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AnalyseL'Organisation mondiale de la santé au pilori

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Photo : Reuters / Denis Balibouse

Outre la Chine, le Parti démocrate et un bon nombre de gouverneurs d’États américains, l’Organisation mondiale de la santé fait maintenant partie de la liste des adversaires désignés de Donald Trump. Ou – pour le dire autrement – des boucs émissaires utiles, en ces temps de COVID-19 et de gestion chaotique de la crise par le gouvernement fédéral des États-Unis.

Le 14 avril, la Maison-Blanche a annoncé qu'elle cessait de financer cette organisation. L’OMS, une émanation de l’ONU créée en 1948, est ici accusée de politisation, et spécifiquement d’avoir fait le jeu de Pékin pendant la pandémie.

La Maison-Blanche demande une étude approfondie et immédiate pour examiner le rôle de l'OMS dans la mauvaise gestion et la dissimulation de la propagation du coronavirus. Le monde a reçu plein de fausses informations sur la transmission et la mortalité de la COVID-19.

Allusion aux mensonges allégués du régime communiste quant à l’ampleur réelle des dégâts en Chine en janvier et février, ou au retard coupable dans le déclenchement d’une alerte mondiale. Sans oublier la complaisance du directeur général Tedros Ghebreyesus envers ses bons amis chinois.

Toutes choses qui, au demeurant, sont plausibles et méritent examen…

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Une représentation du coronavirus.

Le faux appui du G7 à Trump

Deux jours après l’annonce de Trump, le 16 avril, tout juste après une réunion virtuelle des leaders du G7, la Maison-Blanche s’empresse d’émettre un communiqué. On y affirme que les dirigeants occidentaux appuient Donald Trump dans sa démarche, qu’ils demandent « une enquête » sur l’OMS et exigent une « réforme » de l’organisation.

Sauf que, dans les heures qui suivent, le Canada, l’Allemagne et d’autres gouvernements du G7 se dissocient de cette déclaration, réaffirmant leur appui à l’OMS, vue comme une indispensable cheville ouvrière dans la lutte mondiale contre une grave pandémie.

Certaines critiques ont certes été émises, reprenant celles de Washington – notamment par les Britanniques – quant au leadership controversé de l’actuel directeur général, ou ses accointances politiques. Mais on a fait valoir en substance que ce n’est pas le moment de tirer sur le capitaine, au moment où le bateau traverse une tempête en haute mer.

Le financement américain de l’OMS

Parmi les gouvernements qui financent l’institution, les États-Unis sont le principal bailleur de fonds de l’organisation. Selon des chiffres du Département d'État américain, Washington a financé l'OMS à hauteur de 893 millions de dollars au cours des deux dernières années, ce qui revient à des versements annualisés d’environ 450 millions.

Le budget de l’OMS varie d’une année à l’autre; il change aussi selon qu’on inclut ou non certains programmes particuliers (campagnes de vaccination, tournées d’information avec des partenaires privés), mais il oscille autour de 5 ou 6 milliards de dollars par année.

Comme contributrice directe, la Chine arrive très loin derrière les États-Unis, mais aussi derrière la France ou l’Allemagne, avec un engagement d’à peine 86 millions de dollars pour la même période.

L’influence disproportionnée qu’a acquise Pékin au sein de l’OMS ne vient donc pas de sa contribution directe en argent, mais plutôt d’une infiltration méthodique, commencée à l’époque du mandat de la Chinoise (Hongkongaise) Margaret Chan à sa direction générale (2006-2017).

Il y a aussi l’influence qu’a développée Pékin en Afrique durant cette période, et tout particulièrement en Éthiopie (dont Ghebreyesus a été ministre des Affaires étrangères).

L’OMS compte aussi beaucoup de donateurs privés : par exemple, un groupe comme la Fondation Bill and Melinda Gates verse plus de 100 millions par an. On compte aussi des organisations à but non lucratif, des entreprises, des universités. Depuis la fin du 20e siècle, les contributions volontaires ont pris le pas sur les contributions fixes des États comme principale source de financement de l’OMS.

Avant les attaques, les louanges du président

Le président américain n’est pas le seul à avoir critiqué cette organisation durant la pandémie.

En Europe, de nombreuses publications ont enquêté et mis en évidence les côtés douteux de la gestion de l’OMS, les extravagantes notes de frais, la proximité avec la Chine, la campagne brutale pour tenir Taiwan à l’écart – alors que l’île affiche un dossier étincelant dans la lutte contre la COVID-19 –, l’amitié de l’OMS avec des dictateurs (Mugabe, al-Assad), etc.

Au Japon, le vice-premier ministre a rebaptisé l’OMS « Organisation chinoise de la santé »!

Au sujet des accusations actuelles de Donald Trump contre Pékin et l’OMS, il faut savoir qu’elles ont été précédées, au début de l’année, d’interventions d’un tout autre ton.

On sait qu’en janvier et février, son administration était non seulement alimentée en temps réel sur les délibérations et les annonces de l’organisation, mais que Trump lui-même n’a cessé, durant cette période, de dire du bien de l’action de Pékin… et à travers elle, de l’OMS, qu’il vilipende aujourd’hui! 

Dans un tweet du 14 janvier, Trump déclarait par exemple que les autorités chinoises n'avaient trouvé aucune preuve claire de transmission du coronavirus de personne à personne. Chose qui n'a été admise par les autorités de Pékin, en effet, que le 20 janvier… alors qu’elles le savaient depuis trois semaines.

Le président des États-Unis a repris plusieurs fois – en l’approuvant – l’intox chinoise (reprise telle quelle par l’OMS), parce que cela faisait alors son affaire, lui-même étant à l’époque dans le déni face à la réalité du danger.

Le 24 janvier, il écrit ainsi sur Twitter : La Chine travaille très fort contre le coronavirus. Les États-Unis saluent ses efforts et sa transparence. (…) Au nom du peuple américain, je voudrais remercier le président Xi Jinping!

Il en remet une couche le 7 février, en écartant les inquiétudes sur une quelconque dissimulation chinoise. Et le 4 mars encore : La Chine contrôle la situation.

Donc la Chine – et l’OMS à sa suite – bénéficie des bonnes grâces du président Trump jusqu’à ce que ça commence à chauffer pour lui, c’est-à-dire vers la fin mars.

Une décision qui choque

Au demeurant, cette décision choque même ceux qui avaient critiqué l’OMS, sa gestion de la crise ou encore ses rapports avec la Chine.

Sur la scène politique intérieure, Nancy Pelosi, leader démocrate à la Chambre des représentants, déclare que la suspension du financement à l’OMS est une décision dangereuse, illégale et qui sera rapidement contestée. Elle rappelle que le Congrès avait approuvé ces dépenses, et que le président ne peut les annuler.

Les accusations de Trump apparaissent aux yeux de beaucoup comme des gesticulations opportunistes, pour détourner l'attention. D’abord, de ses propres louanges initiales envers la Chine et l'OMS. Et surtout, pour détourner l’attention de ses propres cafouillages, revirements, dénégations et improvisations dans toute cette crise de la COVID-19, qui frappe durement les États-Unis.

Lenteur et complaisance

Les critiques adressées à l’OMS méritent pourtant d’être examinées.

Au tout début de la crise, l'OMS a repris, tels quels, les affirmations, dénégations et chiffres chinois sans signaler qu'ils pourraient être sujets à caution. L’idée que les chiffres de Pékin (83 000 cas au total et 3300 morts, révisés pour la toute première fois, comme par hasard, ce 16 avril, avec 1300 décès supplémentaires comptabilisés à Wuhan) sont probablement sous-estimés dans un but propagandiste, cette idée est assez bien établie, mais jamais l’OMS ne les remettra en cause.

L'organisation a été lente à évoquer le risque de transmission interhumaine. Lente à déclarer une urgence de santé publique, et déclarer officiellement une « pandémie » (annonce qui n’arrive que la seconde semaine de mars). L’OMS n’a pas contredit une seule fois les autorités chinoises. Plus encore, elle n’a pas cessé de louanger Pékin : Gebreyesus a même parlé du « caractère visionnaire » du leader chinois Xi Jinping.

L’utilité malgré tout de l’OMS

Pour être juste, on peut et doit aussi dire du bien sur l’utilité – et même, le caractère indispensable – d’une telle organisation.

L’OMS fait très bien certaines choses. Elle a souvent été saluée pour ses programmes de vaccination contre la tuberculose, la polio… Ou encore dans ses interventions contre le paludisme en Afrique.

Elle fournit aux États membres des informations sur la façon dont une maladie infectieuse peut être contenue. Elle collige et compare des études menées par d’autres, recueille des preuves sur les mesures efficaces et celles qui ne le sont pas. Elle coordonne également la recherche et les essais de médicaments et de vaccins.

Si l’OMS n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais avec toutes ses qualités et son indéniable utilité, elle semble moins habile dans le type de crise qui nous touche actuellement. Problème de leadership.

Il y a surtout un autre virus en jeu : le virus de la politisation et de la dépendance envers une superpuissance. Politisation que Ghebreyesus, l’homme des Chinois, dénonce lui-même lorsque les États-Unis passent à l’attaque.

Ce virus a toujours été présent dans les organisations internationales, autrefois au profit d’autres puissances. Mais contre ce virus-là, on n’a pas encore trouvé de vaccin.

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