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Des infirmières dénoncent la désorganisation d'Info-Santé

Une console téléphonique avec un casque d'écoute et deux écrans d'ordinateur.

Les infirmières de la ligne 811 dénoncent le peu de distanciation physique et la permission de travailler avec des symptômes.

Photo : iStock

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’équipe de la ligne Info-Santé Montréal ne respire pas la santé, hélas. Des employés ont contracté la COVID-19, d’anciens travailleurs venus prêter main-forte se désistent en raison des piètres mesures de sécurité et des recrues démissionnent, lasses d’attendre qu'on les appelle. Tout cela dans un contexte de pénurie de travailleurs pour faire face à la pandémie.

L’ambiance n’est pas détendue au centre d’appels. Les infirmières de la ligne 811 dénoncent le peu de distanciation physique et le fait qu'on puisse travailler avec des symptômes de la COVID-19.

On peut les comprendre. On compte 12 cas confirmés de COVID-19 à Info-Santé Montréal, et 8 employés sont en attente du résultat de leur dépistage, selon le bilan dressé lundi.

Bien que le ministère de la Santé et des Services sociaux appelle à la mise en place de mesures de distanciation, il semble que la réalité soit tout autre sur le terrain.

Un retour raté

Lucie Lemay a pris sa retraite d’Info-Santé il y a cinq ans. Elle y occupait le poste de coordonnatrice responsable de la formation et de la dotation. La réforme Barrette lui a fait perdre son poste un an avant qu'elle ait droit à une pleine pension.

Lorsqu’elle a entendu l’appel de la ministre de la Santé, Danielle McCann, à retourner dans le réseau pour prêter main-forte au personnel, elle a répondu présente. Elle a été appelée par son ancienne patronne pour travailler à titre de superviseure des nouvelles infirmières à Info-Santé.

« Cela me faisait plaisir de revenir aider mon équipe, donner un coup de main, parce que j’ai adoré mon travail. J’étais vraiment passionnée de ce que je faisais, et j’aimais beaucoup les gens avec qui je travaillais, les infirmières avec qui j’étais. »

— Une citation de  Lucie Lemay

Malgré toute sa bonne volonté, son retour au travail a été de courte durée. Elle a arrêté parce que la sécurité n’était pas à son maximum.

Les gens étaient entassés les uns sur les autres à la cafétéria ou à la salle de repos, les cubicules de travail étaient à air libre sans grandes cloisons et les mesures de distanciation physique n'étaient pas respectées, décrit-elle. Elle indique que les employés étaient assis à proximité les uns des autres avec devant eux deux écrans d’ordinateur, un pour la fiche d’appel et l’autre pour la téléphonie.

Moi, comme superviseure, pour aider la nouvelle infirmière à accomplir sa tâche, je dois m’approcher, je dois entrer dans sa bulle. Je ne suis pas à deux mètres d’elle. […] Elle ne se sent pas à l’aise parce que je ne respecte pas les deux mètres, et moi, je ne me sens pas à l’aise non plus, admet-elle.

Un téléphone avec un casque d'écoute et un micro intégré.

Info-Santé manque de ressources pour répondre à un nombre élevé d'appels.

Photo : getty images/istockphoto / BrianAJackson

Lucie Lemay ne comprend pas pourquoi certaines infirmières qui toussaient et portaient des masques étaient au travail et non au repos à la maison. Elle indique que la zone chaude où elles étaient regroupées se trouvait près du secteur où travaillaient les nouvelles infirmières, celles dont elle avait la responsabilité.

On se demandait jusqu’à quel point on était protégées lorsqu’elles toussaient vers notre zone à nous? Ce n’était pas toujours évident de travailler dans des conditions comme celles-là, se souvient-elle, ajoutant que la direction ne disait pas tout.

Elle se souvient de son dernier soir à Info-Santé. Une nouvelle infirmière présentant des symptômes de la COVID-19 était entrée travailler. Après sa pause, elle n’était jamais revenue en poste. Mme Lemay s’en était aperçue et était allée chercher une explication. On lui avait dit que l’infirmière était partie parce qu’elle avait des symptômes de fièvre, des frissons et une diarrhée.

Je ne me sentais pas à l’aise parce que j’avais été la voir pour remplir sa feuille de pause. J’allais la voir quand elle avait des questions. J’avais beau avoir un masque, je me disais : "Mais je m’expose jusqu'où? Je vais aller jusqu'où avant que je l’attrape moi-même?", relate-t-elle.

Un manque de leadership

Lucie Lemay dénonce le manque de leadership et de soutien de la direction d’Info-Santé pour traverser la crise sanitaire, disant avoir été laissée à elle-même.

La dernière journée que j’ai travaillé, il n’y avait pas de chef de programme présent. Il n’y avait personne de l’administration. Les seules personnes vraiment aidantes étaient les assistants à la console, qui nous aidaient tant bien que mal parce qu’ils avaient eux-mêmes à répondre aux questions de leurs infirmières régulières. En plus, il fallait qu’ils répondent à nos questions, de la nouvelle équipe. On était laissées à nous-mêmes. On aurait dit un bateau sans pilote à bord, déplore-t-elle.

Une pancarte indique aux gens la direction à prendre pour se rendre à la clinique de dépistage du coronavirus de Chicoutimi.

La population doit parler à une infirmière au téléphone pour faire un examen de santé en ligne avant de se rendre dans une clinique de dépistage de la COVID-19.

Photo : Radio-Canada / Jonathan Lamothe

Elle a fini son ultime quart de travail le 8 avril et remettait sa démission le 15 avril. « Je voulais me donner sept jours au cas où je développerais des symptômes », détaille-t-elle, assurant par le fait même qu’elle n’est pas seule à avoir quitté ses fonctions par manque de mesures de sécurité adéquates et de peur d’attraper la maladie.

On y allait toutes parce qu’on veut s’entraider les unes les autres. On se connaît depuis toujours. Mais en même temps, on ne sait pas. Quand on parle d’un ennemi invisible, on se sent comme cela, on panique parfois parce qu’on se dit : "Mais il est où, et qui est porteur, qui est en incubation?" C’est très difficile, confie-t-elle, signalant que tous avaient la peur au ventre.

L’ex-superviseure indique qu’un nouveau système téléphonique a été mis en place il y a quelques années. Cependant, il n’a pas été adapté de façon à permettre le télétravail.

Dans cette nouvelle téléphonie, c’est certain qu’ils n’ont jamais pensé mettre un système qu’on pourrait avoir de la maison. Mais ce serait très apprécié. Dans des temps de pandémie comme on a, où on prévoit peut-être une deuxième et une troisième vague, moi je ferais ardemment ce travail de chez moi. D’ailleurs, dans ma lettre de démission, je l’ai dit, souligne-t-elle.

Déçue, Lucie Lemay avoue que son expérience lui a fait éprouver de la peine. Je pensais tellement qu’on allait être protégées, dit-elle. Surtout, le 811, qui est quand même vu comme un service essentiel à la population. La ministre McCann au début demandait tellement d’aller aider. On y va avec tout notre cœur. De voir qu’il n’y a pas plus de considération que cela au niveau de la sécurité, cela m’a chagrinée beaucoup.

Des semaines d’attente

Infirmière, Anne-Marie Gallant a aussi répondu oui à l’appel lancé par le gouvernement Legault à revenir dans le réseau de la santé pour aider le personnel en temps de crise sanitaire. Intervenante communautaire en santé mentale à temps partiel pour un organisme, elle a obtenu un congé de son employeur pour pouvoir prêter main-forte, elle s’est inscrite sur le site jecontribuecovid19 le 13 mars dernier et elle a attendu.

Anne-Marie Gallant portant un masque chirurgical.

Anne-Marie Gallant est infirmière clinicienne.

Photo :  courtoisie

Mme Gallant est une ancienne employée d’Info-Santé. Selon elle, il était plutôt simple de l’affecter à ce service. Sinon, elle aurait accepté volontiers d’aller faire du dépistage ou d’aller travailler dans les CHSLD.

« J’ai été formée récemment à Info-Santé. J’aurais pu mettre mon expertise au service de la population. »

— Une citation de  Anne-Marie Gallant, infirmière

Malheureusement, la machine administrative s’en est mêlée et elle a passé son temps à attendre, plongée dans l’incertitude. Elle estime que son dossier s’est perdu dans les craques du système.

L’infirmière clinicienne a été approchée par le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal pour se joindre à l’équipe d’Info-Santé. Cependant, elle devait recevoir une formation avant de retourner travailler et sa formation a été repoussée à deux reprises pour des raisons vagues.

Elle devait suivre une formation les 14, 15 et 16 avril. Or, le 10 avril, elle a reçu un courriel lui indiquant ceci : Suite aux nouvelles directives reçues, nous sommes dans l'obligation de reporter la formation pour une date ultérieure. Nous nous excusons pour cet inconvénient, et vous remercions par avance pour votre compréhension.

Anne-Marie Gallant explique l’annulation de sa formation par la publication le 9 avril d’un article de Radio-Canada révélant que deux cas de COVID-19 avaient été été déclarés au centre d'appels d'Info-Santé à Montréal et que les infirmières de la ligne 811 étaient inquiètes; alignées dans leurs cubicules, elles craignaient d'être à leur tour contaminées. Il semble que le plus récent report ait eu lieu suite à l'article que vous avez publié sur les cas de COVID-19 à la centrale, dit-elle.

Des propositions refusées

Anne-Marie Gallant a été contactée par d’autres CIUSSS que celui du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. J'ai refusé d'autres emplois d'infirmière, car Info-Santé m'avait déjà embauchée. Mais, je n'ai toujours aucune idée de si et quand je commencerai, a-t-elle écrit à Radio-Canada avant de démissionner.

Après 37 jours de désorganisation et de lenteur bureaucratique, elle a remis sa lettre de démission dimanche au CIUSSS sans jamais y avoir travaillé.

Anne-Marie Gallant avec un casque d'écoute sur la tête.

Anne-Marie Gallant a déjà travaillé à la ligne Info-Santé Montréal il n'y a pas si longtemps.

Photo :  courtoisie

Lundi, elle a reçu un courriel d’une gestionnaire du CIUSSS qui se disait désolée d’apprendre sa démission. Cette dernière lui indiquait que la nouvelle directive l’obligeait à donner des formations plus longues que d’habitude à des groupes dont on a réduit la taille de moitié.

La gestionnaire invoquait un autre élément pour expliquer le retard dans la livraison des formations, un facteur humain : Nous avons deux personnes aptes à donner ces formations. […] et dernièrement, une a été retirée.

Amère, l’infirmière est en colère de la lenteur administrative. Elle parle de réel gâchis. Je veux aider. Prenez-moi. Mais il ne se passe rien, regrette-t-elle. Selon elle, il y a aussi un problème de coordination sur le plan du recrutement par le biais du site jecontribue. Il manque d’arrimage et de communication entre les CIUSSS. Ils sont en compétition les uns avec les autres, constate-t-elle.

J’ai perdu des heures à faire des démarches auprès de l’Ordre des infirmières, à remplir des formulaires médicaux, de vérification d’antécédents criminels, d’assurance, et j’en passe. Vos employées aux ressources humaines ont également perdu leur temps. Et cela n’a aidé personne, écrit-elle dans sa lettre de démission.

Situation semblable en Montérégie

À la centrale de la Montérégie, la situation n’est guère mieux. Une infirmière nous a écrit sous le couvert de l'anonymat pour dénoncer le manque de protection avec lequel le personnel doit composer et le fait que la distanciation sociale de deux mètres est rarement respectée.

Aucun cubicule fermé, que des paravents qui ne montent environ qu’à six pieds du sol et certains postes de travail n’en comportent aucun. Les infirmières peuvent se voir, communiquer entre elles et même se toucher selon l’emplacement des postes. Si toux ou éternuements, je ne vois aucunement en quoi nous serions protégées, déplore-t-elle.

Une personne compose un numéro sur son cellulaire.

Le nombre de personnes qui composent le 811 a explosé en raison de la pandémie de coronavirus.

Photo : Associated Press

L’employée explique que l’environnement de travail ne contribue pas à réduire les contacts. Elle mentionne que les couloirs et allées sont étroits. De plus, il y a beaucoup de travailleurs de la santé sur place en raison des récentes embauches.

Nous sommes plusieurs (tous quarts confondus) à circuler dans la centrale. Il est difficile de prendre nos distances. Il arrive fréquemment que nous soyons à moins d’un mètre de distance les unes des autres, relate-t-elle.

De plus, elle indique que la direction demande aux employés de manger ou de prendre leurs pauses à leur poste de travail ou dans leur voiture.

« Nous nous retrouvons à demeurer au même endroit pendant tout notre quart de travail. »

— Une citation de  Une infirmière de la centrale Info-Santé de la Montérégie

Malgré tout, elle lance un appel aux dirigeants du réseau de la santé. Le télétravail n’est actuellement pas envisageable selon nos gestionnaires, mais plusieurs d’entre nous espèrent vivement y avoir accès à court terme. Plusieurs d’entre nous offriraient davantage de disponibilités, accepteraient de travailler en temps supplémentaire et même en étant malade, puisqu'aucun risque [n’existe] de contaminer nos collègues depuis le confort de nos maisons, affirme-t-elle.

Les limites du télétravail

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on reconnaît les limites du télétravail pour pareil service public.

Bien qu’il soit possible pour des employés des centrales 811 de faire du télétravail, il n’est pas réaliste actuellement de penser que cette mesure pourrait être appliquée à tous les employés d’une centrale 811 en même temps, écrit Marie-Claude Lacasse, du service des relations avec les médias du ministère, dans un courriel.

Mme Lacasse soutient que le ministère réclame des ajustements pour faire respecter les mesures de distanciation sociale.

Il est demandé que les centrales mettent en place des mesures pour minimiser les contacts et les rapprochements (garder une distance de deux mètres, éviter de se rassembler pour une réunion, etc.), comme pour tout employeur des services essentiels qui doit continuer à offrir un service en période de pandémie, indique-t-elle.

La centrale dit suivre les recommandations

Le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'île-de-Montréal a réagi à ce reportage mercredi en fin de journée en assurant que la direction de la centrale téléphonique 811 de Montréal a mis en place toute une série de mesures recommandées par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec et par l’Institut national de santé publique du Québec pour prévenir la transmission de la COVID-19 dans le milieu de travail.

Pour expliquer qu'une dizaine d’employés ont été infectés par le nouveau coronavirus, Carl Thériault, conseiller en relations médias du CIUSSS, déclare : Malgré nos exigences de ne pas se présenter au travail avec des symptômes d’allure grippale, nous croyons que cette éclosion est causée par une transmission communautaire involontaire.

Comment pense-t-on corriger la situation au sein de la centrale montréalaise? Nous continuerons d’appliquer les mesures de prévention existantes et nous allons compter sur la grande collaboration de notre personnel, répond M. Thériault.

Étant donné que des infirmières sont malades, que d’autres ont démissionné et que d’autres se sont désistées lors du processus de recrutement, le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'île-de-Montréal ne semble pas trop préoccupé par le potentiel manque de personnel.

Nous avons reçu trois fois plus de candidatures que [ce dont] nous avons besoin. Nous comptons garder à long terme des nouvelles infirmières au sein de notre effectif régulier, affirme Carl Thériault.

Finalement, le porte-parole affirme qu’il n’est pas question de fermer la centrale téléphonique, car elle offre un service indispensable à la population pendant la pandémie.

Avec la collaboration de Thomas Gerbet

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