Réfection de la Plaza St-Hubert : entre déception et espoir

Selon la SDC, deux ou trois commerces ont fait faillite en raison des travaux de rénovation.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Plus d'un an et demi après le début des travaux de réfection sur la Plaza St-Hubert, plusieurs commerçants sont aux prises avec des pertes financières, et quelques-uns ont même connu la faillite. Pour d’autres, le réaménagement de la Plaza est plutôt envisagé comme une occasion de renouveau. État des lieux.
Un texte de Coralie Hodgson
Dans le tronçon entre les rues Bellechasse et Saint-Zotique, où les travaux seront en cours jusqu’à l’automne 2020, circuler sur les trottoirs n'est pas évident pour les piétons.
Pour Habib Saki, propriétaire de la Boutique de la Mariée Josie, l’avenir semble incertain. Présent sur la Plaza depuis 2009, le commerçant affirme qu'il devra fermer une de ses deux boutiques si les choses ne s’améliorent pas d’ici le mois d’août. Les gens ne viennent pas!
, s’exclame-t-il.
Alors que les ventes faites lors de la semaine de relâche permettaient normalement de couvrir environ deux ou trois mois de loyer, le manque de clients lui fait envisager de vendre la marchandise au prix où il l’a achetée afin de réussir à payer son loyer.
« Les gens disent que c’est à cause des ventes sur Internet… C’est faux. C’est pas Internet, c’est la construction. »
Johnny Libertella de la boutique de chaussures Go West n’est pas du même avis. S’il affirme que les rénovations ont également eu un certain effet sur ses ventes, il croit plutôt que les difficultés vécues par les commerçants sur la Plaza s’expliquent en partie par le fait que les ventes en ligne nuisent aux commerçants de détail.
Entre les nombreux clients qui affluent toujours dans sa boutique et à qui il annonce que toutes les chaussures sont à 30 $
, M. Libertella explique : Le fait que je n’ai pas monté mes prix, ça a aidé beaucoup.[...] Après ça, quand [les travaux seront] finis, dans un an, je vais voir
.
Au nord de Saint-Zotique, l'aménagement de la nouvelle chaussée et de trottoirs plus larges est terminé depuis l’été dernier. Rencontré en 2018 par Radio-Canada au début des travaux, Hovig Baghdassarian, de la bijouterie Luna, affirmait que les travaux n’avaient pas encore eu d'influence sur ses ventes.
Presque un an et demi plus tard, les choses ont changé pour le bijoutier. S'il affirme avoir constaté les effets sur ses ventes, il est toutefois d'avis que le rôle des rénovations est secondaire. Je pense que les magasins font pitié, et pas à cause de la reconstruction
, dit-il.
Selon lui, c'est le taux élevé des loyers par rapport à l'économie
qui est en cause. Il y a huit ans, le dernier de mes soucis, c’était le loyer. [...] Là, l’impact majeur, c’est le loyer.
Pour Sushma Bhatt, du magasin Elegance shoes, les ventes ne sont pas revenues à ce qu’elles étaient avant le début des travaux, même si la rue est maintenant dégagée.
Mme Bhatt, qui est sur la Plaza depuis 35 ans, est insatisfaite de la nouvelle chaussée et de la nouvelle marquise, mais sa principale doléance concerne les inondations qu’elle a eues dans le sous-sol de son magasin, où elle entrepose une quantité impressionnante de chaussures. J'avais de l’eau jusqu’aux genoux
, raconte-t-elle.
Selon elle, il est évident que les travaux ont causé les inondations, puisqu'elle n'en a jamais eu auparavant. Je dois nettoyer chaque jour depuis les inondations. [...]. [La Ville] a refusé de me donner une compensation pour les pertes.
Peu de faillites, selon la SDC
Pratiquement aucun commerce n’a pu échapper aux impacts économiques liés aux travaux, mais les commerçants sont très résilients
, assure Mike Parente, directeur de la Société de développement commercial (SDC) de la Plaza St-Hubert.
Selon lui, les affaires devraient vraiment reprendre lorsque les travaux dans les tronçons sud seront terminés, même pour les commerçants dans les tronçons où la construction de la nouvelle chaussée est achevée.
Cependant, les pertes ont été fatales pour peu de commerces, selon le directeur de la SDCseulement deux ou trois faillites
à cause des travaux.
Le taux d'inoccupation de la Plaza serait également peu touché. En ce moment, on a environ le même taux [d'inoccupation] qu’on avait avant les travaux. [...] Si on retire tous les immeubles qui sont en travaux, les immeubles qui sont à vendre, et ceux qui ne sont pas disponibles, notre taux d'inoccupation est de 10 %.
Le directeur de la SDC
exprime une préoccupation étrangère aux rénovations, soulevée par plusieurs des commerçants rencontrés : l'impôt municipal.Autant la Ville dit qu’elle n’est pas responsable, à chaque fois qu’il y a une augmentation de valeur d’immeuble, souvent, c’est une première cause des augmentations des loyers
, explique-t-il, soulignant que le système devrait être revu
.
Plus [il y a] d'immeubles [qui] se vendent plus cher, [plus] la Ville augmente les valeurs foncières, et ça met de la pression sur tout le monde
, résume M. Parente.
Nouvelle marquise, nouvelle Plaza?
Mike Parente rappelle que la rénovation de la Plaza a commencé à être élaborée en 2009, au moment où la SDC
a appris que le changement du système d’aqueduc était nécessaire tout le long de l’artère.On ne voulait pas se ramasser comme plusieurs autres rues de Montréal à cette époque [qui] ont refait la rue identique sans prendre en considération l’aménagement de surface. Alors, on a commencé à sonder clients, commerçants, partenaires, par rapport à tout ce qui est aménagement.
Au nombre des constatations : beaucoup de gens appréciaient la marquise – qui avait cependant besoin de beaucoup d’amour
et même d’une grande rénovation due à plusieurs problématiques
–, plusieurs souhaitaient que la vitesse soit réduite dans la rue et que les trottoirs soient plus larges.
Une première partie de la nouvelle marquise a fait son apparition sur la Plaza il y a quelques semaines. Plusieurs commerçants rencontrés ont exprimé une insatisfaction face au fait qu’il y ait un espace entre la marquise et leur immeuble.
À cet effet, M. Parente explique qu’il s’agit d’une décision de conception prise afin de faciliter l’entretien des immeubles. On ne restera pas avec des immeubles qui ont l’air de 1980 ou 1970.
Selon Paul Lewis, ancien professeur en urbanisme à l'Université de Montréal , la nouvelle marquise est plus légère et plus élégante que l'ancienne. Cependant, l'urbaniste n'aime pas le concept de marquise en tant que tel sur une rue commerciale, d'autant plus qu'elle cache une architecture souvent intéressante.
M. Lewis n'est toutefois pas certain que la solution passe par l'aménagement.
« Les gens ne vont pas revenir uniquement parce que les trottoirs sont plus larges, ils vont revenir parce qu'ils vont trouver des commerces qui répondent à leurs besoins. Les artères commerciales qui marchent en général sont celles qui sont en phase avec les gens qui habitent autour. »
De l'avis de Joe Achkar, propriétaire de la boutique HKR, la nouvelle marquise est mieux que l'ancienne et pourra sûrement amener plus de personnes sur la Plaza. Johnny Libertella et Hovig Baghdassarian sont aussi convaincus que le nouvel aménagement suscitera de la curiosité. Pour les gens, tout ce qui est neuf, c’est beau!
, lance ce dernier.
Mais la marquise n'est pas la seule nouveauté sur la Plaza : une nouvelle génération de commerces s’y est établie un peu avant le début, et même pendant les travaux de construction.
Selon le directeur de la SDC
, on assiste présentement à un changement de comportement de la part des clients, notamment en raison de la diminution des commerces de détail et des magasins à grande surface.On est en train de voir ces changements-là sur la rue avec l’arrivée de nouveaux types de commerces, tant dans l'alimentation, dans la restauration, dans les soins personnels, et aussi dans certains commerces de détail.
Selon lui, les clients d’aujourd’hui sont intéressés par les prix, mais aussi par l'expérience
.
Pour M. Lewis, on assiste aussi à l'arrivée d'une nouvelle population dans le quartier, qui compte beaucoup d'étudiants et de jeunes professionnels.
Le quartier s'est passablement transformé dans les dernières années. [...] Je trouve que la rue Saint-Hubert se transforme pour répondre aux besoins d'une clientèle plus diversifiée que celle d'auparavant.