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COVID-19 : pourquoi les magasins d'alcool sont considérés comme un service essentiel

Deux mains en enserrent une autre sur une table.

La distanciation sociale recommandée par le gouvernement sera difficile à vivre pour les personnes souffrant d'une dépendance.

Photo : iStock

  • Camille Feireisen

Les magasins de vente d'alcool sont considérés comme un service essentiel en Ontario et au Québec. Les gouvernements expliquent avoir fait ce choix en partie pour éviter un engorgement des hôpitaux, rappelant que certaines personnes vivent avec des problèmes de dépendance.

Un choix approuvé par des professionnels de la santé, mais qui renvoie aussi à un problème criant en termes de ressources en santé mentale.

Il y a des personnes qui ont des problèmes de dépendance à l'alcool. Il faut être conscient que si on fermait tous les magasins, cela entraînerait des conséquences sanitaires importantes, a fait savoir la médecin hygiéniste de Toronto, Eileen de Villa.

Le premier ministre ontarien, Doug Ford, l'a secondée, indiquant qu'il s'agissait d'une décision visant à ne pas mettre davantage de pression sur le système de santé.

Les personnes vivant avec des problèmes de dépendance à l'alcool encourent en effet certains risques physiques et de santé mentale dangereux si elles devaient brusquement être sevrées, explique le Dr Bernard Le Foll, scientifique clinicien spécialisé dans les dépendances.

Pour des personnes qui consomment de l'alcool quotidiennement et qui n'y ont pas accès pendant plusieurs jours, cela peut avoir des conséquences sévères, comme des convulsions ou des troubles de fonctionnement du cerveau.

Une citation de Dr Bernard Le Foll, Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto
Dr Bernard Le Foll, Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto en entrevue Skype - il a les cheveux bruns, porte des lunettes, les yeux bleus, une barbichette poivre et sel et une chemise blanche.

Le Dr Bernard Le Foll travaille au Centre de toxicomanie et de santé mentale à Toronto

Photo : Radio-Canada

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Une représentation du coronavirus.

Parmi les symptômes de sevrage, certains sont plus légers que d'autres, comme des tremblements, de la transpiration, de l'anxiété et de l'angoisse, mais aussi des pensées noires et, dans les cas les plus graves, un delirium tremens, soit un état d'agitation propre à l'intoxication alcoolique.

Dans les cas de personnes qui ont des dépendances, on conseille de se faire examiner par un professionnel de la santé, ou une diminution très graduelle des doses d'alcool pour éviter les complications. C'est pour cette raison-là qu'il est raisonnable de ne pas fermer brutalement l'accès à l'alcool pour la population, ajoute le Dr Le Foll.

Selon lui, cette décision est logique étant donné qu'environ 4 % de la population ontarienne est dépendante à l'alcool et certains d'entre eux pourraient être exposés à des complications en cas de brusque sevrage.

Jacob Amnon Suissa, professeur à l'École de travail social à l'UQAM et psychothérapeute spécialisé en dépendances, abonde dans le même sens. 

Il faudrait y aller plus graduellement qu'un brusque arrêt, il faut aussi penser aux risques de suicides qui peuvent augmenter pendant ces périodes, dit-il.

Selon lui, il s’agit d’un bon message envoyé de la part des gouvernements, notamment aux personnes atteintes de dépendances, pour les rassurer et leur dire qu’on les comprend. Ce qui est d'autant plus important lorsque les ressources de soutien sont tronquées durant cette pandémie.

Amnon Jacob Suissa dans le studio 18 de Radio-Canada

Jacob Amnon Suissa.

Photo : Radio-Canada / Laurent Boursier

Risques accrus

L'isolement social peut créer un stress et une anxiété qui viennent s’ajouter pour certains à des difficultés personnelles préexistantes.

Le Dr Le Foll explique qu'il s'agit de facteurs favorisant l'augmentation de la consommation et la rechute, à un moment critique en termes de ressources. Les rencontres des Alcooliques anonymes sont par exemple annulées dans la province.

Les modèles de soins pour les personnes engagées dans une démarche thérapeutique consistent très souvent en des rencontres individuelles ou en groupe. Il faut que ces formes de soutien s'adaptent à la situation actuelle, ce qui va prendre un petit peu de temps, dit-il.

Créer des dépendances?

Il reste encore trop tôt pour déterminer si la pandémie va mener à une augmentation ou une diminution, à long terme, de la consommation de drogue et d'alcool.

D'un côté, il y a moins de possibilités d'aller à l'extérieur acheter des substances, mais celles-ci sont aussi davantage utilisées afin de diminuer de façon immédiate le niveau d'anxiété, mettent en garde les spécialistes.

Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool

Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool

Photo : Radio-Canada

Le directeur général d'Éduc'alcool, Hubert Sacy, rappelle qu’il existe des comportements chez les gens, où il y a des valeurs refuges et l'alcool en fait partie, dit-il.

Par exemple, on se dit qu’on ne va pas conduire, l’alcool est à la maison, donc il y a la tentation. Et puis il y a le désœuvrement, notamment avec le temps qui passe, illustre-t-il.

M. Sacy donne quelques astuces pour vérifier sa consommation, comme de compter ses verres. Pas plus de deux par jour pour les femmes, 10 dans la semaine, pas plus de trois pour les hommes, 15 par semaine, précise-t-il.

Il considère toutefois que les files devant les magasins d'alcool sont passagères. Les gens font des provisions, c'est une vague qui va passer.

En revanche, il s'inquiète par rapport aux apéros à distance qui ont le vent dans les voiles sur la toile.

Ce n'est pas parce qu'on est en isolement que les limites de consommation à faible risque sont changées, parce que votre foie et votre corps, peu leur importe où vous vous trouvez, martèle-t-il.

De son côté, le professeur Jacob Amnon Suissa estime que le maintien de l'accès ne veut pas forcément dire qu'il y aura plus de consommateurs. Il rappelle également que cette période est exceptionnelle et temporaire. 

Ce n’est pas l’alcool en soi qui est le problème, mais le lien qu’on établit avec la substance.

Une citation de Jacob Amnon Suissa, professeur à l'École de travail social de l'UQAM

Le Dr Le Foll ajoute qu’il est important de réfléchir à cette relation et de se poser des questions si l’on perçoit des effets négatifs.

Au sein du foyer

La directrice générale du refuge La maison, Jeanne Françoise Mouè, rappelle que même si la consommation ne cause pas nécessairement la violence, elle peut l'exacerber étant donné le confinement.

Ce n'est pas tant le choix de faire de ces magasins des commerces essentiels qui l'interpelle, mais les priorités gouvernementales. Elle y voit une contradiction.

Une femme sourit à la caméra

Jeanne Françoise Mouè dirige le seul refuge pour femmes francophones à Toronto.

Photo : Radio-Canada

On est toujours préoccupés au niveau de la priorité que donne le gouvernement relativement à la Société des alcools. D'abord il y a eu la bière à 1 $, on voit l'aspect économique, mais l'analyse de ces mesures-là sur les individus ne semble pas être prise en considération, dit-elle.

Là où le bât blesse, selon elle, c'est aussi que le gouvernement ne donne pas les ressources nécessaires pour considérer l'impact social, notamment pour les personnes vulnérables.

Si on mettait aussi de l'avant des services pour ces individus, ça viendrait soutenir ce type de décision, mais quand on avance le fait que le sevrage brusque peut apporter des conséquences sur la vie des gens, pour moi ça ne tient pas.

Elle rappelle que dans cette période de confinement les ressources ont été diminuées dans la communauté.

Comment le gouvernement s'assure-t-il en contrepartie de maintenir le soutien à ces personnes atteintes de dépendances et aux personnes vulnérables?

Une citation de Jeanne Françoise Mouè, directrice générale du refuge La maison

Elle souligne également le fait qu'il y a plus d'appels de personnes angoissées par rapport à la COVID-19.

Certes, c'est bien de rassurer les gens d'un point de vue économique, mais le gouvernement doit aussi rappeler l'aide psychologique qui existe sur les lignes de soutien, notamment des personnes en sevrage, conclut-elle.

  • Camille Feireisen

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