La grande réussite du carnaval de 1894

En 1894, le palais de glace était construit sur les fortifications.
Photo : Palais de glace, 1894 - Bibliothèque et archives nationales du Québec / BAnQ
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le Carnaval de Québec de 1894, considéré comme le premier de l’histoire de la capitale, est une incontestable réussite. Tellement que, 126 ans plus tard, il se pourrait qu’il y ait plusieurs leçons à en tirer.
Québec attend 10 ans avant de se lancer dans l’aventure d’un carnaval d'hiver, après une tentative plutôt improvisée en 1883. La récente ouverture du Château Frontenac et celles de plusieurs hôtels lui permettent désormais de viser le circuit des événements internationaux. Et oubliez le palais du cône de la chute Montmorency : cette fois, c’est sur les fortifications, en plein centre-ville, qu’on décide de construire un fort impressionnant, bâti avec la glace du fleuve.
Des feux d'artifice portables à l'assaut du château
Québec reprend pour l’occasion la « prise du palais », l’une des idées les plus porteuses des carnavals de Montréal. Le grand soir arrivé, autour du château illuminé, une armée de raquetteurs simule un assaut dans une bataille soigneusement chorégraphiée.
À la défense, l’armée tient son propre rôle, postée sur un échafaudage. On a fourni aux raquetteurs assez de feux d’artifice portables - du type chandelles romaines - pour tenir une demi-heure. Lors de l’assaut, ils vont littéralement embraser le ciel - et le cœur des spectateurs.

Une rare photo prise le soir de l'assaut du palais donne une idée de l'ampleur et du côté inusité du feu d'artifice, alors que de multiples pétards partent tout près de la foule.
Photo : Fonds Philippe Gingras, 1894, BAnQ
En 2020, l'entreprise semblerait étonnamment risquée, mais les témoignages du temps s’accordent sur l’aspect emballant du spectacle.
L’expérience se répète au carnaval suivant, avec une superbe tour comme décor. Mais cette tradition du 19e siècle est complètement abandonnée quand le carnaval reprend du service dans sa version moderne, en 1955.
Un carnaval pour toute la ville
Ce grand carnaval de 1894 n’est pas circonscrit à une zone en particulier, puisqu'il s’étend sur toute la ville. Les journaux décrivent des rues bordées de sapins et couvertes de fanions.
Des douzaines d’arches de bois, hautes de plusieurs mètres et couvertes de sapinage, attirent les curieux sur les grandes artères, provoquant même un embouteillage, rue de la Couronne. Les sculptures de neige et de glace se comptent par centaines.

Une arche de bois couverte de sapinages sur la rue Saint-Jean. Ces arches sont très populaires dans les carnavals québécois au 19e siècle.
Photo : Fonds Philippe Gingras, 1894, BAnQ
L’ambiance est bon enfant. Des étudiants forment des chorales et se promènent de place en place. Des cortèges de raquetteurs, en costume, arpentent les rues, à la grande joie des passants. Même les invités de prestige se mêlent à la foule. Le soir du défilé, le gouverneur général et toute sa famille sont embarqués dans le char allégorique des raquetteurs de Lévis, une sensationnelle locomotive métallisée de 8 mètres de long.
Le ton avait été donné dès l’ouverture, alors que tous les organisateurs, le maire en tête, avaient fait le tour des principales places de la ville pour souhaiter bon carnaval à la foule.

Le char des raquetteurs de Lévis en forme de locomotive passe pour le plus spectaculaire lors du défilé lors du carnaval de 1894.
Photo : BAnQ
Une grande implication des commerçants
L’élan donné à ces fêtes vient en grande partie de l’implication massive des commerçants. Ils rivalisent d’imagination pour mettre leurs façades en valeur. Sur la côte de la Fabrique, celle du photographe Livernois provoque des attroupements. L’ensemble de la rue Saint-Joseph, l’artère marchande la plus active de Québec, est un spectacle en soi.
Expositions de fourrure, vitrines princières, décorations illuminées font la joie des badauds. Les produits de l’érable proposés par les sucreries disséminées dans la ville ont un succès fou. Et les visiteurs ne manquent pas de s’extasier devant le village indien monté derrière le palais, place de l’Esplanade, ou la hutte des Esquimaux
, installée sur l’actuelle place d’Youville.

Les marchands sont nombreux à décorer leurs vitrines ou élever des décorations de glace devant leurs commerces, comme ici devant le magasin Renfrew, célèbre pour ses fourrures.
Photo : Fonds J.E Livernois, 1894, BAnQ
Un programme gratuit... et déjà une effigie
Surprise! L’idée d’un macaron pour financer l’événement n’est pas nouvelle! Le 19 janvier 1894, on annonce la mise en vente des insignes de cochers
pour la semaine du Carnaval. Ce ruban rouge, portant le fac-similé du palais de glace, est mis en vente à 1 $ la pièce. On en parle comme d’une contribution pour le fonds du comité. Les étrangers comme les citoyens sont invités à encourager ceux qui le porteront. On les vend au bureau du Carnaval, situé à l’emplacement actuel de l’Hôtel du Vieux-Québec sur la rue Saint-Jean. De plus, 12 000 programmes sont distribués gratuitement.

Le programme du Carnaval de Québec de 1894 indique clairement les dates de l'événement et fait la promotion de la ville et de son château.
Photo : BAnQ
Un symbole de réussite pour l'avenir
Ce premier carnaval international à Québec est unanimement salué comme une grande réussite, et fait parler de lui jusque dans le Sun de New York. Après une autre édition tout aussi enlevante en 1896, il faudra attendre plus d’un demi-siècle avant de le voir reprendre du service avec une programmation digne de ce nom, et devenir l’un des plus importants carnavals d’hiver au monde.
Le 3 février 1894, au moment du bilan, un journaliste de L’Électeur parle d'un triomphe pour la population, et il a ces mots curieusement prophétiques :
Les bombes et la canonnade d’hier soir ont tué le vieux préjugé courant dit : “À Québec, on ne peut rien faire de bien!” Nos citoyens n’ont plus qu’à persister dans cette voie, et un brillant avenir appartient à notre chère vieille ville.