Dans les palais souterrains du métro de Moscou
La capitale russe voulait se doter du « plus beau métro du monde » et faire de chaque station un palais souterrain accessible au peuple. Avec 7 millions de passagers par jour, ce métro est l’un des plus fréquentés et des plus efficaces. Seul le métro de Londres le dépasse en taille, et le métro de Tokyo en nombre de voyageurs quotidiens.

La station Komsomolskaya, la plus photogénique de Moscou.
Photo : Radio-Canada / Myriam Fimbry
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Lydia Parfenova utilise le métro depuis son enfance et encore aujourd’hui, plusieurs fois par semaine, pour se rendre à l’Université linguistique de Moscou. Elle admire souvent les fresques, sculptures et mosaïques qui ornent les plafonds ou piliers, mais pense que la plupart des Moscovites n’y font plus attention.
Pour nous, c’est surtout le moyen de transport le plus commode et le moins cher, dit-elle. Avec la circulation, il nous permet d’atteindre notre but à l’heure, de ne pas être en retard.
Sa fille Véronique, 16 ans, fréquente un collège à Moscou. Quand j’utilise le métro, je ne regarde pas les décorations
, avoue-t-elle. Sa mère, Lydia Parfenova, l’interroge : Tu regardes le téléphone? Tu lis, tu dors? Qu’est-ce que tu fais dans le métro? – Euh, rien, je suis en retard tout le temps.
« C’est la maladie des Moscovites, nous sommes toujours en retard. C’est pourquoi le métro nous aide beaucoup. »
Un métro qui aide à ne pas être en retard? C’est le rêve. Pas de ralentissement de service
, d’interruption à durée indéterminée
ou de panne de train
. Dans le métro de Moscou, ces expressions bien connues des Montréalais ne font tout simplement pas partie du vocabulaire.
Lydia Parfenova n’a jamais entendu parler de panne dans le métro. J’ai jamais pensé même que le métro puisse être en panne! C’est quelque chose de stable. C’est fiable.
Pour 38 roubles le billet (moins d’un dollar canadien), les Moscovites ont accès à 12 lignes de métro, un réseau de 368 kilomètres. 7 millions de passagers l’empruntent chaque jour, un chiffre à mettre en relation avec la population de la métropole russe, 12 millions d’habitants.
Mais même à l’heure de pointe, les voyageurs ne sont pas vraiment entassés. Les rames passent toutes les 1 à 2 minutes. Ce qui laisse peu le temps de lire les messages ou les nouvelles du jour sur le quai!
Est-ce un musée des Beaux-Arts ou la salle de bal d’un palais princier? Ni l’un, ni l’autre. La station Komsomolskaya est l’une des plus grandioses du métro de Moscou. Elle illustre cette volonté politique stalinienne, dans les années 30, de faire des stations de métro de véritables palais souterrains
.
Le métro de Moscou n’était pas seulement un projet urbain, devenu indispensable pour décongestionner la ville. C’était un projet politique, social et culturel. Symbole de modernité, il devait faire la fierté du peuple soviétique et surpasser les métros des grandes capitales occidentales : Paris (1900), Londres (1863) et Berlin (1902) avaient déjà leur métro depuis plusieurs décennies.
L’espace, la lumière, l’utilisation du marbre, matériau noble, facile à nettoyer, sont autant d’emprunts au faste des palais aristocratiques, comme une revanche des prolétaires sur les possédants.
Voici ce qu’en disait en 1935 le chef du Parti communiste, Lazarre Kaganovitch, dans son discours lors de l’inauguration du métro : Autrefois, seuls les propriétaires, les riches utilisaient du marbre, maintenant le pouvoir est à nous, cet édifice est fait pour nous, ouvriers et paysans, ces colonnes de marbre sont les nôtres, soviétiques, socialistes!
À l’époque, le luxe et la modernité émerveillent les passagers. C’est la première fois qu’ils voient, par exemple, à Moscou des escaliers roulants. L’engouement populaire est tel à chaque ouverture d’une nouvelle station que les autorités placent des livres d’or à la disposition des usagers. Cette tradition se perpétuera jusqu’à l’éclatement de l’URSS.
« Quand on a inauguré le métro de Moscou en 1935, les mères obligeaient les enfants à laver leurs mains avant d’aller au métro, avant! Parce que c’était comme visiter des palais du futur. »
Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme à Londres, les stations les plus profondes ont servi d’abri à la population contre les bombardements nazis. Les trains ont pu héberger un demi-million de personnes. Plus de 200 bébés sont nés sous terre durant le conflit!
Scènes de guerre, révolutions de 1905 et 1917, le métro diffuse le passé héroïque national. Il rend hommage aux grands guerriers et généraux victorieux, défenseurs de la Patrie, aux héros morts au combat, ainsi qu’aux travailleurs de l’arrière, dans les usines ou les champs, qui ont participé à l’effort de guerre.
Art baroque, art déco ou réalisme soviétique, l’art de propagande met en scène une multitude de personnages, comme ici dans des médaillons et reliefs à l’antique, cernés de feuilles de laurier : matelots, aviateurs, fermiers, sportifs, ingénieurs, jeunes communistes, travailleurs au marteau…
Les meilleurs architectes et artistes, des dizaines de milliers de travailleurs, venus des campagnes, ainsi que des membres des Jeunesses communistes, ont participé à la construction du métro de Moscou. Ce chantier politique, social et culturel a mobilisé tout le pays.
Costumes folkloriques, musique, fleurs et drapeaux rouges rendent hommage à l’amitié entre les peuples. Cette immense fresque se trouve à la station Kievskaya, du nom de la ville de Kiev, capitale de l’Ukraine.
Une autre station, Bielorousskaya, célèbre aussi l’union indéfectible des peuples de l’URSS.
Chaque station est différente, dotée d’un design unique, mais avec un point commun : le plan typique du quai central à trois voûtes, séparées par des colonnes. Ça ne vous rappelle rien?
On dirait la nef d’une église et ses collatéraux. En effet, la structure des sites religieux a servi de source d’inspiration. Pourtant, le régime communiste s’employait à extirper l’opium du peuple
, en détruisant cathédrales, églises et monastères… ce qui était loin de faire l’unanimité dans la population.
Dans beaucoup de cas, quand les églises étaient, par exemple, au centre d’une place, on les détruisait pour y construire des entrées de métro
, explique la journaliste, philologue et historienne Tatiana Piregova. Mais on réutilisait les pierres des églises pour la construction du métro.
Chassez le religieux, il revient au galop. Ici, dans la station Novoslobodskaya, une grande mosaïque représente une femme soviétique tenant un enfant dans ses bras.
Évidemment c’est Jésus et la Vierge Marie
, dit Tatiana Piregova. Dans les mémoires des constructeurs du métro des années 30, on racontait que les femmes venaient baiser les pieds de cette dame sur la mosaïque du métro. Dans les années 30, la tradition religieuse était encore très très forte.
Autre détail, le bébé tenait à l’origine un portrait de Staline. Quand Staline est mort, ce portrait a été éliminé et on a mis une colombe blanche, le symbole de la paix.
Lors de la déstalinisation dans les années 50, toutes les effigies de Staline ont été effacées ou remplacées par des portraits de Lénine. Mais c’est plus drôle encore, rit Tatiana, parce que maintenant, on peut y voir la Vierge, l’enfant Jésus et l’Esprit saint (la colombe)!
Et voici les anges
du régime stalinien. Au plafond de la station Maïakovskaya, une enfilade de 34 coupoles bien éclairées abritent une série de mosaïques, avec pour thème commun, le ciel. L’œuvre du peintre Deïneka illustre 24 heures dans la vie du peuple soviétique
. Sur fond de cieux illuminés, puis étoilés, on y voit des sportifs, comme ici, des parachutistes, des trains passant sur des ponts, des dirigeables et escadrilles d’avions, ou des scènes de travail dans les champs.
Le concept décoratif, c’est que tu dois te sentir à l’aise dans le métro
, dit l’historienne Tatiana Piregova. Ça donne l’impression que tu voles.
Les architectes voulaient donner aux voyageurs une sensation d’espace pour éviter la claustrophobie associée aux métros des capitales occidentales. L’optimisme qui s’en dégage fait partie de l’art de propagande, en pleine période de crise, de répression et de grandes purges.
L’art du vitrail, typique de la tradition religieuse occidentale, caractérise la station Novoslobodskaya, un exemple unique dans le métro de Moscou. Les 32 vitraux, adaptés aux conditions souterraines par un éclairage dissimulé derrière les plaques de verre, mettent en valeur des motifs floraux à la manière d’une lanterne magique.
Malgré l’indifférence apparente, les Moscovites sont fiers de leur métro. C’est parfois la présence d’invités qui leur fait prendre conscience du joyau qu’ils ont sous les yeux. Lydia Parfenova y emmène ses amis ou sa famille de passage à Moscou à la première occasion. Il y a toujours quelque chose à regarder, à contempler.
Plusieurs stations ont remporté des prix internationaux. Ci-dessus, la station Maïakovskaya a remporté en 1939 la médaille d’or à l’Exposition internationale de New York.
Le reportage de Myriam Fimbry est diffusé dans l'émission Désautels le dimanche, à 10 h, à ICI Radio-Canada Première.