COVID-19 : les leçons du dépistage à grande échelle de l'Islande
L'Islande teste tout le monde sans condition. La conclusion, c'est que la moitié des porteurs du virus ne présentent aucun symptôme.
Une femme subit un test de dépistage de la COVID-19 à Reykjavik, en Islande.
Photo : courtoisie / DeCode Genetics
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors que les pays de la planète bataillent ferme pour limiter la propagation du nouveau coronavirus, l'Islande a décidé de prendre un chemin unique.
Aucun pays au monde n'a testé une si grande proportion de ses citoyens. Au moment d'écrire ces lignes, les autorités sanitaires islandaises avaient testé près de 10 % de la population. Une proportion environ dix fois plus grande que celle du Canada, qui ne fait pourtant pas si mauvaise figure sur le plan mondial en ce qui concerne l'ampleur du dépistage.
Mais surtout, l'Islande est le seul pays du monde à ne pas imposer de conditions pour avoir accès aux tests de dépistage. Nul besoin de ressentir des symptômes ou d'avoir été en contact avec une personne infectée pour subir le test.
Le dépistage est ouvert à tout le monde, avec ou sans symptômes. Le but : dresser un meilleur portrait de la population des porteurs asymptomatiques.
Les résultats de ce dépistage généralisé ont de quoi étonner : la moitié des personnes qui ont été déclarées positives ne présentaient aucun symptôme de la COVID-19 au moment du test.
Des personnes, donc, qui étaient atteintes de la maladie mais qui ne le savaient pas. Le dépistage aléatoire à l'islandaise aura permis de mettre ces personnes en isolement avant qu'elles n'en infectent d'autres.
À ce jour, l'Islande recense 1675 cas, 40 hospitalisations, dont 13 en soins intensifs, ainsi que 6 décès. Les autorités islandaises publient tous les jours à 13 h les statistiques du jour sur un site Internet (Nouvelle fenêtre) d'une clarté exemplaire. On y trouve entre autres le nombre de personnes mises en isolement obligatoire après un résultat de test positif et le nombre de personnes mises en quarantaine (les personnes qui ont été en contact avec les malades atteints de la COVID-19).
Appel au public
Pour s'assurer de dépister un grand nombre de personnes, les autorités islandaises ont lancé un appel public afin d'inciter les citoyens à se porter volontaires pour se soumettre au test.
Sachant qu'il ne pouvait répondre seul à la demande qui allait en résulter, le gouvernement islandais a demandé le concours de la firme DeCode Genetics pour l'assister dans cette grande opération. Cette société islandaise spécialisée dans la recherche génétique a rendu disponible un arsenal de tests et a mobilisé des professionnels de la santé pour effectuer le dépistage dans les lieux publics.
Cette association a permis à l'Islande de tripler son offre de tests et d'offrir le dépistage de façon aléatoire à tous les citoyens.
Cette opération [de dépistage à grande échelle] vise à connaître de façon plus précise la prévalence du virus dans la communauté, alors que tous les autres pays ne testent que les gens qui présentent des symptômes
, a expliqué en conférence de presse Thorolfur Gudnason, l'épidémiologiste en chef de l'Islande.
Joint à Reykjavik, Kári Stefánsson, le fondateur et président de la firme DeCode Genetics, abonde dans le même sens : C'est un portrait plus précis de la vraie distribution du virus dans la population, dit-il. En sachant qu'une grande partie des personnes infectées ne ressentent pas de symptômes, ça peut aider les autres pays à prendre des mesures plus adéquates pour stopper la propagation du virus.
Des tests très tôt
L'Islande était prête. Elle a lancé sa grande opération de dépistage dès que le premier cas a été détecté au pays, le 28 février dernier, chez un citoyen qui revenait d'Italie. Dès le début de mars, les autorités ont multiplié les tests aléatoires, qui leur ont permis de constater que 50 % des gens qui ont été déclarés positifs étaient asymptomatiques.
Ça ne veut pas dire que la moitié des personnes sont complètement asymptomatiques, car certaines d'entre elles auraient pu développer des symptômes plus tard, précise Kári Stefánsson. C'est probablement parce que nous testons tôt dans la maladie. Sauf que, si on est incapable de savoir quelle est la part de la population qui est infectée mais qui ne présente aucun symptôme, alors il y a partout des gens qui propagent la maladie sans le savoir.
La communauté scientifique islandaise est ravie de cette initiative.
Ça nous aide beaucoup, nos estimations sont beaucoup plus précises et ça nous permet de mieux planifier le fardeau supplémentaire qui sera imposé au système de santé pendant la pandémie
, dit Thor Aspelund, un épidémiologiste à l'Université d'Islande que nous avons joint à Reykjavik.
Aucun autre État que l'Islande ne s'est lancé dans un dépistage aussi large. La réalité géographique semble avantager la petite île à cet égard.
L'Islande ayant une population de 364 000 habitants – moins que la ville de Laval – et concentrée à 70 % autour de la capitale, le Dr Aspelund admet qu'une large opération de dépistage est plus simple à réaliser là que dans un grand pays comme le Canada.
Tous les pays n'ont pas à tester comme nous, dit-il. Ils peuvent prendre nos chiffres et utiliser l'expérience des autres pour estimer le nombre de porteurs chez eux. [...] Il n'est pas nécessaire de le faire à l'échelle nationale, on peut le faire au niveau d'une région. Mais il est nécessaire qu'au moins quelques pays testent en masse pour en savoir plus sur la propagation du virus.
Un village italien comme laboratoire
L'approche islandaise trouve un écho dans une expérience menée dans le village de Vo, près de Venise. C'est là qu'a été enregistré le premier décès dû à la COVID-19 en Europe, le 21 février. Les 3300 habitants du village ont été mis en quarantaine peu de temps après.
Le 6 mars, des chercheurs de l'Université de Padoue ont testé tous les habitants du village, sans exception. 90 d'entre eux ont été déclarés positifs, dont une bonne partie (entre 50 % à 75 %) ne présentaient aucun symptôme.
Au terme de 14 jours d'isolement complet de tous les habitants du village, seules six personnes étaient toujours malades. On les a isolées, ce qui a permis d'éradiquer complètement le virus.
Bien qu'il admette que ces résultats peuvent difficilement être reproduits à grande échelle, Andrea Crisanti, le professeur de microbiologie de l'Université de Padoue qui a mené l'expérience, en conclut que le dépistage aléatoire des individus asymptomatiques est crucial pour éviter que les citoyens malades ne propagent le virus sans le savoir.
Des tests aléatoires au Québec?
Au Québec, le dépistage ne se fait pas de façon aléatoire. Il suit l'évolution de la pandémie et a dû s'adapter en fonction du nombre de tests disponibles. Au tout début de la crise, les tests étaient destinés aux personnes qui arrivaient de l'étranger. Puis on les a rendus disponibles aux personnes qui ressentaient des symptômes.
Mais les autorités de la santé publique du Québec n'excluent pas de faire du dépistage aléatoire par la suite, dans des endroits très ciblés.
On va probablement aussi utiliser des tests aléatoires dans certains territoires quand on sera rendu là en termes de priorité
, a dit cette semaine Horacio Arruda, le directeur national de santé publique du Québec.
M. Arruda souhaite combiner cet éventuel dépistage aléatoire à des études sérologiques. Cette démarche permettrait de déterminer quelle proportion de la population a été atteinte de la maladie sans en ressentir les symptômes.
Ça nous aidera à mieux prévoir ce qui peut se passer à l'automne, dans une deuxième vague
, conclut M. Arruda.
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