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COVID-19 : le travail des policiers fait l’objet de nombreuses critiques

Un constat d'infraction avec la somme de 1546 $ à payer en gros plan.

Les constats d'infraction pour non-respect des mesures de distanciation physique s'accompagnent d'une amende de 1000 $ assortie de frais de 546 $.

Photo : Radio-Canada

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer le zèle des policiers dans l’application des mesures de distanciation sociale. Certains considèrent qu’ils outrepassent leurs pouvoirs et donnent des contraventions de façon abusive.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a pris les grands moyens pour sévir contre les rassemblements en temps de pandémie, le 7 avril, en permettant à tous les corps policiers du Québec de délivrer sur-le-champ des « constats d'infraction abrégés » à ceux qui ne respectent pas les consignes de la santé publique relatives à la distanciation sociale. Ces constats s'accompagnent d'une amende de 1000 $ assortie de frais de 546 $.

Aujourd’hui, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a fait savoir qu’elle estime que la répression contre les personnes en situation d'itinérance pour faire appliquer les consignes de confinement de la santé publique est discriminatoire.

Des contraventions de 1546 $ ont été distribuées à des jeunes de la rue pour avoir contrevenu aux consignes de prévention pour lutter contre l'épidémie de la COVID-19. Ces jeunes, qui n'ont pas de domicile où se placer en confinement, se seraient regroupés près d'une station de métro.

La CDPDJ dit s'inquiéter de ces pratiques. Elle estime que l'interdiction de rassemblement a un « impact discriminatoire » sur la population en situation d'itinérance. Elle demande aux services de police de tenir compte de la situation de ces personnes lorsqu'ils appliquent les mesures d'exception liées à la crise actuelle.

« Les personnes en situation d'itinérance ne peuvent pas s'isoler dans leur domicile, puisqu'elles n'en ont pas. »

— Une citation de  Philippe-André Tessier, président de la CDPDJ

La Commission souligne que le profilage discriminatoire demeure interdit même lorsque des mesures d'urgence sanitaire et d'urgence civile sont en place. Le profilage social inclut entre autres toute action de personnes en situation d'autorité qui appliquent une mesure, de façon disproportionnée, sur des segments de la population, précise-t-elle.

Appel à la compassion à l'égard des itinérants

Serge Lareault en gros plan.

Serge Lareault est le commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal.

Photo : Radio-Canada

Le commissaire aux personnes en situation d'itinérance à la Ville de Montréal, Serge Lareault, appelle les agents du SPVM à « être en mode compassion ». Toute la vie des personnes en situation d'itinérance est bouleversée, mentionne-t-il.

Serge Lareault explique qu'ils ont perdu d'un seul coup les quelques dollars qu'ils recevaient de dons des passants; l'aide discrète de nombreux commerçants en nourriture ou l'accès aux toilettes; ainsi que le soutien crucial de ressources forcées à fermer leurs portes pour respecter les consignes de la santé publique.

Tout ça a disparu en même temps et ça a créé une grande détresse humaine, décrit celui qui plaide pour une plus grande compassion et un meilleur discernement à l'égard de ces gens vulnérables.

De l'avis de la directrice générale du Refuge des jeunes de Montréal, France Labelle, le travail des policiers est évidemment essentiel, mais donner des contraventions de 1546 $ à des gens de la rue est « tout simplement contre-productif ». Ce n'est pas plus de judiciarisation qui va éloigner [les jeunes], a-t-elle indiqué.

Des citoyens outrés par les policiers

De nombreux citoyens questionnent les pratiques policières actuelles et entendent contester leur constat d'infraction.

Sylvain Valiquette, un commerçant de la métropole, a reçu une contravention de 1546 $ il y a 10 jours après avoir été dénoncé par un voisin. Un constat qu'il veut contester devant les tribunaux.

Un ami était venu lui donner un coup de main. Il venait m'aider à ranger, à placer les choses dans mon commerce, c'est à ce moment-là que les policiers sont venus à la porte, explique-t-il.

Les policiers ne se sont pas renseignés sur qui était la personne qui a fait la plainte. Ils sont venus déjà avec une idée préconçue de donner une contravention à deux personnes qui, dans le fond, ont un confinement exemplaire, déplore Sylvain Valiquette.

Imène Ayachi debout sur le trottoir.

Imène Ayachi, une étudiante montréalaise, a reçu la visite inopinée des policiers.

Photo : Radio-Canada

Imène Ayachi, une étudiante, remet également en question la façon de travailler des policiers après avoir fait l’objet d’une plainte d'un voisin. Elle raconte avoir été complètement paniquée lorsqu'ils ont fait irruption dans son appartement pour mettre fin à son rassemblement avec trois amis.

« La police est débarquée d'un coup. Ils étaient quatre. Ils n’ont même pas frappé à la porte. Ils sont rentrés comme ça. L'un d'eux a tout de suite fait le tour de l'appartement, il n'a pas demandé, il a vraiment fait le tour. »

— Une citation de  Imène Ayachi, étudiante

Mélissa Leblanc, de Beaconsfield, dans l'ouest de l'île de Montréal, a reçu la visite des policiers le 5 avril parce que des proches lui avaient chanté « bonne fête » de leurs voitures garées de l'autre côté de la rue. Elle soutient que la police, qui avait reçu la dénonciation d'un voisin, l'a menacée d'une amende de 1500 $ et d'une peine de prison si elle « récidivait ».

Mme Leblanc, dont l'anniversaire avait tourné au vinaigre, s'en est tirée finalement avec un avertissement, mais elle s'inquiète pour le climat tendu dans lequel la police évolue actuellement. Je sais qu'ils étaient stressés, a-t-elle admis en entrevue. Mais ils n'avaient pas à se défouler sur moi.

Des avocats ont mis en ligne un guide après avoir reçu de nombreuses questions de citoyens sur leurs droits. Présentement, les policiers n'ont pas de pouvoirs élargis en termes d'entrées sans mandat dans une résidence privée, indique Me Alia Chakridi.

Alia Chakridi dehors devant une série de logements.

L'avocate Alia Chakridi.

Photo : Radio-Canada

L’avis des experts

Des experts en criminologie et en droit n'adhèrent pas à la croyance populaire voulant que les citoyens se sentent plus en sécurité si la police a le pouvoir d'imposer de lourdes amendes à ceux qui ne suivent pas les règles. Ils soutiennent plutôt que les directives des autorités de la santé publique ne sont pas claires, et que la manière dont elles sont appliquées est contre-productive.

Par ailleurs, les lourdes amendes touchent de manière disproportionnée les plus démunis, les personnes racisées et les communautés marginalisées – qui peuvent en plus être victimes d'abus de pouvoir des policiers, voire de profilage.

Les chercheurs en criminologie Alex Luscombe et Alexander McClelland « cartographient » actuellement l'application policière des consignes sanitaires dans l'ensemble du Canada. Leur projet recueille des données à partir de reportages journalistiques, de communiqués de presse de la police et de publications sur les réseaux sociaux.

Alex Luscombe, doctorant en criminologie à l'Université de Toronto, soutient que les contraventions nuisent de manière disproportionnée à ceux qui n'ont pas la possibilité de s'isoler confortablement ou qui n'ont pas été correctement informés de la propagation de la COVID-19. À sa connaissance, il n'existe aucune étude en criminologie qui indiquerait que les contraventions constituent un moyen de dissuasion efficace contre les mauvais comportements. La vitesse au volant existe toujours, plaide-t-il.

Son collègue Alexander McClelland, boursier postdoctoral à l'Université d'Ottawa, étudie la criminalisation des personnes atteintes de maladies transmissibles, en particulier le VIH. Même s'il est encore tôt dans la pandémie, il s'attend à ce que cette crise produise des habitudes policières similaires à celles qui avaient émergé lors de la crise du sida: les personnes racisées, les pauvres et les Autochtones sont surreprésentés dans les affaires criminelles liées au VIH, soutient-il.

Le SPVM se défend

André Durocher assis dans son bureau.

André Durocher est porte-parole du Service de police de la ville de Montréal.

Photo : Radio-Canada

Depuis le début de la crise, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a remis plus de 1000 constats et rapports d'infraction généraux à des citoyens qui ne respectaient pas les mesures gouvernementales.

Le SPVM refuse de commenter une situation particulière, mais il assure respecter la loi.

« Si des gens ont le sentiment que des policiers sont allés chez eux pour des raisons qu'ils n'avaient pas le droit, il y a des recours qui sont là, il y a des tribunaux qui sont là. »

— Une citation de  André Durocher, inspecteur au SPVM

Interpellée lors de sa conférence de presse, mercredi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a affirmé que le constat d'infraction ce n'est jamais ce qui est souhaité en premier par un agent de la paix.

Elle soutient toutefois que le travail du SPVM n'est pas seulement de faire respecter les règlements, mais aussi de s'assurer que personne ne se sente menacé sur le territoire de Montréal.

Valérie Plante admet qu'il est difficile de trouver toute la main-d’œuvre qualifiée pour bonifier les équipes de travailleurs de rue qui sont sur le terrain pour intervenir et aider la population en situation d'itinérance.

Elle souligne également que toutes les mesures mises en place par l'administration municipale, soit des refuges d'urgence, des centres de jour dans des parcs et des haltes chaleur sont autant de manières de soutenir cette population-là qui est déjà marginalisée et vulnérable.

Avec les informations de Geneviève Garon

Avec les informations de La Presse canadienne
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