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Doit-on craindre les écrans?

Des milliers d’études ont été consacrées à la surexposition des enfants aux écrans. Sont-elles fiables? Que doit-on en retenir, et devons-nous nous en inquiéter?

Un enfant tient une tablette dans ses mains

Les jeunes de tous les âges passent beaucoup d’heures par jour les yeux rivés aux écrans.

Photo : iStock

Bien loin est l'époque où la télévision était le seul écran dans la maison. Dans la dernière décennie seulement, les écrans se sont multipliés et ont investi tous nos espaces de vie.

Les jeunes de tous les âges passent maintenant plusieurs heures par jour les yeux rivés aux écrans de leur téléphone et de leur tablette à consulter les médias sociaux, du contenu vidéo en ligne, ou encore à jouer à des jeux.

Repères

  • Seulement 15 % des enfants d’âge préscolaire respecteraient les normes actuelles qui recommandent de limiter le temps d’écran à moins d’une heure par jour. (Société canadienne de pédiatrie)
  • Pas moins de 80 % des enfants de 2 ans et 95 % des enfants de 3 ans passent plus de 7 heures par semaine devant des écrans. (JAMA Pediatrics/Université de Calgary)
  • Les adolescents de 13 à 18 ans passent près de 9 heures par jour devant les écrans, soit environ 3285 heures par année. (Common Sense Media)
Quatre adolescents regardent un film en mangeant du pop-corn.

Dans les années 70 et 80, la télévision était considérée comme l’ennemi public #1 de l’activité physique des jeunes et principal allié de la sédentarité.

Photo : iStock

Des scientifiques de partout dans le monde tentent de mieux cerner les risques de la surexposition aux écrans des jeunes sur leur santé psychologique, cognitive et physique.

Pas moins de 11 450 études ont été réalisées sur le sujet depuis les années 1970. Et il y en a de plus en plus, explique Thierry Karsenti, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication.

Et quantité ne rime pas toujours qualité. Plusieurs études présentent des errances méthodologiques, note le Pr Karsenti.

C’est le cas de celles où des informations importantes ne sont pas fournies, comme le niveau socio-économique des familles, qui peut jouer un rôle dans des problèmes de santé qui sont associés aux écrans.

Une citation de Thierry Karsenti

La seule autre option pour les chercheurs est de tenter d’établir des corrélations, des associations entre deux variables. Une approche peu prisée par le Pr Karsenti qui juge qu’on arrive souvent alors à des conclusions trop hâtivement.

Est-ce qu’aller sur les réseaux sociaux rend automatiquement plus dépressif? L’existence d’un lien entre deux variables ne signifie aucunement que l’une cause l’autre.

Une citation de Thierry Karsenti

Des habitudes qui peuvent vous nuire plus tard

Des études exhaustives peuvent quand même mener à des associations intéressantes, comme celle réalisée par Linda Pagani, professeure à l’École de psychoéducation et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine de l’Université de Montréal.

La Pre Pagani et ses collègues ont basé leurs travaux sur l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ) qui a suivi une cohorte de 2000 participants de la petite enfance à l’adolescence.

Le recours à l'ELDEQ et la méthodologie rigoureuse des chercheurs donnent du poids aux associations qu'ils ont montrées, même s'il reste impossible d'établir de lien de cause à effet.

L’équipe a ainsi pu compter sur une foule de données sur leur vie prénatale et leur développement au préscolaire, aux niveaux primaire et secondaire, et a pu contrôler certains facteurs.

Les parents, les professeurs, les éducateurs, et les participants eux-mêmes ont répondu à des questionnaires à différents moments de l’étude, lorsqu’ils avaient 2, 5, 10 et 12-13 ans.

Leurs résultats montrent une association entre la surexposition à un écran durant la petite enfance et la survenue de certains problèmes à l’adolescence, tels qu’une mauvaise condition physique (indice de masse corporelle élevé et manque d’exercice); une moins bonne motricité (globale et fine), et de mauvaises habitudes alimentaires (trop de sucre).

Il y a aussi des risques académiques clairs, surtout pour les mathématiques, affirme la Pr Pagani. De plus, à 13 ans, les enfants affirment qu'ils se sentent plus isolés, plus déprimés, plus agressifs.

Les habitudes d'écrans prises en petite enfance mènent à une certaine façon de vivre plus tard.

Une citation de Linda Pagani
Un enfant la tête dans les mains, assis par terre près de son sac d'école.

Trop d'heures d'écran nuiraient au développement social des enfants.

Photo : iStock

L’équipe de l’Université de Montréal a aussi établi une association entre les habitudes d'écran et le risque d’être victime d’intimidation. La raison? Le manque d'expérience sociale des jeunes qui passent trop de temps devant leurs écrans.

Si on n’a pas eu toutes les expériences sociales nécessaires lorsqu’on était jeune, c’est possible qu’au gré du temps, on soit moins adéquat sur le plan social. Et les jeunes détectent facilement ceux qui sont moins adéquats sur le plan social.

Une citation de Linda Pagani

Des conséquences sur la vision

Les écrans sont composés de diodes électroluminescentes (DEL). Des recherches, dont certaines québécoises, associent l’usage de ces écrans à la myopie, à la perturbation du sommeil, et à une toxicité de la lumière HEV (bleue) pour les yeux.

La lumière bleue est toxique seulement si elle trouve une molécule qui va l'absorber dans la rétine, explique le Dr Patrick Rochette, professeur à l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec.

Au départ, dans notre conception, il n’y avait qu’une seule molécule [la lipofuscine] qui pouvait absorber la lumière bleue. Nos travaux menés depuis trois ans ont montré une autre réalité.

Une citation de Patrick Rochette

L’équipe du Dr Rochette a donc constaté qu’il existe des polluants présents dans l’air qui peuvent s’accumuler dans la rétine, comme les benzopyrènes retrouvés dans la fumée de cigarette et la combustion organique.

Leurs résultats montrent que ces composés augmentent la toxicité de la lumière bleue par un facteur de 3000 fois.

En d’autres mots, les yeux d'enfants vivant dans un environnement fumeur ou pollué sont beaucoup plus sensibles à la lumière bleue.

Écrans diaboliques

Le professeur Karsenti estime que les écrans ont tendance à être diabolisés dans la littérature scientifique. Selon lui, les études ne rapportent que l'effet négatif des écrans dans plus de 97 % des cas.

Pourquoi ne pas étudier, également, les effets positifs des écrans sur les jeunes?

Une citation de Thierry Karsenti

Le chercheur s’étonne aussi de la quantité d’études consacrées aux écrans qui ne prennent pas en considération ce que font les jeunes en ligne. Il juge cette variable essentielle au débat actuel.

On ne peut pas faire des études sur les écrans sans regarder ce que les jeunes font à l'écran.

Est-ce que passer deux heures à jouer à Fortnite aura le même impact que de lire Candide de Voltaire sur sa tablette?

Une citation de Thierry Karsenti

Prudence recommandée

Devant le nombre d’études, et leurs résultats parfois contradictoires, il n’est pas facile pour les parents de s'y retrouver.

La professeure Linda Pagani invite les parents à consulter des lignes directrices des associations pédiatriques pour établir les règles avec leurs enfants. Elle invite les parents à éviter les écrans avant l’âge de deux ans.

La petite enfance devrait être consacrée à la lecture, aux jeux, et aux interactions sociales. Ils n'ont pas besoin d'écran du tout!

Une citation de Linda Pagani

Pour les enfants de deux à cinq ans, une heure par jour de temps loisirs serait adéquat.

Tant que ces contenus sont compatibles avec leurs âges, ajoute-t-elle. Pour les enfants de cinq ans et plus, le temps de loisirs devant un écran (incluant la télévision) ne devrait pas dépasser plus de deux heures.

Une partie de la tâche des parents est de leur enseigner les lignes directrices.

Une citation de Linda Pagani

Les experts de la vision invitent aussi les parents à éviter le plus possible d’exposer les enfants aux écrans avant l’âge de 2 ans. Des expositions ponctuelles, pour communiquer avec des parents ou grands-parents, sont quand même possibles sous la supervision d’un adulte.

Ils invitent à utiliser des filtres bloquant la lumière HEV sur les appareils électroniques.

Le Dr Patrick Rochette estime qu’il faut diminuer le plus possible l’exposition à la lumière chez les enfants exposés à la fumée de cigarette et vivant dans les environnements très pollués.

Pour sa part, Thierry Karsenti privilégie aussi une vigilance raisonnée ou une éducation préventive.

Il y a des ados qui dorment avec des écouteurs, et qui entendent des alertes toute la nuit. Évidemment que ce n’est pas bon! Mais ce n’est pas parce que tu donnes un cellulaire à un ado qu'il va se mettre à dormir avec.

Une citation de Thierry Karsenti
Un adolescent consulte son téléphone dans son lit.

Les adolescents passent près de 9 heures par jour devant les écrans.

Photo : iStock

Il faut des règles dans la maison. Je pense qu'il faut des repas en famille, des moments sans cellulaires dans la vie. Il y a toute une nuance entre donner des balises, et de mettre des règles comme réduire le temps à 15 minutes par jour, estime le Pr Karsenti.

Les jeunes passent 9 heures par jour en moyenne devant un écran. On sait que c'est immense. C'est beaucoup. […] Est-ce que c'est réaliste d’affirmer qu'il faudrait 15 minutes par jour?

Une citation de Thierry Karsenti

Ce sont des recommandations prématurées, Je parle de recommandations d'autruche. Qu'on arrête de faire des recommandations à la va-vite comme ça, de 10, 15 et 30 minutes par jour, affirme le chercheur.

Le Pr Karsenti ajoute qu’il faut rester vigilant sur la durée d’exposition, mais qu’il faut surtout savoir ce que regardent les jeunes.

Il y a beaucoup d'applications, l'une d’elles s'appelle ScreenGuide. Il y a beaucoup de parents qui l'utilisent. Elle permet de gérer le temps d'accès sans faire la police à temps plein.

Une citation de Thierry Karsenti

Insistez pour qu'ils [les jeunes] utilisent aussi leurs téléphones à des fins éducatives. Soyez au courant de ce qu'ils font. Il y a des parents qui n’ont aucune idée de ce que leurs enfants font en ligne, conclut le Pr Karsenti.

Le gouvernement du Québec tient à Québec lundi une consultation d’experts sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes.

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