Quels travailleurs sont les plus vulnérables pendant cette pandémie?
Il n'y a pas que les travailleurs du réseau de la santé qui sont confrontés à des risques plus élevés.

Le personnel de la santé doit désinfecter le matériel lors de l'admission de nouveaux patients.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Il est clair que les travailleurs du réseau de la santé qui sont en première ligne dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 font face à des risques plus élevés pour leur santé. Mais quel est l’impact de cette crise sur les travailleurs d’autres domaines?
Afin de comprendre les effets de cette pandémie sur la santé physique et économique des travailleurs canadiens, CBC a collaboré avec l'Institut Brookfield pour l'innovation et l'entrepreneuriat de l’Université Ryerson, à Toronto.
Cet institut collige des données sur divers aspects touchant les travailleurs, comme leur revenu médian et moyen, le risque d'exposition à des maladies et à des infections, la possibilité de faire du télétravail et le degré de contact avec d’autres personnes.
Nous avons analysé ces données parce que non seulement la COVID-19 représente un problème de santé publique, mais elle a un effet sur la vie des travailleurs.
Une note à propos des données : ces graphiques ne sont pas un outil de prédiction. Ils ne peuvent pas prédire le taux d’infection à la COVID-19 pour chaque groupe de travailleurs ou le nombre de travailleurs qui pourraient perdre leur emploi.
Dans ce graphique, chaque bulle représente une profession. La grosseur des bulles 🔵représente le nombre de personnes dans chaque profession.
L'axe horizontal (➡) représente le degré d'exposition à des maladies et infections. Plus la bulle est à droite, plus le risque est élevé (allant d'aucune exposition possible à une exposition possible par jour).
L'axe vertical (⬆) représente le degré de contact d'un travailleur avec d'autres personnes. Plus le chiffre est élevé, plus il y a de contacts possibles. Une personne qui travaille dans un bureau à aire ouverte serait environ au milieu de cet axe.
En ajoutant une couleur pour chacune des professions, nous pouvons voir sur le prochain graphique que les travailleurs du domaine de la santé ont le plus de contacts avec d'autres personnes et un degré d'exposition à des maladies et infections élevé. C’est aussi le cas pour les messagers et les agents correctionnels.
On trouve aussi parmi les travailleurs les plus à risque d’infection, en raison de leurs nombreux contacts, les policiers, les enseignants, les chauffeurs d’autobus et les opérateurs de métro.
En temps normal, les vendeurs, les caissiers et les concierges sont en contact avec beaucoup de personnes, mais généralement moins à risque de contracter des maladies.
Mais la situation est désormais très différente. De nombreuses épiceries ont d'ailleurs installé des panneaux de plexiglas entre les clients et les caissiers. Les dentistes et les optométristes, qui ont un risque d'exposition élevé et un grand contact avec d'autres, ne font que des rendez-vous urgents.
De nombreux travailleurs qui doivent continuer de travailler ont dû se battre pour obtenir des mesures de protection.
Depuis le début de la pandémie, au Québec, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a reçu au moins 240 plaintes en lien avec la COVID-19. La majorité concerne les mesures de distanciation sociale difficilement applicables, ou encore la disponibilité des équipements de protection comme les masques.
Impact financier de la pandémie
En plus des risques accrus d’infection, les personnes qui travaillent dans les secteurs de la restauration, des ventes et des services sont également confrontées à des problèmes financiers en raison de la pandémie.
Ce graphique compare le revenu médian des travailleurs avec leur risque d'attraper des maladies.
Les travailleurs de la santé ont un degré d’exposition aux infections très élevé, mais certains d’entre eux, comme les aides-soignants, les aides-infirmières et les préposés aux bénéficiaires ont un revenu beaucoup moins élevé.
Par ailleurs, les chauffeurs-livreurs, les concierges et préposés à l'entretien ont un degré d'exposition élevé, mais un revenu peu élevé. Les agents correctionnels ont un degré d’exposition semblable aux travailleurs qui font l’entretien ménager, mais ils ont un revenu médian qui s’apparente davantage à celui des infirmiers.
De plus, de nombreux travailleurs qui ont déjà des emplois précaires, comme les livreurs, ont vu leurs heures et leurs revenus amputés au fur et à mesure que les gouvernements imposaient des restrictions. Plusieurs ont été licenciés. De plus, ceux qui continuent de travailler sont davantage à risque d’être infectés.
En temps normal, les personnes à faible revenu ont généralement des emplois moins sûrs et moins d’économies. Elles sont donc dans une situation encore plus précaire dans un contexte de ralentissement économique.
Les plus pauvres n’attraperont pas plus la maladie, explique Jason Gilliland, professeur de santé publique et de géographie à l'Université Western. Mais ils sont déjà plus vulnérables en raison de toutes sortes d'autres facteurs : un logement plus précaire, moins de contacts pour l'avancement [au travail] et une mauvaise alimentation, par exemple.
Un salaire en fonction du risque?

Une préposée aux bénéficiaires du centre de soins de longue durée Seven Oaks de Toronto, où la COVID-19 a tué plusieurs résidents.
Photo : Evan Tsuyoshi Mitsui/CBC
D’ailleurs, de nombreuses discussions sont en cours à Ottawa et dans les provinces à savoir si le salaire des travailleurs essentiels est suffisamment élevé, compte tenu des risques auxquels ils sont confrontés.
Au Québec, les infirmières et infirmières auxiliaires toucheront une prime de 8 % et les autres employés toucheront une prime de 4 %. Le salaire des préposés aux bénéficiaires a été haussé de 4 $ l'heure.
L'Union des employés de service réclame aussi des primes pour ses travailleurs qui font de l’entretien ménager.
La ministre de la Santé du Canada a justement déclaré que « les préposés aux bénéficiaires dans le réseau privé ne sont pas suffisamment payés et on reconnaît qu’il y a un problème. Il faut vraiment faire quelque chose pour rehausser leur salaire ».
Elle ajoute que des discussions sont en cours pour prolonger certaines primes négociées dans ce contexte de pandémie.
Ottawa a par ailleurs annoncé mercredi qu’il travaille avec les provinces en vue d'augmenter le salaire de travailleurs essentiels qui gagnent moins de 2500 $ par mois, notamment dans les établissements de soins de longue durée. Parmi les travailleurs admissibles :
- ceux qui travaillent en première ligne dans les hôpitaux;
- ceux qui prennent soin de personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée;
- et ceux travaillent afin que les aliments se rendent aux étagères et aux tables du pays.
Télétravail
Ici, l'axe vertical (⬆) indique si un travailleur peut travailler de la maison.
On remarque à quel point de nombreux travailleurs – particulièrement dans les domaines des ventes et services, de la santé, des ressources naturelles et des métiers – qui ont un taux d'exposition aux maladies élevé ne peuvent pas faire de télétravail.
Un note sur ces données : les statistiques sur le télétravail sont disponibles seulement pour certaines catégories d'emplois et non pour les emplois individuels. C'est pourquoi les bulles des emplois d'une même catégorie sont toutes sur une même ligne.
Ici, le revenu médian est sur l'axe horizontal. Remarquez à quel point le télétravail n'est pas possible pour plusieurs emplois ayant un revenu médian moins élevé.
Ceci rend ces travailleurs plus vulnérables au chômage et à la pauvreté, particulièrement dans des temps de crise, comme en ce moment, estiment les chercheurs de l’institut.
Le télétravail deviendra-t-il une nouvelle réalité pour de nombreux travailleurs après la pandémie?
C’est très surprenant de voir comment les conditions de travail ont changé et se sont adaptées en réponse à cette crise
, dit Viet Vu. Pour plusieurs types d’emplois, le télétravail n’était pas une option. Maintenant, c’est possible.
L’institut révèle également que dans certaines professions à haut risque, comme les chauffeurs d'autobus et de taxis, plus de 10 % des travailleurs sont âgés de 65 ans ou plus, soit les plus à risque de mourir de la COVID-19.
Et dans de nombreuses professions à haut risque, plus d'un cinquième des travailleurs appartiennent à une minorité visible.
Méthodologie
Les données du degré d’exposition à des maladies et des infections proviennent d’O*NET (Nouvelle fenêtre), une base de données américaine sur diverses caractéristiques professionnelles. L'Institut Brookfield a élaboré un tableau d’équivalence (Nouvelle fenêtre) pour faire correspondre les codes de profession des États-Unis avec ceux du Canada.
La capacité à faire du télétravail provenait de l'Enquête sociale générale de Statistique Canada. Les données représentent la proportion de travailleurs de chaque catégorie professionnelle de niveau supérieur qui ont déclaré pouvoir travailler à domicile.
Le revenu médian et le nombre de travailleurs pour chaque profession provient du recensement de 2016.
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Avec les informations et graphiques de Roberto Rocha