Tramway de Gatineau à Ottawa : arrimage ou mirage?

L'arrimage du futur tramway de Gatineau à Ottawa s'annonce déjà difficile.
Photo : Radio-Canada / Laury Dubé
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le projet de tramway de la Société de transport de l'Outaouais (STO) est le premier projet de train qui fait de l’arrimage avec Ottawa l’une de ses priorités. Mais où ira ce tramway, une fois à Ottawa? Offrira-t-il une correspondance efficace avec le train léger d’Ottawa? Personne ne le sait trop encore… ou n’ose le dire.
Des options limitées
Traverser le pont du Portage aurait l’avantage de desservir directement les deux centres-villes et les principaux édifices du gouvernement fédéral.
Mais est-ce que le futur tramway de la STO
amènera les usagers des secteurs d’Aylmer ou de Hull près des rues Lyon, Bank ou Metcalfe, comme le fait le service d'autobus actuel? Rien n’est moins sûr.La Ville d'Ottawa a dépensé des centaines de millions de dollars pour creuser un tunnel de 2,5 kilomètres pour son train léger dans le but de limiter la congestion des rues du centre-ville par les autobus. Pourquoi laisserait-elle la place à des tramways venus de Gatineau?
Et est-ce qu’un tramway offrirait la possibilité d’une connexion directe, d’un arrimage efficace avec les stations Lyon, Parlement ou Rideau de l'O-Train? Rien n’est moins sûr, encore une fois, sauf peut-être pour la station Lyon, à l’entrée du centre-ville.
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Mutisme sur le point d’arrimage des deux réseaux
Tout le monde s’accorde pour dire que le point d’arrimage entre les deux réseaux est un enjeu crucial et déterminant pour le succès du projet de tramway.
Une bonne connexion au réseau d’Ottawa multiplierait le nombre de destinations possibles et encouragerait l’utilisation du transport en commun, plutôt que de l'auto solo. Tout le monde s’accorde aussi pour ne rien dire sur les options à l’étude.
« Je ne veux pas spéculer sur ce que vont être, à terme, les options d’insertion à Ottawa. On les étudie. On les étudie avec nos partenaires. »
Même son de cloche du côté de la Ville d’Ottawa, qui a mis plusieurs jours à nous répondre, par écrit seulement :
« Le personnel de la Ville d’Ottawa travaille en étroite collaboration avec la STO et d’autres partenaires régionaux de la planification des transports sur ces aspects, mais il est trop tôt pour commenter, car l’évaluation technique est en cours. »
Monuments, espaces restreints, escarpement et autres défis
Il est vrai qu’il est difficile de trouver un point d’arrimage pour un tramway au centre-ville Ottawa. En l’absence d’information officielle, nous avons donc sollicité l’expertise de David Jeanes, ingénieur de formation et militant pour le transport en commun depuis une quarantaine d’années, pour évaluer quelques sites potentiels.
Le but de cet exercice, non scientifique et basé sur les observations, est d’illustrer les défis de l’arrimage pour un tramway qui utiliserait le pont du Portage.
Voici une carte de quatre sites possibles en surface. Un tramway de Gatineau ne pourrait, selon M. Jeanes, aller beaucoup plus loin que la rue Lyon, après avoir franchi le pont du Portage. M. Jeanes a aussi évalué chacun des 4 sites, en leur accordant une note sur 10.
1. Sortie du pont du Portage
Ce petit bout de terrain est l’un des rares qui soient libres au niveau de la rue dans le périmètre que nous avons étudié — pas de site patrimonial ou de monument en vue non plus.
Il serait peu coûteux d’y construire un terminus qui permettrait l’aller-retour entre Ottawa et Gatineau. Sauf qu’il se trouve au bas d’une pente et à 600 mètres de la station Lyon… Pas vraiment d’arrimage efficace.
La note de David Jeanes : 2/10
2. Jardin des provinces et territoires
S'il est mieux que le site précédent, cet emplacement se trouve à encore 400 mètres de la station Lyon du train léger.
Il y aurait assez d’espace, mais un terminus serait coincé entre le Jardin des provinces et territoires — un monument datant de 1962, en l’honneur de la Confédération canadienne — et le futur Monument aux victimes du communisme.
Il pourrait donc être difficile d’obtenir la permission de construire un terminus de tramway à cet endroit.
Ce lieu pourrait aussi être un endroit désigné pour l’entrée d’un tunnel peu profond d’environ 300 mètres, selon M. Jeanes, qui amènerait le tramway jusqu’à l’une des entrées de la station Lyon. Ce serait de loin la meilleure option, mais aussi, et de loin, la plus coûteuse.
La note de David Jeanes : 4/10
3. Bibliothèque et Archives Canada
À l’est de l’édifice de Bibliothèque et Archives Canada, près de la rue Lyon, il y a un parc et des espaces de stationnement. C’est le seul des quatre sites étudiés qui offrirait autant d’espace.
Pas de monument ou de site historique en vue. L’arrêt de la STO
situé tout près est aussi l’un des plus utilisés sur la rue Wellington pour le retour vers Gatineau en fin de journée.Un terminus en surface à cet endroit ne serait qu’à 200 mètres de la station Lyon, mais forcerait les usagers à traverser la rue Wellington pour s’y rendre.
Choisir ce site impliquerait que les deux voies du tramway circulent sur le côté est du pont du Portage. Or, on prévoit construire, près de ce côté du pont,un monument pour commémorer la purge de la communauté LGBTQ, souligne M. Jeanes, sans parler de la piste cyclable séparée qu’on a construite sur ce même côté en 2018.
La note de David Jeanes : 6/10
4. Intersection de Wellington et Lyon
C’est l’endroit qui offrirait la meilleure connexion en surface avec la station Lyon du train léger, à environ 130 mètres de l’entrée la plus proche.
Pour y accéder, il faudrait que les tramways de Gatineau traversent le pont du Portage dans des voies qui y seraient consacrées au centre du pont et au centre de la rue Wellington, pour permettre un virage au coin de Lyon.
Le tramway s’arrêterait sur le terrain situé devant un monument important, cependant : celui dédié aux Canadiens qui ont participé à la Seconde Guerre mondiale. Obtenir la permission de construire à cet endroit pourrait s'avérer difficile.
La note de David Jeanes : 7/10
Ce site pourrait récolter un 8/10, selon M. Jeanes, si on construisait un tunnel pour piéton qui amènerait les usagers à l’entrée la plus proche de la station Lyon, située sous l’édifice Place de Ville.
Pont du Portage vs pont Prince-de-Galles
Comme on peut le voir, il n’y a rien de simple dans l’arrimage d’un tramway de Gatineau avec le réseau du train léger d’Ottawa lorsqu’on choisit le pont du Portage, surtout lorsqu’on compare cette option avec celle du pont Prince-de-Galles, qui est dans les cartons de la Ville d’Ottawa depuis presque 20 ans.
En fait, la Ville d’Ottawa a fait l’acquisition du pont en 2005, souligne David Jeanes, justement pour prolonger la ligne Trillium actuelle jusqu’à Gatineau, mais ce projet a été abandonné.
Inversement, si la STO
faisait passer son tramway sur le pont ferroviaire Prince-de-Galles, l’arrimage avec la ligne de la Confédération et avec la ligne Trillium à Ottawa se ferait naturellement à la station Bayview du train léger, déjà conçue pour être un lieu de correspondance à grande capacité.« Il y a une possibilité que les gens de Gatineau puissent faire une correspondance à Bayview. Et c’est très facile à construire un terminus, pour le SLR [système léger sur rail] là-bas . »
Cette option a été étudiée par la STO
, puis mise de côté au profit du pont du Portage. Curieusement, c’est la même Ville d’Ottawa qui affirme aujourd’hui que la station Bayview du train léger est déjà saturée d’usagers aux heures de pointe et qu'elle ne pourrait pas accueillir les quelque 5500 passagers à l’heure que transporterait un tramway de Gatineau.L’option Prince-de-Galles impliquerait aussi la réfection et l’adaptation du pont, ce qui représente des coûts importants. Et elle devrait inclure également le prolongement de la ligne de tramway de la station du Rapibus Alexandre Taché-UQO jusqu’au pont du Portage.
Le pont Prince-de-Galles pourrait toujours être utile un jour, à plus long terme, si jamais le Rapibus était transformé en tramway par exemple, souligne la STO
. La station Alexandre Taché-UQO du Rapibus est liée directement par les rails qui passent sur le pont Prince-de-Galles.L’exemple du tramway de Bordeaux
L’essor qu’a connu le réseau de tramway à Bordeaux, en France, au cours des 17 dernières années a été fulgurant. Le système compte maintenant plus de 130 stations sur 78 kilomètres de rail.
Depuis l’entrée en service du tramway en 2003, l’utilisation du transport en commun a plus que doublé et le tramway transporte 65 % des usagers.
Là où la comparaison devient intéressante, c’est que la région métropolitaine de Bordeaux ne compte pas que deux villes comme ici, mais 28 communes aux intérêts parfois divergents.
La région rassemble 780 000 habitants contre 1,3 million ici. Le réseau de tramway relie deux rives en traversant la Garonne, un fleuve. Les communautés de la rive droite ne comptent que pour 17 % de la population de la région métropolitaine.
Et pourtant, Bordeaux Métropole ne s’est pas posé de question pour relier ces communautés au noyau plus important de la rive gauche : des trois premières lignes de tramway qui ont été inaugurées, en 2003, l’une traversait le pont qui enjambe la Garonne.
Ce qui fait le succès du tramway de Bordeaux, selon le vice-président transport de Bordeaux Métropole, Christophe Duprat, c’est la parfaite intégration de tout le réseau sur toute la région.
À l’inverse, dit M. Duprat, une mauvaise intégration et des points d’arrimage déficients peuvent avoir un impact très négatif, surtout lorsqu’on fait concurrence au confort de l’auto.
Ce qui est, dans le transport, un vrai problème, c’est ce qu’on appelle la “rupture de charge”, c’est à dire être obligé de descendre, pour monter dans quelque chose d’autre. Ça, c’est rédhibitoire
, explique-t-il.
« Donc, pourquoi Bordeaux, ça marche, pourquoi on a pris beaucoup de passagers, c’est parce que le tramway permet de faire des correspondances, les lignes se croisent et fonctionnent sur le même réseau, c’est comme ça qu’on y arrive! »
La présidente de la STOÇa va être déterminant pour le système qu’on veut offrir à nos usagers, c’est clair
, souligne Myriam Nadeau.
La belle collaboration Ottawa-Gatineau mise à l’épreuve
L’esprit de collaboration et de bonne entente est perceptible lorsqu’on voit les maires de Gatineau et d’Ottawa réunis lors d'événements de presse.
Les deux ont fait front commun et obtenu des sièges d’observateurs au conseil de la Commission de la capitale nationale, souligne le professeur d’urbanisme à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) Mario Gauthier.
Mais les limites à l’insertion d’un réseau de tramway de Gatineau sur le territoire d’Ottawa sont imposées par Ottawa.
Que ce soit pour le rejet de l’option du pont Prince-de-Galles ou pour la capacité limitée de circuler au centre-ville en sortant du pont du Portage, il semble bien, selon M. Gauthier, que ce soit Ottawa qui mène le bal.
« On a parfois l’impression que la Ville de Gatineau est à la remorque de la planification conduite par la Ville d’Ottawa et peut-être d’autres intervenants de la région. »
Je sais que, du côté québécois, la Société de transport de l’Outaouais y travaille. Moi, je suis de ceux qui attendent de voir des propositions sur la table, mais ça me paraît limité
, ajoute-t-il.
M. Gauthier demande à être rassuré et mieux informé sur les progrès des négociations. La collaboration, dit-il, a été tardive dans ce dossier.
Le professeur dirigera d’ailleurs un projet de recherche sur les modèles de gestion municipale. La région métropolitaine d’Ottawa-Gatineau est bien réelle dans les faits, explique M. Gauthier, pour des milliers de personnes qui vont et viennent d’une ville à l’autre chaque jour.
Mais elle ne dispose pas d’une autorité administrative — comme la Communauté urbaine de Montréal ou comme Bordeaux Métropole par exemple — pour prendre des décisions qui touchent des enjeux communs, tels que le transport.
Deux villes, deux provinces, un gouvernement fédéral et la Commission de la capitale nationale, voilà un assemblage d’intérêts qui comporte ses défis.
On fait des pas importants
, reconnaît Myriam Nadeau, mais il ne faut pas se le cacher : on est dans un contexte incroyablement complexe
.
Un statut particulier qui pourrait aussi ouvrir la voie vers de belles réussites, conclut Mario Gauthier. La STO
s’apprête d’ailleurs à faire une mise à jour de ses projets d’infrastructure le 30 janvier, dont celui du tramway qui desservira l’ouest de Gatineau, vers Ottawa.La Ville d’Ottawa, de son côté, nous avise que la STO
viendra présenter au printemps, devant le Comité des transports de la Ville d’Ottawa, les premiers volets de son étude, incluant les options potentielles pour le corridor du côté d’Ottawa.