isolement se sont accélérées au Canada à la mi-mars, que bien des gens ont été contraints de rester à la maison, plusieurs ont, à la blague, prédit qu'il y aurait un mini-baby-boom à la fin de l'année.
Mais c'est plutôt une situation totalement inverse dont nous pourrions être témoins, selon la démographe Danielle Gauvreau : « En général, les gens essaient d’être dans des situations relativement stables [pour avoir des enfants]. Quand tout va bien dans la relation amoureuse, sur le plan professionnel et financier. Présentement, avec les gens qui perdent leur emploi, qui sont dans une situation économique incertaine, ce n'est certainement pas propice à ce que les couples pensent qu’ils sont dans une situation qui leur permet d’avoir un premier enfant ou d’avoir un enfant de plus. »
Le démographe et sociologue italien Francesco Billari réfléchit déjà à l'impact qu'aura la crise actuelle sur le taux de natalité dans le monde et il abonde dans le même sens.
« Nous savons que la fécondité est liée aux bonnes conditions de l'économie et à une [confiance] envers le futur, surtout dans les pays développés. Et quand il y a une période de crise, la fécondité baisse. Alors, je pense que la crise de la COVID-19 aura un impact négatif sur le taux de natalité. »
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'ampleur du phénomène, indique le démographe. Cela dépendra de la durée et de l'issue de la crise.
Toutefois, ce phénomène de report des naissances sera plus important dans certains pays, selon l'expert : « Ça pourrait être plus important dans quelques pays plus fortement frappés par la COVID-19 et qui vivaient déjà une baisse du taux de fécondité et de natalité, comme l'Italie, l'Espagne, la Chine ou encore la Corée du Sud. »
L'impact de la suspension des traitements de fertilité
Francesco Billari ajoute que la baisse du taux de natalité pourrait aussi être accentuée dans certains pays industrialisés par la suspension des services offerts aux couples aux prises avec un trouble d'infertilité.
En Italie et en Espagne, par exemple, de 3 % à 5 % des naissances sont le résultat d'une procréation assistée, explique-t-il. M. Billari s'attend donc à ce qu'une partie de la baisse attendue des naissances soit imputable à l'interruption des traitements de fertilité.
D'ailleurs, au Canada, des milliers de personnes qui avaient entamé des démarches en fertilité voient le processus mis sur pause, comme l’explique Pascal Desrosiers, chef embryologiste au Centre de procréation assistée du CHU Sainte-Justine : « Nous avons suspendu la majorité de nos activités, comme la plupart des cliniques canadiennes et québécoises par ailleurs. Ce que nous avons maintenu, ce sont nos services d'urgence, la congélation d'ovules de femmes qui doivent débuter un traitement en chimiothérapie par exemple. Tout autre traitement a été reporté à plus tard. »
Les patients comprennent la situation, mais ils sont très impatients de reprendre leurs traitements, indique-t-il : « Nos patients nous contactent, nous écrivent ou nous appellent. Ils nous demandent si nous avons une date de reprise des activités. »
« Ça peut vouloir dire qu’on va devoir abandonner notre projet »
Karine, 37 ans, est l’une des patientes du Centre de procréation assistée du CHU Sainte-Justine. Avec son conjoint, il leur aura fallu quatre longues années de tentatives en clinique de fertilité avant de voir naître leur premier enfant, qui a maintenant un an et demi. Maintenant, leur plus grand désir, c’est d'avoir un deuxième enfant.
« Tout était en place. Tous les prétests étaient faits, les analyses sanguines, tout était réglé. On attendait seulement le début d’un cycle pour commencer, et là, la COVID-19 est arrivée. »
L’incertitude amenée par la crise n’ébranle en rien son désir d’avoir un second enfant, ce qui rend la situation d'autant plus frustrante : « D’avoir à vivre le fait qu'il y a des délais, surtout des délais inconnus, tout ça ne fait qu'augmenter le sentiment d’injustice qu’on peut déjà ressentir quand on vit une situation d’infertilité. »
Karine a l'impression qu'elle est en train de perdre du temps précieux, car pour des couples comme le sien, attendre, remettre à plus tard, ce n’est pas une option. En effet, plus le temps avance, moins les chances de réussite d'une fécondation in vitro sont élevées. Elle a donc tout simplement l’impression que la pandémie est en train de lui voler l’espoir qu’elle nourrissait d'agrandir sa famille.
« On est extrêmement tristes, parce qu'on sait qu’on n’a pas nécessairement le temps d’attendre des mois et des années pour voir notre projet se concrétiser. Donc, pour nous, des mois de délais, ça peut vouloir dire qu'on va devoir abandonner notre projet. »
Elle et son conjoint espèrent donc une résolution rapide de la crise qui permettrait une reprise des traitements de fertilité et peut-être ainsi de gagner leur course contre la montre.