Accès à l’aide médicale à mourir : « Des inégalités claires » en Ontario

Plusieurs experts estiment que les habitants de régions rurales disposent de très peu d'informations concernant l'aide médicale à mourir.
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Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Plus de 4500 Ontariens ont déjà reçu l’aide médicale à mourir depuis sa légalisation en 2016. Mais des médecins, experts et organismes déplorent les nombreuses barrières qui se posent toujours à l’accès au service, surtout dans les régions rurales et les petites communautés.
Une année après l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, la Dre Marjolaine Talbot-Lemaire de Hearst, dans le nord de l’Ontario, a décidé d’entreprendre les démarches nécessaires pour se qualifier à l’offrir.
Moi, c’est quelque chose que je jugeais très essentiel pour notre population, donc j’ai décidé de [suivre] des ateliers, de prendre les cours pour pouvoir l’offrir aux patients de Hearst
, indique-t-elle.
Trois ans plus tard, elle est toujours la seule médecin capable d’offrir l’aide médicale à mourir dans la municipalité de plus de 5000 habitants.
C’est certain que la base de devenir médecin, comme on dit, c’est do no harm (ne fais pas de mal), donc on est vraiment formé pour soigner les gens, promouvoir la vie et la longévité. Donc sur ces critères-là, il y a certains médecins qui ne se sentent pas confortables de donner l’aide médicale à mourir parce que ça va à l’encontre pas seulement de leurs croyances religieuses, mais [aussi] de leurs croyances médicales et de leur formation aussi
, souligne la Dre Talbot-Lemaire.
Mais seuls six patients ont eu recours à ses services depuis 2017 et elle ne sent pas que la demande surpasse les capacités à pouvoir offrir [l’aide médicale à mourir]
.
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Selon le bureau du coroner en chef de l’Ontario, 4521 Ontariens avaient eu accès à l’aide médicale à mourir en date du 31 janvier 2020.
En analysant les données par région, la Dre Andrea Frolic, directrice du département d’éthique clinique et organisationnelle et du programme d’aide médicale à mourir de Hamilton Health Sciences, dit voir des inégalités claires en termes d’accès au service
.
Les données montrent qu’il y a un bon accès dans certaines régions et moins dans d’autres, mais il est difficile, sans en savoir plus sur leur démographie, de savoir si ces défis d’accès [à l’aide médicale à mourir] reflètent les défis généraux d’accès aux services de santé
, fait-elle savoir.
Les travaux de recherche auxquels elle a déjà pris part lui permettent toutefois de conclure qu’il existe un grand manque de soutien aux médecins fournisseurs de l’aide médicale à mourir dans la province.
« La légalisation de l’aide médicale à mourir ne garantit en aucun cas un accès pratique à l’aide médicale à mourir. L’accès à l’aide médicale à mourir vient toujours à travers le corps, le coeur et l’esprit d’un fournisseur consentant et il y a des ressources et des structures de soutien inéquitables pour aider les fournisseurs qui décident d’offrir le service. »
Elle estime que la réticence à offrir l’aide médicale à mourir que continuent de démontrer plusieurs médecins est motivée notamment par le très grand niveau de risque
auquel ils s’exposent en choisissant de devenir des fournisseurs.
On s’expose à de potentielles sanctions professionnelles, un risque à sa réputation ou même au niveau social surtout dans les petites communautés, lorsque les gens découvrent qu’on offre l’aide médicale à mourir
, affirme la Dre Frolic.
Elle ajoute que dans les régions rurales et les petites communautés déjà confrontées à une pénurie de professionnels de la santé, les quelques-uns présents sont davantage réticents à se munir des qualifications nécessaires pour offrir l’aide médicale à mourir.
« Dans les régions rurales du pays, les gens dépendent principalement de leur médecin de famille, qui établit une longue relation dans le temps avec ses patients. Les médecins pourraient être moins enclins à devenir des fournisseurs de l’aide médicale à mourir en raison de l’impact émotionnel et psychologique que cela a sur eux. Dans les régions plus urbaines, où il y a plus d’anonymat, on retrouve un plus grand nombre de cas. »
Le manque d’information, une « grande barrière »
Pour Susan Desjardins, membre du conseil d’administration de l’organisme Mourir dans la dignité, qui plaide pour un meilleur accès à l’aide médicale à mourir, les habitants des régions rurales et éloignées du pays ont souvent moins d’accès mais aussi moins d’information
.
La Dre Marjolaine Talbot-Lemaire de Hearst corrobore ces propos.
Les patients ne savent pas quels sont leurs droits. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas que leur médecin ne peut pas leur refuser la consultation. Un médecin peut arriver et décider de ne pas être impliqué, mais ne peut pas refuser de référer le patient [vers un autre médecin]. une des plus grandes barrières, c’est le manque d’informations, de connaissances pour décider de ses soins en fin de vie
, déclare-t-elle.
La concertation entre les services, un élément-clé
Dans le nord de l’Ontario, le cas du district de Nipissing démontre certaines particularités.
La région compte 99 cas d’aide médicale à mourir entre 2016 et le 31 janvier 2020, un nombre de loin supérieur à celui recensé dans tous les autres districts de la région, même dans des régions comme le Grand Sudbury et le district de Thunder Bay où la population dans son ensemble est beaucoup plus élevée.
Le médecin de famille de North Bay, Paul Preston, qui est aussi prestataire de l’aide médicale à mourir, croit que ce résultat est attribuable en partie à la concertation de plusieurs partenaires en santé pour éduquer la population au sujet du service.
Mes collègues et moi-même avons, dès 2016, rapidement établi des procédures et des politiques à l’hôpital, dans le système des soins de santé de longue durée, dans les agences d’infirmières, avec les pharmacies. Nous entretenons une relation de confiance et on travaille ensemble dans le meilleur intérêt du patient
, avance-t-il.
Depuis la légalisation de l’aide médicale à mourir, le Bureau de l’ombudsman des patients de l’Ontario a déjà reçu 12 plaintes liées à l’accès à l’aide médicale à mourir.
Selon son porte-parole Jason Oliver, sept d’entre elles étaient liées à des enjeux d’accès tels que l’éligibilité, le manque de communication et la nécessité d’être transféré à un établissement médical différent pour avoir accès à l’aide médicale à mourir
.
Trois des plaintes dénonçaient le fait que le processus avançait trop rapidement
, une d’entre elles concernait la capacité d’avoir un aidant naturel présent
et la dernière portait sur une mauvaise communication
.