Grèves en éducation en Ontario : est-ce un retour à l’ère de Mike Harris?
Les syndicats d'enseignants poursuivent leurs moyens de pression.
Photo : Radio-Canada / Marie-Hélène Ratel
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
En octobre 1997, les enseignants ontariens déclenchent un mouvement de protestation sans précédent contre les réformes du gouvernement de Mike Harris. Des milliers d’écoles sont fermées pendant deux semaines. Plus de 20 ans plus tard, les batailles des enseignants semblent se répéter, mais le contexte est bien différent.
À un piquet de grève, Roxanne Beauchamp, représentante du syndicat de la Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), partage ses craintes.
En 14 ans de métier dans des écoles de langue française en Ontario, cette mère de famille dit n’avoir jamais été témoin d’un tel bond en arrière
quant aux services offerts aux élèves.
« La bataille a déjà eu lieu il y a 20 ans avec Harris. C’est à notre tour de nous assurer que l’éducation de nos enfants va continuer à s’améliorer en Ontario. »
Les tensions dans le secteur de l’éducation ne datent pas d’hier. Après le gouvernement Harris, elles se sont poursuivies avec les gouvernements libéraux de Dalton McGuinty et Kathleen Wynne. Mais pour la première fois en 20 ans, tous les syndicats d’enseignants ont entrepris des moyens de pression d’envergure, partout dans la province.
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Le conflit actuel rappelle de biens mauvais souvenirs à l’ancienne vice-présidente et présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), Lise Routhier Boudreau, qui a été témoin des effets des coupes des années 90.
« J’ai l’impression de revivre ce cauchemar-là. Malheureusement, encore aujourd’hui on ressent les impacts dans les écoles. »
Mme Routhier Boudreau décrit les années Harris comme extrêmement pénibles pour le système d’éducation
. Elle se souvient que le moral des enseignants était bas et que plusieurs quittaient la profession.
Encore aujourd’hui, le recrutement et la rétention des enseignants sont extrêmement difficiles
, affirme-t-elle.
Cette fois-ci, certains désaccords sont semblables, comme la taille des classes. Mais le professeur en relations industrielles à l’Université Laurentienne, Louis Durand, précise qu’en 1997 les enjeux étaient beaucoup plus vastes. L’adoption de la Loi 160 a complètement réformé le système d’éducation avec des coupes de près de 900 M$, estime-t-il.
« On retirait des pouvoirs aux conseils scolaires. On retirait le pouvoir de taxation. On centralisait les choses au niveau du ministère. »
L’absence de plan
Pour l’ancienne ministre de l’Éducation sous le gouvernement Harris, Janet Ecker, le cœur du problème repose plutôt sur l’incapacité des syndicats à accepter la limite que le gouvernement peut dépenser en éducation
.
Mme Ecker remarque toutefois une différence flagrante qui s’ajoute comme difficulté dans le cadre des négociations actuelles.
Le premier ministre Doug Ford n’a pas eu suffisamment de temps, selon elle, pour dévoiler un plan détaillé, contrairement à Mike Harris qui avait clairement présenté sa Révolution du bon sens avant de se faire élire comme premier ministre en 1995.
« Le plus grand défi du gouvernement [Ford] est d’expliquer et de communiquer aux électeurs et parents ce qu’il tente d’accomplir. »
La politologue Geneviève Tellier de l’Université d’Ottawa abonde dans le même sens en ajoutant que le manque de précisions sur les intentions du gouvernement le fragilise.
Pour M. Harris, la ligne directrice était claire, tout le monde devait se serrer la ceinture et on ne reculera pas. Pour M. Ford, c’est beaucoup moins clair et au cours des derniers mois on l’a vu reculer sur de nombreux dossiers
, explique-t-elle en comparant les personnalités des deux premiers ministres.
L’Ontario se porte mieux financièrement
Autre différence majeure : le contexte économique. En 1990, l’économie ne se portait pas bien, contrairement à aujourd’hui, et les compressions étaient inévitables.
Selon la politologue Geneviève Tellier, les coupes actuelles peuvent soulever bien des questions du côté des Ontariens, qui n’en voient pas la nécessité dans un contexte de croissance économique.
Louis Durand ajoute toutefois que malgré les nombreuses différences entre les deux époques, l’intention du gouvernement Ford est semblable à ce qu’a imposé le gouvernement Harris, soit de réduire les montants investis en éducation.
« Avec les mesures qu’il [le gouvernement de Doug Ford] met en place, l’investissement dans le système d’éducation va être très, très faible. »
Devant une incompréhension populaire, le plus gros risque pour le gouvernement Ford, selon Mme Tellier, est de perdre l’opinion publique
.