Oui, une grève illimitée des enseignants peut être évitée en Ontario

Des milliers d'enseignants en grève manifestent à Mississauga, en banlieue de Toronto, le 21 février.
Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Y a-t-il une lumière au bout du tunnel? Nous avons demandé à trois analystes de se prononcer sur la crise en éducation en Ontario, alors que les quatre syndicats d'enseignants de la province débrayent tous ensemble, vendredi, pour la première fois depuis 1997.
L'Association des enseignantes franco-ontariens (AEFO), la Fédération des enseignantes de l'élémentaire de l'Ontario (FEEO), la Fédération des enseignantes des écoles secondaires de l'Ontario (FEESO) et l'Association des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTA) disent faire front commun pour protester contre la lenteur des négociations contractuelles et les compressions du gouvernement de Doug Ford en éducation.
Plus de 2 millions d'élèves ontariens sont ainsi en congé forcé pour la journée.
Les principaux points en litige demeurent l'augmentation de la taille des classes et les hausses salariales, selon les syndicats et le gouvernement.
Nos trois analystes :
- Geneviève Tellier : politologue, professeure à l'Université d'Ottawa
- Tony Dean : sénateur et ancien sous-ministre ontarien du Travail, il a participé à des négociations avec les enseignants par le passé
- Louis Durand : professeur de gestion et spécialiste en relations industrielles à l'Université Laurentienne de Sudbury
1) Une grève provinciale d'un jour, était-ce la bonne stratégie?
Après trois mois de grève du zèle et de grèves tournantes sans grand progrès à la table de négociation, l'AEFO, la FEEO, la FEESO et l'OCTEA disent qu'ils n'avaient pas d'autre choix. Le ministre de l'Éducation, Stephen Lecce, affirme, au contraire, que les quatre syndicats avaient le choix de continuer à négocier.
Je voyais mal le gouvernement reculer pour l'instant,
affirme la politologue Geneviève Tellier. En d'autres mots, il était logique pour les syndicats de recourir à une grève provinciale, afin d'accentuer la pression sur la province.
Même si le ministre Lecce a l'air impassible à la télévision, il y a « beaucoup de pression publique et médiatique » sur lui actuellement, selon l'ancien sous-ministre Tony Dean.
2) Qui gagne la guerre présentement?
Les enseignants jouissent clairement de la sympathie du public actuellement
, soutient M. Dean. Il croit que la question de l'augmentation de la taille des classes est particulièrement impopulaire auprès des parents. C'est sans parler, dit-il, de l'insatisfaction du public en général à l'endroit du gouvernement Ford.
Mme Tellier pense que les syndicats ont adopté une bonne stratégie de relations publiques en martelant le message « facile à saisir » de la taille des classes.
Le professeur Louis Durand est d'accord. Il souligne que les appuis des enseignants sont beaucoup plus partagés lorsqu'on demande aux Ontariens si la province devrait accorder des augmentations de 2 % par année aux enseignants, plutôt que le 1 % prévu dans la loi provinciale pour les employés du secteur public.
3) Comment dénouer l'impasse?
Un embargo médiatique des parties serait le premier signe que des efforts sérieux sont déployés [pour conclure une entente]
, selon M. Dean. En d'autres mots, le ministre Lecce et les syndicats d'enseignants devraient cesser de se dénigrer mutuellement sur la place publique.
Il faudra aussi des compromis, ajoute le professeur Durand.
Ce qui pourrait créer une ouverture, c'est que le gouvernement recule sur la question de la taille des classes.
La professeure Tellier croit elle aussi que le gouvernement doit céder sur au moins une chose pour conclure une entente, que ce soit la taille des classes ou les cours en ligne obligatoires au secondaire.
Elle ajoute que la province pourrait reporter certaines coupes à une année ultérieure, comme le gouvernement l'avait fait pour les compressions dans le financement aux municipalités pour la santé publique et les services de garde.
4) Une grève générale illimitée est-elle inévitable?
Les trois analystes à qui nous avons parlé pensent qu'une grève générale illimitée peut être évitée.
C'est même « peu probable » qu'il y ait une grève illimitée, selon M. Dean.
[Les syndicats] n'ont pas besoin de recourir [à la grève illimitée].
M. Dean croit que les moyens de pression actuels des enseignants ont déjà un « impact significatif » sur les élèves et leurs parents, et donc sur le gouvernement.
Il ajoute que le gouvernement Ford pourrait se servir d'une grève illimitée comme « raison » pour adopter une loi spéciale de retour au travail, en citant le fait que de tels moyens de pression mettent l'année scolaire en péril.
Les enseignants risqueraient de perdre l'appui des parents en cas de débrayage prolongé et une loi spéciale les ramènerait au « même point » où ils sont actuellement, ajoute le professeur Durand.
5) Qui va céder le premier?
La politologue Geneviève Tellier pense que les enseignants ont l'avantage pour l'instant : une majorité de parents semblent être dans leur camp et il leur reste encore plusieurs mois pour exercer des moyens de pression avant la fin de l'année scolaire. Ils ont ce luxe-là
, dit-elle.
Le gouvernement, de son côté, doit déposer son budget en mars et « préfère que la question se règle plus vite que tard », selon Mme Tellier.
Elle ajoute qu'en cas de loi spéciale et de recours à l'arbitrage, le gouvernement sera « moins en contrôle », ce qui n'est pas à l'avantage des progressistes-conservateurs, qui cherchent à limiter les dépenses en éducation pour éliminer le déficit provincial.
Cela dit, la politologue pense que tout dépendra de l'opinion publique au cours des prochains jours et semaines.
Si les parents ne se plaignent pas plus contre les syndicats, ça pourrait embêter le gouvernement.
Au contraire, si les parents commencent à se lasser des grèves tournantes des enseignants, le gouvernement pourrait refuser de faire des compromis à la table de négociation et tenter de forcer les syndicats à déclencher une grève illimitée pour ensuite adopter une loi spéciale.
Le professeur Durand croit que les deux parties vont probablement continuer à jouer au « chat et à la souris » jusqu'à la fin mars.