Un premier refuge pour accueillir les survivantes de la prostitution au Québec

Le reportage d'Audrey Paris
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Sarah est une survivante de la prostitution. Elle s’est sortie de cet « isolement nocif et nocturne » il y a trois ans. Aujourd’hui, elle aide la Maison de Marthe à mettre sur pied le premier centre d’hébergement au Québec pour les femmes prostituées qui souhaitent suivre ses traces.
Dans les locaux de l’organisme de Québec, Sarah [nom fictif] participe à des échanges avec d’autres survivantes comme elle. Je suis ici pour me reconstruire en tant que femme, pour avoir vraiment confiance en moi, avoir vraiment l’estime, parce que ça a été piétiné.
C’est vers 2005 qu’elle a connu les services de la Maison de Marthe, fondée par l’anthropologue Rose Dufour. C'est comme ça que la Maison de Marthe m'a sauvé la vie, c'est en m'aidant à trouver un logement subventionné, explique-t-elle, c’est en me donnant l'espoir d'avoir un jour une vie meilleure, me sortir de l'isolement nocif, de l'isolement nocturne.
À l’automne 2021, l’organisme désire accompagner les femmes comme Sarah 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en leur offrant une chambre et un milieu de vie sécuritaire.
On a obtenu une subvention de 950 000 $ du ministère Femmes et Égalité des genres Canada
, annonce la directrice générale de la maison, Ginette Massé.
La maison offrira au moins six chambres dans son centre. Les autres femmes pourront continuer d’utiliser les services, dont la ligne d’écoute du week-end, et participer aux activités du lundi au vendredi.
On a formé un comité de survivantes. Elles viennent dire ce qui est bon ici et ce qu'on pourrait améliorer
, précise Mme Massé.
« On consulte les femmes régulièrement, elles peuvent devenir membres, et on a deux survivantes au conseil d'administration. »
Avec ce financement, Ginette Massé et ses six collègues souhaitent bonifier leur programme d’aide aux femmes en sortie de prostitution et créer un modèle basé sur l’accompagnement à long terme.
Pour l’organisme, ce nouveau projet signifie que le nombre d’employés pourrait doubler d’ici octobre 2021.

Ginette Massé et la perception des gens par rapport aux travailleuses du sexe
Il existe d'autres organismes d'aide pour les travailleuses du sexe au Québec comme la Concentration des luttes contre l'exploitation sexuelle à Montréal (CLES), qui donne des ateliers, des formations et qui offre des groupes de soutien. Il y a aussi le Projet L.U.N.E. à Québec, qui permet aux femmes de l'industrie du sexe de se trouver un toit, le temps d'une nuit, lorsqu'elles en ont besoin, ainsi que le Projet intervention prostitution Québec (PIPQ), qui propose de la protection, de la formation, des renseignements, et qui fait aussi de la prévention dans les écoles.
Un poids en moins sur les épaules
En offrant une chambre, un lit, un lieu sécuritaire à quelques femmes qui souhaitent abandonner l’industrie du sexe, la Maison de Marthe fait le pari qu’elles pourront mieux se concentrer sur leur bien-être.
Dans les recherches, c’est démontré que ces femmes ont besoin d'avoir des espaces multiservices
, souligne pour sa part Pascaline Lebrun, coordonnatrice du nouveau programme intitulé Avenue prometteuse. Si elles sont hébergées, c'est évident qu'on va pouvoir répondre à leurs besoins.
« Si elles se sentent en sécurité, elles auront la chance de penser à elles, pour en venir à se reconstruire. »
D’après l'organisme, les femmes du milieu de la prostitution qui visitent des refuges pour femmes violentées ou pour femmes vulnérables ressentent parfois un inconfort.
Notre approche est vraiment ciblée, c'est un accompagnement à petits pas, précise la directrice générale Ginette Massé, il faut qu'elles aient le désir de s'en sortir, mais nous n’avons pas de jugement, on sait qu’il y aura des allers et retours [dans l’industrie du sexe], l’important, c’est d’avoir la volonté de s’en sortir.
Les survivantes
La Maison de Marthe ne s’en cache pas : Nous, nous croyons qu’il faut anéantir la prostitution
, affirme Ginette Massé.
En entrevue avec la journaliste Alexandra Duval, Sarah n’a d'ailleurs pas hésité à se décrire comme une survivante, face à toutes les blessures qu'elle transporte.
Je suis une femme qui a basculé dans la prostitution. Je me considère comme une survivante. Je me considère comme une guerrière. Je suis une survivante de l’exploitation sexuelle, de la meute de loups
, confie-t-elle.
D’autres personnes de son entourage ne sont pas de cet avis. Ma mère a fait de la prostitution durant 30 ans, ajoute-t-elle, ma mère est pour ça, et moi, je ne suis pas pour ça, faque c’est ça, on ne s’entend pas sur ce sujet. J’ai l’impression d’être toute seule dans ma famille pour croire en ma cause.
À la Maison de Marthe, Sarah a trouvé un lieu pour être écoutée et accompagnée. Je suis pas mal fière de moi, c’est un miracle que je sois encore là. Oui, je suis fière de moi, de m’en être sortie.
Selon Pascaline Lebrun, cette étape d’acceptation du statut de survivante est très importante.
Elles se rendent compte dans quoi elles étaient prises
, explique-t-elle. Il y a des traumatismes qui restent qui sont terribles, avec lesquels elles doivent faire dans la vie de tous les jours. Nommer ça comme ça, ça peut être le début vers une guérison.
Mme Lebrun, qui a travaillé pendant de nombreuses années comme travailleuse sociale dans différents milieux, ajoute que le programme de la Maison de Marthe fera aussi le pont avec les femmes immigrantes et autochtones de l'industrie du sexe ou victimes de trafic humain.

Pascaline Lebrun sur le terme survivante de la prostitution
« C'est rapide de le faire [vendre son corps], mais c'est pas facile, et on reste marquées, je pense. »
Diplôme collégial de préposée aux bénéficiaires en poche, Sarah souhaite que sa nouvelle carrière lui permette d'aider son prochain.
Moi, je vais redonner tout ce que j'ai reçu. J'ai terminé mon secondaire, j'ai des problèmes de santé, mais je vais me relever, et aussi continuer mon nouveau parcours professionnel quand j’irai mieux
, assure-t-elle.
Avec la collaboration d'Alexandra Duval