Stress, angoisse et délation : les appels de dénonciation se multiplient
Les différents corps de police reçoivent de nombreux appels pour dénoncer des situations qui contreviendraient aux recommandations gouvernementales.

L'ensemble des corps policiers du Québec reçoivent chaque jour de nombreux appels de citoyens qui dénoncent des rassemblements.
Photo : Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« Aujourd’hui, je suis sortie marcher avec mes 4 enfants [...] On s’est fait sacrer après, on s’est fait prendre en photo, on s’est fait dévisager [...] J’ai plus peur des gens que du virus », écrit Caroline Dubois, une mère de famille, sur un groupe Facebook dédié aux parents.
Les témoignages similaires de parents visiblement désemparés se multiplient sur les réseaux sociaux. Un père s’est arrêté dans son pick-up devant le parc, nous dévisageait, semblait nous juger profondément, nous a pris en photo
, détaille Karine Raby, une autre mère.
Un homme nous a klaxonné et hurlé un paquet de bêtises
, ajoute Anne Dostaler, dans un commentaire. C’est comme une chasse aux sorcières inutiles
, juge quant à elle Isabelle Picard.
Plusieurs personnes utilisent également Internet pour dénoncer, parfois de manière anonyme, de supposés rassemblements dans la rue ou des sorties visant des personnes âgées.
De multiples appels au SPVM et à la SQ
Une telle mésaventure est arrivée en début de semaine aux enfants du député montréalais Vincent Marissal.
Ils sont sortis, tous les quatre, pour prendre l’air. Ils se sont fait apostropher par une dame, qui leur a dit qu’ils sont dans l’illégalité, qui les a menacés d’appeler la police. Ma fille de 17 ans a dû lui expliquer que ce sont ses frères et sœurs
, raconte l’élu qui réside dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.
L'administratrice en chef de la santé publique du Canada, Theresa Tam, a d'ailleurs rappelé, sur son compte Twitter, que les sorties restent permises au pays.
Si vous n’avez pas de symptômes, il est possible de sortir pour marcher – mais il faut toujours se tenir à au moins deux mètres des autres
, a-t-elle affirmé.
Il faut y aller mollo avec la délation, prévient Vincent Marissal. Lorsque je vois sur les réseaux sociaux des gens qui dénoncent leur voisin, il faut que tout le monde se ressaisisse
.
« Il y a vraiment de la nervosité et une grande anxiété, on le voit. Je le comprends, mais on ne va pas enchaîner non plus les enfants dans le sous-sol. »
Ce type de situation n’étonne pas le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). On va avoir des cas où les gens vont réagir de façon irrationnelle
, reconnaît l’inspecteur André Durocher.
Alors que le décret visant l’interdiction des rassemblements intérieurs et extérieurs au Québec a été rendu public samedi soir, le SPVM a reçu, en moins de deux jours, plus de 200 appels.
Depuis, les chiffres varient de jour en jour
, précise le SPVM. L'organisation policière ne nie pas une hausse, mais ne veut néanmoins pas se livrer à une guerre de statistiques
.
[Dans] le fait que les gens téléphonent, il y a quelque chose de positif, plaide André Durocher. Ça signifie qu’il y a une conscientisation sociale. Si on est foncièrement convaincu qu'une situation présente un risque, il faut appeler et on va se rendre.
Du côté de la Sûreté du Québec, le constat est identique, mais on ne souhaite dévoiler aucune donnée.
« C'est clair qu'on a une hausse d'appels liés au coronavirus. On nous appelle pour des attroupements, des regroupements dans des résidences. »
Des amendes de 1000 $ à 6000 $
Dans le cadre de la Loi sur la santé publique, les forces de l’ordre québécoises ont l’autorisation d’imposer des amendes allant de 1000 $ à 6000 $, notamment si un citoyen récalcitrant refuse d’obéir à un ordre
provenant du ministre
ou du directeur national de santé publique
.
Pas d’amendes délivrées à Montréal
Dans la métropole québécoise, si les agents multiplient les interventions, aucune amende n’a encore été donnée. On n’a pas eu à en venir là, on en est très fier et on ne veut carrément pas en venir là
, souligne André Durocher.
« On mise énormément sur la conscientisation. Au fur et à mesure que les heures et les jours passent, il y a cette conscientisation sociale. Les gens comprennent que c’est quand même sérieux. »
À Gatineau, les agents ont remis mercredi un premier constat d’infraction de 1000 $, en raison d’un rassemblement de cinq personnes dans un immeuble résidentiel. Ces personnes ont refusé de collaborer
, spécifie la police de Gatineau.
Contactés par Radio-Canada, d'autres corps de police de la province ont indiqué ne pas comptabiliser ces signalements par téléphone pour le moment, et miser eux aussi avant tout sur la collaboration
des citoyens.
Un climat menaçant
pour expliquer un autoritarisme social
Dans les prochaines semaines, les appels visant une dénonciation, justifiée ou non, devrait encore s’accélérer, avance la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, également professeure associée à l’UQAM.
Quand on est dans un climat menaçant, tout le monde se sent anxieux. Les gens se tournent alors vers des valeurs plus conservatrices, vers de l’autoritarisme social
, explique-t-elle.
Ainsi, reprend-elle, en raison de ce stress
, la délation serait un moyen pour certains de se rassurer. Des gens peuvent essayer de diminuer leur angoisse
en dénonçant des situations, comme des déplacements en famille, qui pourraient néanmoins être légitimes, indique Geneviève Beaulieu-Pelletier, en évoquant notamment des personnes plus vulnérables, plus fragiles
.
« Ces situations ont un impact psychologique. Dans les moments de crise, les peurs se réactivent. »
Plus les gens sont stressés, plus on peut faire face à ces situations
, confirme l’inspecteur André Durocher, qui se souvient des jours suivants le 11 septembre 2001.
Tout le monde appelait pour dénoncer son voisin, raconte-t-il. Il y a eu aussi l’épisode de l’anthrax. Les gens nous appelaient et on expliquait que [dans les enveloppes] ce n’était que de la poussière
.
Pour le moment, spécifie la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, on absorbe encore le choc
. On est dans le quotidien, on regarde comment s’organiser. Il faudra voir d’ici trois, quatre, cinq semaines. On pourrait entrer dans des affects plus dépressifs
, prévient-elle.
D'ici-là, imagine le député Vincent Marissal, il faudra penser à des plans pour la santé mentale, car ce n'est pas sain pour la société
.
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