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Le logement social pour Autochtones, un remède contre la discrimination à Val-d’Or

Rolande Thompson.

Rolande Thompson, résidente de Kijate.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Trouver un logement à prix abordable, c’est compliqué pour tout le monde. Mais pour les Autochtones qui vivent en milieu urbain, c’est encore plus difficile. À Val-d’Or, où sévit une crise du logement généralisée, les membres des Premières Nations doivent en plus affronter les préjugés. Une initiative du Centre d’amitié autochtone, l’immeuble Kijate, leur permet d’avoir un milieu de vie adéquat.

Le lieu est baigné de lumière. Le jour, je n’ai pas besoin d’allumer, dit Rolande Thompson, qui nous montre fièrement son appartement de quatre pièces qu’elle habite avec sa fille de neuf ans dans Kijate, un immeuble qui, depuis mars 2018, offre 24 logements sociaux à une centaine de personnes autochtones à Val-d’Or.

Ça tombe bien : Kijate, en anichinabé, signifie plein de soleil.

Ça, c’est la chambre de ma fille. Quand ce n’est pas trop le bordel, c’est une belle chambre!, dit-elle en riant.

Plus qu’un immeuble, un milieu de vie

Au rez-de-chaussée de l’immeuble, tout à côté de l’entrée, se trouve le bureau de Mélanie Bowen, intervenante sociale et coordonnatrice de Kijate. Elle distribue des rouleaux aux fruits aux enfants qui rentrent de l’école.

J’en veux deux!, lui lance un jeune gourmand.

Mélanie Bowen dans son bureau.

Mélanie Bowen, coordonnatrice de Kijate.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Kijate, c’est en fait beaucoup plus que du logement à prix modique. C’est aussi un milieu de vie qui tient compte de l’importance accordée par les Autochtones à la vie communautaire et à la transmission de leur culture.

L’esprit communautaire joue beaucoup, raconte Mélanie Bowen. Il y a de l’entraide, un esprit de famille.

Il y a un intervenant sur place, une aire de jeux et une fois ou deux par semaine, des cours de tambour sont offerts aux enfants.

« On est en train de développer un milieu de vie pour les jeunes pour qu’ils soient fiers et se sentent bien ici. »

— Une citation de  Mélanie Bowen, coordonnatrice de Kijate.

Justement, ce soir-là, c’est cours de tambour et de chant traditionnel, un moment que ne raterait pour rien au monde la jeune Dorina Papatie, 9 ans. Ma passion, c’est la musique parce qu’en même temps on peut communiquer.

« Parce qu’à chaque fois qu’on chante fort, ça veut dire peut-être qu’on est en colère ou qu’on est fiers. »

— Une citation de  Dorina Papatie, 9 ans.
Un enfant tient un tambour.

Le cours de tambour pour les enfants à Kijate.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Faire face à la discrimination dans la recherche de logement

Mais pour les Autochtones adultes, ce n’est pas toujours facile d’être fiers, en particulier quand on se cherche un logement, raconte la coordonnatrice de Kijate, Mélanie Bowen.

En étant Autochtone en milieu urbain, on est souvent confronté à la discrimination ou à des logements insalubres. C’est dur aussi d’avoir un loyer à bon prix parce qu’à Val-d’Or, le boom minier fait que les loyers sont vraiment chers pour tout le monde.

Dans ce contexte, il n’est pas rare que les propriétaires refusent de louer à des Autochtones.

« Quand un Autochtone s’affiche, souvent, il n’a pas de réponse. S’il se présente directement au propriétaire, il se fait dire que c’est loué. »

— Une citation de  La coordonnatrice de Kijate, Mélanie Bowen

Mélanie Bowen en a fait elle-même l’expérience. Parce qu’elle était indienne, on lui a refusé une location, même si elle avait un bon salaire et une situation stable.

Et il faudra encore du temps pour que les mentalités changent, dit-elle : On n’est pas sortis du bois. Moi, je suis la deuxième génération en ville et on est encore confrontés à ça. Mais je refuse d’être découragée, je suis une fille d’espoir.

Val-d’Or veut faire sa part

Le boom minier a entraîné une crise généralisée du logement à Val-d’Or. Difficile donc pour quiconque de se trouver un toit. Mais les Autochtones, eux, doivent en plus affronter les préjugés de nombreux propriétaires.

À la ville de Val-d’Or, on reconnaît que cette discrimination existe. On y a d’ailleurs mis sur pied un comité de lutte contre le racisme et la discrimination, dont Paul-Antoine Martel est le coordonnateur.

Ils sont les plus vulnérables, donc quand il y a une crise du logement, ils sont les premiers à être touchés, dit-il, en parlant des Autochtones.

La Ville a donc organisé des groupes de discussion, desquels il est ressorti que les propriétaires craignent la propension des Autochtones à vivre en groupe. Ils ont un très grand sens de la famille et peu de logements sont grands. Des généralisations se font de la part de propriétaires qui ont entendu des histoires d’horreur impliquant des Autochtones et ils ne font pas toujours la part des choses.

« Parce qu’il n’y a pas beaucoup de logements à louer, les propriétaires se permettent d’être très sélectifs. »

— Une citation de  Paul-Antoine Martel, coordonnateur du comité de lutte contre le racisme et la discrimination de Val-d'Or

Résultat : les Autochtones se retrouvent souvent avec les appartements les moins adéquats, les plus insalubres.

D’ailleurs, à l’automne dernier, la rapporteure spéciale de l’ONU dénonçait les conditions « abominables » de logement des Autochtones autant dans les réserves que hors de ces dernières.

En 2017, le gouvernement Trudeau avait pourtant rendu publique sa stratégie nationale sur le logement, promettant du même coup une politique spécifique pour les Autochtones. On l’attend toujours…

Au Québec, un Autochtone sur deux vit en ville

Cette discrimination contre les Autochtones en milieu urbain pose d’autant plus problème qu’ils sont de plus en plus nombreux au Québec à choisir de vivre en ville, comme l’explique Édith Cloutier, du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or.

Édith Cloutier.

Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d‘Or.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Au Québec, c’est assez récent qu’on ait des deuxième et troisième générations de familles autochtones établies en ville, explique Édith Cloutier, la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or.

De plus en plus souvent, les enfants et les petits-enfants n’ont pas connu la vie de réserve. En fait, selon les plus récentes données de Statistique Canada, 54 % des membres des Premières Nations vivent en dehors des communautés.

La façade de l'immeuble en hiver.

L’immeuble Kijate, à Val-d’Or.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

Malgré tout, il a fallu une dizaine d’années pour que Kijate voie le jour.

L’administration précédente à Val-d’Or ne voyait pas d’un bon œil le projet de logements sociaux élaboré par le Centre d’amitié autochtone, raconte la directrice générale, Édith Cloutier.

Parce que c’était un projet autochtone porté par des Autochtones, on a eu beaucoup d’obstacles, se rappelle Édith Cloutier.

L’administration municipale de l’époque refusait de soutenir une initiative comme celle-là pour ne pas créer de ghetto dans la ville de Val-d’Or.

La crise de 2015 (lorsque des femmes autochtones ont dénoncé à l’émission Enquête de Radio-Canada les abus des policiers dont elles étaient victimes) a eu ceci de bon, estime Mme Cloutier, qu’elle a mis en évidence le besoin de soutenir des solutions qui favorisent l’accès à l’habitation pour les Autochtones.

Kijate a coûté près de 7 millions de dollars et a été financé en grande partie par la Société d’habitation du Québec avec une aide de la Ville de Val-d’Or, entre autres par un congé de taxes municipales.

La directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or qui a piloté le projet Kijate, Édith Cloutier, est fière du résultat.

Elle rêve que cette initiative de logement social pour Autochtones fasse des petits dans d’autres villes du Québec. Elle soutient qu’on aurait collectivement à y gagner.

La version radio du reportage à Désautels le dimanche 9 février.

Un lieu de transmission culturelle

Des personnes cuisinent.

Des résidents de Kijate s'affairent dans la cuisine collective de l’immeuble.

Photo : Radio-Canada / Marie-France Abastado

On dit souvent qu’une maison, c’est beaucoup plus qu’un toit. Idéalement ce devrait aussi être un lieu où on se sent en sécurité, où on peut s’épanouir et où on peut s’entraider.

Dans la grande cuisine collective du rez-de-chaussée de Kijate, Caroline Chachai cuisine avec d’autres femmes pour la semaine avec l’aide d’un intervenant. Au menu, de la soupe, du pain de viande et du pouding chômeur.

« Ça m’évite d’avoir à cuisiner pendant la semaine, dit Caroline. Ça nous permet de nous côtoyer, de nous connaître et de sortir de la maison. »

— Une citation de  Caroline Chachai

Pour Rolande Thompson et sa fille, Kijate semble avoir rempli toutes ses promesses.

Il devrait y avoir plus de logements comme ça pour les Autochtones. Les enfants se développent plus, côté intellectuel et culturel. Même si ma fille est troisième génération, elle se considère plus comme une Autochtone.

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