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Gérer le surtourisme à l'ère des réseaux sociaux

Le surtourisme, c’est 1,5 milliard de voyageurs, bientôt 1,8. À ce rythme, le plaisir sera-t-il toujours au rendez-vous? Quelques pistes de solution.

Des centaines de touristes se promènent sur la place Saint-Marc, l'été.

La place Saint-Marc, à Venise, est un lieu incontournable pour les visiteurs de la Sérénissime.

Photo : Getty Images / MIGUEL MEDINA

Depuis quelques années, on parle de plus en plus du « surtourisme » qui touche certaines destinations dans le monde. Mais qu'entend-on par là exactement?

C'est probablement à partir du moment où l'expérience touristique des visiteurs, mais également celle des résidents, est dégradée parce qu’il y a trop de monde qu'on peut parler de surtourisme, explique Pascale Marcotte, professeure au Département de géographie de l'Université Laval. Quand les visiteurs, résume-t-elle, sont trop nombreux pour les ressources du site.

Imaginez que vous visitiez un site et que vous deviez faire la file pendant des heures pour entrer ou que vous ne puissiez pas prendre de photos, car l'endroit est plein à craquer, illustre pour sa part Bernadett Papp, chercheuse à l'European Tourism Futures Institute, aux Pays-Bas.

Afin de cartographier le phénomène, des chercheurs européens ont dressé une liste d’une centaine de sites, un peu partout dans le monde, où l’affluence de touristes est telle qu’elle constitue un danger pour la préservation de l’environnement naturel et culturel.

Parmi les critères retenus pour inclure un site sur la liste, on trouve l’intensité et la densité touristiques, la proximité d’un aéroport ou d’un port accueillant des bateaux de croisière, l’intensité et la croissance du transport aérien, la proportion du tourisme dans le PIB et la proximité d’un lieu faisant partie du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les villes européennes sont les plus touchées par le phénomène. On a souvent entendu parler des cas de Barcelone et Venise, notamment, parce que leurs résidents manifestent bruyamment leur ras-le-bol.

Mais elles ne sont pas les seules à souffrir de cette affluence. En réalité, les destinations les plus vulnérables sont plutôt les régions côtières moins densément peuplées, les îles et les sites de patrimoine rural, soutiennent les chercheurs, parce que leurs écosystèmes sont fragiles et qu’ils ne sont pas équipés pour faire face à l’afflux de visiteurs.

Face à la dégradation des sites, les gouvernements agissent parfois en fermant carrément l’accès, comme on a pu le voir récemment en Thaïlande et aux Philippines, où des îles ont été interdites aux touristes pour donner aux fonds marins et aux récifs coralliens la possibilité de se régénérer.

Dans les années à venir, un nombre croissant de sites devront faire face à cette situation. Le nombre de touristes dans le monde ne cesse d’augmenter et l’Organisation mondiale du tourisme prévoit que la hausse va se poursuivre au cours des prochaines années jusqu'à atteindre 1,8 milliard de personnes en 2030.

Qu’est-ce qui explique cette augmentation?

On est dans une société de mobilité, donc tout le monde se déplace davantage, souligne Pascale Marcotte, de l'Université Laval. De plus, les vacances, aujourd'hui, sont extrêmement valorisées. Ça fait partie de nos modes de vie.

Et l’avion est devenu un moyen de transport que l’on utilise de plus en plus. En 2018, plus de la moitié des touristes qui ont franchi des frontières internationales l’ont fait par voie aérienne, selon les données de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

Cela est dû en bonne partie à l’essor des compagnies aériennes à rabais, dont le volume de trafic a très fortement augmenté. Elles captent aujourd'hui environ le tiers du trafic mondial de passagers.

Ainsi, grâce à la compagnie islandaise à bas prix Wow Air, aller en Islande est devenu à la mode, raconte Mme Marcotte. Avec Wow Air, qui a maintenant fermé, on pouvait aller pour 500 $ à cette destination qui auparavant apparaissait inaccessible. Que ce soit à cause du prix ou même de la desserte aérienne, c'était compliqué de s'y rendre.

Quand il y a eu une desserte à ce prix-là, il y a eu plein de visiteurs qui se sont élancés vers Reykjavik, avec des conséquences assez dramatiques pour l’île.

Une citation de Pascale Marcotte, professeure au Département de géographie de l'Université Laval

Un nombre croissant de villes sont désormais interconnectées, c’est-à-dire qu’il y a des vols directs entre les deux, ce qui en facilite l’accès aux touristes. Depuis 20 ans, le nombre de liaisons entre deux villes a doublé, passant de moins de 10 000 en 1996 à plus de 23 000 en 2020.

Un bateau de croisière dans la lagune de la cité des Doges.

Des habitants de Venise ont réclamé l'interdiction des bateaux de croisière après l'accident d'un de ces énormes paquebots en juin 2019.

Photo : Getty Images / MIGUEL MEDINA

En plus de l’impact des voyageurs aériens, il y a celui des touristes arrivant à bord de bateaux de croisière. Ce nombre-là aussi est en augmentation et constitue un irritant majeur pour les résidents des villes concernées.

Un accident impliquant un bateau de croisière, à Venise, a d’ailleurs fait la manchette l’été dernier et attisé la colère des opposants à ces grands navires qui, disent-ils, dénaturent leur ville.

Les bateaux sont de plus en plus gros, ce qui signifie que de plus grands groupes de touristes débarquent en même temps pour visiter des sites touristiques déjà très achalandés.

L’association internationale de l’industrie de la croisière (CLIA) prévoit qu’il y aura 32 millions de passagers sur les bateaux de croisière en 2020.

Les médias sociaux jouent aussi un rôle dans la création de modes qui incitent les visiteurs à explorer certains endroits dans le but exclusif de pouvoir publier des images de leurs exploits ou de prendre des égoportraits.

À cela s’ajoutent les différents palmarès des endroits incontournables à aller visiter.

Cet effet de liste joue aussi quand on choisit une destination, soutient Pascale Marcotte. Ça contribue énormément à la concentration touristique. Et l'effet de concentration est un des éléments principaux qui donne cette impression de surtourisme.

Résultat : des sites dégradés et des résidents exaspérés.

Comment gérer la situation?

Des hordes de touristes sur une plage paradisiaque.

La plage de la baie Maya, sur l'île de Koh Phi Phi, en Thaïlande, a été rendue célèbre par le film « The Beach », avec Leonardo di Caprio.

Photo : Getty Images / AFP/Lillian Suwanrumpha

Il y a beaucoup d'actions possibles, mais il n'y a pas de solution toute faite, souligne Bernadett Papp. Que ce soit pour un lieu touristique ou pour une ville entière, il faut examiner ces stratégies et identifier celle qui convient le mieux.

La situation est complexe à cause du grand nombre d’acteurs impliqués, explique la chercheuse. Vous avez les visiteurs, les résidents, le secteur public, les décideurs et le secteur privé, soit les entreprises et les organisations. Les priorités de chacun étant divergentes, il n’est pas simple d'harmoniser les différents besoins et désirs.

Des visiteurs se pressent sur le site de la forteresse inca.

Pour visiter le Machu Picchu, au Pérou, il faut acheter son billet plusieurs semaines à l’avance et sélectionner un créneau horaire précis. Le temps de présence sur le site est restreint, tout comme le nombre de visiteurs admis chaque jour.

Photo : Getty Images / PABLO PORCIUNCULA BRUNE

Certains sites touristiques choisissent de mettre en place des quotas, donc de limiter le nombre de visiteurs qui peuvent fréquenter le lieu.

Dans le cas des municipalités, les réponses sont plus complexes. Amsterdam, par exemple, qui a vécu une forte croissance du tourisme au cours des dernières années, tente d’attirer les visiteurs hors du centre-ville, dans des secteurs moins achalandés, et a étendu, pour ce faire, le rayon couvert par la carte de transport en commun.

Cette stratégie étant plutôt récente, on n’a pas encore de résultats pour savoir jusqu'à quel point elle fonctionne.

Le problème se pose surtout dans les villes qui ont un centre historique très dense, affirme Andrew Weir, de Tourisme Toronto (Toronto Convention and Visitors Association), une ville où le tourisme est en très forte croissance.

La foule marche dans la rue qui part de la gare centrale, visible au fond.

Près de 18 millions de touristes étrangers visitent Amsterdam annuellement, un nombre en constante augmentation.

Photo : Getty Images / ROBIN UTRECHT

Dans toutes ces villes plus anciennes, les voyageurs sont attirés dans un très petit point focal, ce qui provoque beaucoup de tension chez les résidents ou les personnes qui travaillent dans cette zone, affirme M. Weir. Dans une ville où la fréquentation touristique est mieux répartie, avec le même nombre de visiteurs, la sensation qu’on a est très différente.

Les destinations en demande n’auront pas le choix de s’adapter à la nouvelle donne, affirme Andrew Weir. Dans la Ville-Reine, on vise notamment à élargir la saison touristique, afin d’attirer des visiteurs pendant la saison froide.

Nous mettons beaucoup d'énergie dans la promotion des activités hivernales. Cela fait partie de la gestion de cette courbe de demande qui est à l'origine du surtourisme. Toute destination doit planifier une croissance durable.

Une citation de Andrew Weir, de Tourisme Toronto.

Une des solutions serait donc de désaisonnaliser la demande. Mais il y a aussi le « démarketing », explique Pascale Marcotte. On utilise les mêmes outils que le marketing pour renverser la vapeur, c’est-à-dire, augmenter le prix pour réduire la demande, que ce soit de façon saisonnière ou permanente, et faire de la communication pour l’expliquer aux visiteurs.

On peut, par exemple, les contraindre à prendre un guide pour visiter une église. À ce moment-là, les gens sont obligés de payer, mais également d’y consacrer plus de temps. Donc ça ne sera pas de rentrer puis de ressortir aussi vite et d'en faire une consommation rapide.

Il faut aussi changer nos critères de performance, affirme la chercheuse. Les villes ne doivent plus miser simplement sur la croissance infinie du nombre de touristes, mais plutôt sur le temps qu’ils passent dans la destination.

Ça ne peut pas être juste : on passe, on descend de l'autobus, on prend une photo, on remonte et on refait la même chose 200 kilomètres plus loin.

Une citation de Pascale Marcotte, professeure au Département de géographie de l'Université Laval.

Reste qu'il faudrait, pour influer sur le surtourisme, bien mesurer le phénomène, estime Bernadett Papp. Si l’on veut planifier une croissance durable, les données sont primordiales, soutient la chercheuse.

Or, elles sont encore trop souvent indisponibles ou fragmentaires. Une première étape pour s'attaquer au problème serait donc de créer des bases de données solides qui permettront de prendre des décisions en toute connaissance de cause.

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