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Les droits des détenus violés de façon « systémique » durant des années

Une petite statue représentant la justice

La Cour supérieure a ordonné l'arrêt des procédures contre un homme détenu arbitrairement par la police de Québec.

Photo : iStock

Les acteurs du système judiciaire ont toléré en toute connaissance de cause et durant de nombreuses années les détentions arbitraires des personnes arrêtées la fin de semaine dans le district de Québec. Afin de dissocier le système de justice de « la conduite fautive de l’État », la Cour supérieure a récemment ordonné l’arrêt des procédures contre un accusé qui a été détenu illégalement par la police.

L’homme en question, Charles Garneau, est arrêté par deux constables du Service de police de la Ville de Québec à 3 h 26 dans la nuit du dimanche 18 février 2018.

Les policiers le soupçonnent de s’être introduit par effraction dans une maison pendant l’absence des propriétaires et d’avoir causé plusieurs milliers de dollars de dommage.

À cette époque — et c’était encore le cas jusqu’à tout récemment —, aucune comparution ne s’effectue le dimanche dans le district judiciaire de Québec.

Cette situation fait en sorte que les personnes arrêtées après une certaine heure la fin de semaine ne peuvent comparaître à l’intérieur d’un délai de 24 heures, comme l’exige pourtant le Code criminel.

Le palais de justice de Québec de soir

Charles Garneau a comparu au palais de justice de Québec plus de 35 heures après son arrestation.

Photo : Radio-Canada / Guillaume Croteau-Langevin

Charles Garneau comparaît au palais de justice de Québec à 14 h 46 le lendemain de son arrestation, soit le lundi 19 février 2018. L’homme est immédiatement remis en liberté provisoire sous promesse de comparaître à une date ultérieure.

Il s’est écoulé plus de 35 heures entre l’arrestation du suspect et sa comparution devant un juge. La Cour supérieure estime que Charles Garneau a été privé des droits prévus par les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le premier article garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, tandis que le second protège le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

« Mépris flagrant »

Selon le Tribunal, la détention prolongée de Charles Garneau n’est pas un événement ponctuel. Elle témoigne plutôt d’un mépris flagrant et continu envers les droits des justiciables.

La Cour affirme que les injustices découlant du système de comparution dans le district de Québec sont connues depuis longtemps.

Vue en contre-plongée de la Charte canadienne des droits et libertés

Le non-respect du délai de comparution contrevient aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Photo : Radio-Canada / David Horemans

Elle s’appuie notamment sur un projet de lettre rédigé en 2012 par des procureurs en situation d’autorité au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

Le document fait état des impacts liés au refus des autorités d’instaurer un système de comparutions téléphoniques dans les districts de Québec et de Montréal les week-ends et les jours fériés.

Des complices malgré eux

Les procureurs écrivent que la situation a malheureusement comme conséquence très directe de rendre tous les acteurs du système judiciaire complices, qu’ils le veuillent ou non, d’une illégalité systémique difficile à justifier quant à nous.

La preuve soumise démontre l’existence d’une violation systémique, qui a perduré pendant de nombreuses années dans le district judiciaire de Québec.

Une citation de Extrait du jugement de la Cour supérieure du 2 avril 2020

Le ministère public reconnaît que Charles Garneau a été soumis à une détention arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte canadienne. Il s’oppose toutefois à ce qu’un arrêt soit prononcé à l’égard des accusations portées à son endroit.

Cellules où les détenus sont en attente de leur comparution au palais de justice de Chicoutimi.

Au Canada, le délai de comparution des détenus fixé par le Code criminel est de 24 heures.

Photo : Radio-Canada / Gilles Munger

Les procureurs du DPCP plaident que depuis l’arrestation de M. Garneau en février 2018, des dispositions ont été prises afin de tenir des séances de comparution les dimanches et les jours fériés.

L’État ayant pris les moyens visant à corriger la situation dénoncée par le requérant, l’arrêt des procédures n’est pas justifié, selon eux. Ils estiment qu’une réparation moindre, telle qu’une réduction de peine, dans l’éventualité où le prévenu était reconnu coupable, serait plus appropriée.

Envoyer un « message clair »

La Cour supérieure, sous l’autorité du juge Richard Grenier, ne partage pas cette opinion. La violation répétée des droits des justiciables nécessite à son avis l’envoi d’un message clair à l’intention des acteurs responsables qui va au-delà d’une réduction de peine.

L’arrêt des procédures demeure la réparation ultime, mais le cas dont est saisi le Tribunal illustre une violation systémique, récurrente et concertée des droits les plus fondamentaux des justiciables, qui de l’avis du Tribunal, s’inscrit dans les ‘‘cas les plus clairs’’ appelant un arrêt des procédures, peut-on lire dans le jugement.

La tolérance du système vis-à-vis de la violation répétée des droits des prévenus qu'évoque la Cour n’est pas sans rappeler la culture de complaisance à l’égard des délais judiciaires dénoncée dans l’arrêt Jordan.

Un homme marche devant la Cour suprême du Canada.

Dans l'arrêt Jordan, la Cour suprême du Canada a dénoncé une « culture de complaisance » à l’égard des délais judiciaires.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

L’avocate de Charles Garneau, Me Ariane Gagnon-Rocque, accueille favorablement l’arrêt des procédures contre son client ordonné par la Cour supérieure.

Nous sommes très satisfaits de cette décision et du rôle que notre procédure a joué dans la mise en place d’un système de comparution respectant les droits constitutionnels des justiciables québécois, écrit-elle dans un courriel à Radio-Canada.

Le non-respect des délais de comparution ne se limite pas au district judiciaire de Québec. En 2015, les comparutions téléphoniques du dimanche ont été abolies dans tous les districts où elles avaient été implantées.

Recours collectif

Cette interruption est à l'origine d’un recours collectif de 77 millions de dollars intenté par un résident de Gatineau au nom de 11 000 personnes qui ont été arrêtées et maintenues en détention pendant plus de 24 heures depuis le 19 juin 2015.

D’autres requêtes en arrêt des procédures ont été déposées dans plusieurs districts judiciaires du Québec pour non-respect des délais de comparution.

Des causes similaires ont été entendues ailleurs au pays. En avril 2018, la Cour provinciale de l’Alberta a ordonné l’arrêt des procédures contre Ryan Reilly, un homme arrêté pour violence conjugale qui a été détenu pendant 36 heures avant de comparaître devant un juge.

Le ministère public albertain a interjeté appel de la décision. En mai 2019, la Cour d’appel de la province a reconnu que les droits de M. Reilly avaient été violés, mais elle a déterminé que l’arrêt des procédures intentées contre lui n’était pas une réparation appropriée.

L’homme d’Edmonton a contesté le jugement rendu en deuxième instance. La Cour suprême du Canada a annoncé en janvier dernier qu’elle entendrait la cause.

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